samedi 26 juin 2021

• Nous sommes la conscience de l’être - Alain Galatis

 


Le jour de la nuit regroupe quatre textes, tous consacrés à la non-dualité. Ce sujet est abordé sous différents angles : l'expérience que l'on peut en faire, les moyens de parvenir à cette perception, les raisons des difficultés rencontrées.
Dans Ordonnateurs du chaos, l'auteur, partant d'un souvenir particulier, relate comment un acte simple et anodin - l'observation de quelqu'un qui marche devant nous - peut devenir une bouleversante expérience de la non-dualité.
Sur un ton plus poétique Le jour de la nuit évoque l'étrange cheminement d'un expérimentateur de la non-dualité réalisant qu'il était de tout temps parvenu au lieu recherché et que ce long périple fut l'ultime rêve duquel émerger.
Par des maximes laconiques et parfois ironiques La nuit espiègle démonte les nombreux pièges dans lesquels nous tombons et dénonce les compromissions et atermoiements que nous pratiquons.
Avec une virulence certaine L'homme croit que ce qui n'existe pas existe dresse un réquisitoire sur les conséquences dramatiques de notre incapacité à reconnaître ce que sont les illusions et notre refus obstiné de nous en libérer.
Quatre textes comme quatre coups de masse assénés sur les chaines qui nous emprisonnent.
Quatre textes comme quatre flèches décochées au cour d'une seule cible : le réel.

Né en 1961 d’un père grec et d’une mère suisse, Alain Galatis vit à Lausanne. Durant de nombreuses années, il écrit de la poésie. Son cheminement ainsi qu’un questionnement incessant sur la nature de la réalité, l’amène à la rédaction d’un premier livre L’indicible publié en 1997. Cette même année, il ouvre la Librairie Ex Nihilo. Depuis il a publié six ouvrages tous consacrés à la non-dualité et enregistré deux CD de chansons.

© Extrait publié avec l'aimable accord des éditions Accarias L'Orignel : 

Cela s’est produit il y a une vingtaine d’an- nées. La date précise, le mois, le jour et l’heure m’échappent mais le souvenir vivace d’un instant précis m’habite.

Lausanne. Je traversais la place de la Riponne venant assurément de la rue du Valentin et me dirigeant vers la place de la Palud. Quelqu’un marchait devant moi, un jeune homme, un inconnu. Je l’observais un peu distraitement se déplaçant et soudain je perçus, j’eus cette compréhension, ce déclic : si mon attention se portait uniquement sur l’événement en cours, ma conscience pouvait devenir la conscience de l’événement lui-même et non plus celle d’un individu percevant un événement.

Cela signifiait que ma conscience devenait égale- ment celle de la personne marchant devant moi. Il n’y avait plus de séparation mais bien un seul être mouvant. Le fait que nous marchions d’un même pas amplifiait la sensation. Il y avait un mouvement. Tout participait d’un seul événement. J’étais conscient de ce mouvement et non conscient d’un individu percevant un autre individu.

Il y eut le net sentiment d’une apesanteur. Cette attention à l’instant suspendait la temporalité. Sans passé et sans futur, un allégement se produit. On se retrouve comme aspiré par l’œil du cyclone. La métaphore est peut-être extrême mais il y eut comme un flottement ou un déroutement.

La sensation fut forte et elle s’accompagna instantanément d’une conviction : je découvrais ce que j’avais longtemps cherché (du haut de mes trente-deux ou trente-trois ans). Je percevais clairement ce qu’auparavant j’avais trouvé évoqué dans des textes d’auteurs divers. Appréhension d’une unité des phénomènes et du caractère atemporel de l’instant présent. Il y avait de la joie, de la réjouissance et de l’allégresse. Oui, c’était ça, bien sûr, évidemment ! Je comprenais comment, en se concentrant sur l’instant présent, une conscience peut sortir de l’individualité pour s’ouvrir à ce qui se produit et devenir conscience de l’événement lui- même. Je découvrais la possibilité d’une libre circulation, sans entrave aucune, entre l’individu et le monde. 

Cette vision a duré peut-être deux ou trois secondes puis le sentiment usuel d’être Alain qui traverse la place de la Riponne en regardant un inconnu est revenu. Ensuite, il a fallu de nombreuses années pour approfondir cette perception, l’éprouver à nouveau, en divers endroits, dans diverses circonstances, de plus en plus facilement, avant qu’elle ne finisse par devenir une simple évidence, la banalité du quotidien si j’ose dire. À chaque instant, il est possible d’observer des individus et de percevoir dans un même mouvement leur unité. C’est un seul et unique événement dont deux lectures sont proposées. Cette subtilité d’un jeu entre deux manières d’appréhender le réel me fascine. Je l’expérimente. Je tente de comprendre les tenants et les aboutissants, de saisir les rouages, ce que cela implique. 

