« Les novices, les moines, les sannyasins, impressionnés par les Anciens, renoncent au monde, enseignent les écritures et se dessèchent à force de concentration.
D’autres se réclament du Grand Véhicule et des textes sacrés. Ils méditent sur les chakras et les mandalas, ils scindent la félicité en différentes étapes.
Ils ne font que s’écarter de la voie et se battent pour savoir si elle est espace et vacuité.
Délaisser le Spontané pour débattre du nirvana, c’est manquer le Sens ultime.
Qui s’écarte du Spontané ne connaîtra pas la délivrance. A quoi bon méditation, offrandes de lampes à huile, récitation de mantras ?
A quoi bon les austérités, à quoi bon les pèlerinages ? On ne se libère pas en se plongeant dans les eaux sacrées. […]
Saraha chante : ne médite pas, n’abandonne pas le monde, vis en compagnie. Si tu n’es pas délivré en prenant un profond plaisir au monde sensoriel, peut-on dire que ta connaissance est parfaite ?
Si la Vérité est manifeste, à quoi bon méditer ? Si la vérité est cachée, tu ne fais qu’arpenter les ténèbres ! Saraha chante : L’éternité n’est ni du domaine de l’être ni de celui du non-être ; ainsi touche le Spontané !
Saraha chante spontanément la profondeur secrète du monde, ne demeure pas prisonnier du troupeau hébété ! Ce qui nous fait naître, vivre et mourir est le cœur du Suprême.
Le Suprême ne médite pas, pourquoi méditer sur lui ? Le Suprême est indicible, alors tais-toi ! Les êtres sont prisonniers du devenir et personne ne découvre la nature du Soi.
Abandonne mantras, traités, objet de méditation, concentration ! La conscience est immaculée, ne la pollue pas par la pratique ! Cesse de te tourmenter et demeure dans l’intime félicité !
Délecte-toi des mets et des boissons, sois heureux, jouis du plaisir que tu offres à la lignée des maîtres, c’est ainsi qu’on se libère ! […]
Saraha chante, écoute-le. Pas de libération par la méditation. Ne prends pas les membres dans le filet de l’illusion ! […] J’ai abandonné mantras et tantras pour chanter ce poème. […]
J’ai vu les lieux sacrés, mais nul endroit n’est aussi gorgé de béatitude que mon propre corps. […]
Abandonne les mantras, les tantras, et oriente ta quête vers le corps où les dieux se perdent, alors tu seras l’absolu et tout autre désir s’évanouira.
Reconnais cette ambroisie qui s’exprime à partir du non-savoir. Ceux qui se livrent à des explications ne trouvent pas la transparence au cœur de l’activité. […]
Dans ce corps, l’intelligence se relâche, la pensée se détend, l’ego se dissout. N’utilise pas la méditation pour toucher les mondes illusoires. […]
« Est-ce que le maître expose l’ultime secret ? sans discernement, serai-je libéré ? » se disent-ils. Les adeptes vont et viennent. Ils errent dans leurs pratiques et commettent l’erreur de ne pas reconnaître le Spontané. […]
« Notre maître vénéré prône l’arrêt de la pensée, la méditation yeux ouverts, le contrôle du souffle », disent les égarés. Mais lorsque le souffle s’arrête de lui-même au moment de la mort, que fais-tu ? […]
Les érudits commentent les traités, mais ils ignorent le Bouddha en leur propre corps. Ils n’ont pas détruit l’oscillation mentale et prétendent avec impudence jouir de la connaissance.
« La Pure Conscience se médite sur le centre intersourciller », disent-ils. Abandonne donc toute distinction. Dès que tu ne scindes plus le corps, que tu ne sépares plus la parole et la pensée, tu jouis de la propre nature du Spontané.
Dans « Le trésor des chants » (Dohakosa) :
La vraie nature de l’esprit est comme le ciel. Il n’y a pas de méditation à faire, aussi évitez la méditation. En gardant l’esprit ordinaire dans son mode originel spontané, il n’est adultéré par aucun concept artificiel. […]
On parle de très nombreuses sortes de constructions mentales, mais les yogis ne demeurent que dans la seule perception. Celle-ci n’étant pas une entité, le yogi est complètement libre des nombreuses possibilités de manifestation. Aussi, avec cette liberté folle et illimitée, maintenez l’action pareille à celle d’un enfant, libre de toute activité intentionnelle.
« Ecstatic Spontaneity » Herbert V. Guenther.
Le philosophe Michel Larroque retrouve le Spontané de Saraha dans le Ch’an Chinois, rappelant au passage que la méditation assise (ou Zazen) était négligée par les premiers patriarches.
" On sait que le naturel est notre véritable esprit ; or il nous est donné d’emblée. Les efforts pour le promouvoir sont donc inutiles et ne peuvent que se retourner contre leur but. Il en résulte que toute discipline est artificielle et sans objet. Elle ne peut aboutir qu’à un pharisaïsme qui singe la vie spirituelle authentique.
C’est ce que Huai-Jang essaie de faire comprendre à l’un de ses condisciples, Ma-Tsu, qui pratique assidûment la méditation " pour atteindre l’état de Bouddha. " Ramassant une brique, il se met à la polir " pour en faire un miroir. " " Aucun polissage, si long soit-il, ne fera un miroir d’un brique, " remarque Ma-Tsu. " Aucune pratique du Tao-ch’an, si longue soit-elle, ne vous fera atteindre l’état de Bouddha " répliqua aussitôt Huai Jang.
Et c’est pourquoi Hui-Neng recommande de ne pas chercher à purifier l’esprit, mais tout au contraire de le laisser aller. Il convient de donner libre cours aux séquences de pensées et d’impressions sans chercher volontairement à les retenir ou à en orienter le cours. Même le simple désir de devenir un Bouddha est nocif. En effet, si la bouddhéité est bien la spontanéité, le souci d’y accéder nous éloigne à coup sûr par la conscience qu’il crée en nous d’une opposition entre ce que nous voulons être et ce que nous sommes.
Les témoignages confirmant cette interprétation sont innombrables. Huang Po interprétant le Bouddhisme dans une perspective taoïste, fait aussi l’apologie de la spontanéité.
" Lorsque le corps et l’esprit ont atteint la spontanéité " écrit-il, " le Tao est atteint et l’esprit universel peut être compris… Dans les temps anciens, l’esprit des hommes était aiguisé. En entendant une seule phrase, ils abandonnaient l’étude et furent de ce fait appelés " les sages " qui, abandonnant l’étude, restent dans la spontanéité. "
Son élève Lin-Chi, fondateur de l’école Rinzai, reproche à ses étudiants de ne pas se faire confiance et de recherche laborieusement ce qu’ils n’ont pas perdu. Certes, la vie spirituelle exige du courage de " s’en remettre " sans hésitation de " faire absolument confiance en la spontanéité naturelle qui est l’esprit du Bouddha. " Il insiste sur l’importance de la vie naturelle libérée de toute affection et de toute contrainte. Car " il n’y a pas de place dans le bouddhisme pour l’effort. "
Michel Larroque, "APPROCHES OCCIDENTALES DU BOUDDHISME ZEN, la spontanéité efficace", L’Harmattan.
Vu sur le blog de Bouddhanar
1 commentaire:
enchantée...
Je voulais savoir si tu citais précisément les mots de Saraha... Je cherche ses poèmes .. Je ferai un tour en librairie mais merci pour ton partage. Peut être à bientôt.
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