Pourtant, parallèlement, un malaise s’est développé, croissant au fur et à mesure que les années s’écoulaient. Quelque chose ne joue pas, dysfonctionne. Si cette double vision me paraît aussi simple, évidente et tellement importante, fondamentale, pourquoi n’est- elle pas partagée par autrui ? Par la société entière ? Pourquoi n’est-elle pas un truisme reconnu par tous ? Mon humble expérience me montrait que cette pénétration consciente de ce qui se produit dans l’instant présent est relativement aisée et ses conséquences bouleversantes. Le décalage n’en est que plus grand entre cette possibilité offerte à tous et l’indifférence que tous manifestent pour cette expérience.

Ainsi étrangement la question s’est métamorphosée. Elle est passée de comment atteindre ces contrées désertées où errent quelques mystiques solitaires à pourquoi jamais personne n’accomplit un acte à la portée de tous, aussi simple et nécessaire que de boire un verre d’eau ?

C’est là quelque chose de fascinant : tout se met en place pour que ce dévoilement du réel ne soit pas rendu possible. La position de chacun, quelle qu’elle soit, vient renforcer les barricades. D’un extrême où cette question semble inintéressante et ne se pose même pas, à l’autre extrême où elle sera estimée au- delà des capacités humaines, rien ne permet d’aborder simplement une question simple.

Depuis des millénaires, différents textes évoquent cette double perception mais ils n’ont jamais été à même de conduire une communauté humaine à cette vision. Ainsi, au lieu d’indiquer une possibilité offerte à tout un chacun de partager une expérience, ils sont au contraire devenus les révélateurs d’une impossibilité, d’un obstacle infranchissable. Qu’elle ne le puisse, qu’elle ne le veuille ou qu’elle ne le choisisse, jamais la communauté humaine ne connaîtra cette expérience. 

La chose serait anecdotique, insignifiante, si elle ne portait en elle les germes d’un chaos infini dont nous sommes les grands ordonnateurs.

L’équation est simple : ne pas effectuer cette distinction entre deux dimensions témoigne d’une confusion et cette dernière génère le chaos. Et c’est bien en rai- son de cet enjeu que la question revêt une importance cruciale. Autrement, elle relèverait du bon droit et du libre arbitre de chacun de penser n’importe quoi et de voir ce qu’il veut, ce dont d’ailleurs nous ne nous privons pas.

Il semble que tous les discours, les plus incongrus, irrationnels, délirants soient-ils, parviennent à se faire une place au soleil. Il semblerait même que plus ils sont insensés, plus leur audience croît. Tous les dis- cours sont entendus, tous sauf un. Celui qui garantirait cette cohérence qui nous fait défaut. Cela ne manque pas de piquant. Nous pouvons discourir sur absolument tout et n’importe quoi mais jamais personne pour revendiquer ce b.a.-ba du discernement : il existe une double dimension et il est impératif d’en tenir compte.

C’est étrange. Cela laisse songeur et amer. Cela attriste. Quelle est cette malédiction sur nous jetée ? Pourquoi un tel prix à payer pour le génie humain ? Mais la question n’est pas à l’ordre du jour. Le délire entraîne le délire ; nous n’en sortirons jamais. Et pour- tant ! Il suffirait que chacun fasse cette misérable expérience d’observer deux secondes un inconnu marchant devant lui et comprenne ce qui est en train de se pro- duire pour changer la face du monde.

Reprenons. Je traverse la place de la Riponne et mon regard se porte sur quelqu’un marchant devant moi. Faisons un arrêt sur image. Figeons les deux protagonistes. Il y a un événement, quelque chose se produit. Ou encore plus simplement : il y a de l’être. Quelque chose existe. Si nous nous bornons à cet événement, c’est tout ce que nous pouvons dire et ce n’est pas grand-chose, quasiment rien. Mais c’est également ce que nous pouvons éprouver, ressentir. Et là, c’est énorme, gigantesque. Nous saisissons que nous sommes cet événement et nous en sommes sa conscience. Nous sommes la conscience de l’être. 

mercredi 16 juin 2021

• C'est une absence étonnamment présente - Yolande Duran Serrano

 

Le silence est l'ultime guérison puisqu'il guérit de l'idée d'être une personne.

JE SUIS vivante comme jamais et je suis morte, en même temps.

C'est une absence étonnamment présente.

A tout vivre dans la paix, je suis tombée dans un étonnement profond et je me suis laissée faire, de plus en plus, de plus en plus profondément.

Ce silence t’empêche de te recréer à chaque instant, d’interférer, de penser, de projeter, de sécréter ce filtre du mental.

Tu sens plus que tu ne penses.

L’agitation reste à l’extérieur. A l’intérieur, tout demeure tranquille.

Aucune déperdition d' énergie. Le fait de percevoir les choses depuis un autre point de vue, non pas depuis moi mais depuis le silence, engendre une grande tranquillité, une grande présence que rien ne peut troubler. Donc une grande efficacité.

Le vieux réflexe de s’identifier à ses pensées est aussitôt balayé.

Cette déperdition d’énergie qu’il y avait avant vient de ce qu’on s’identifie à cette agitation. On croit à ses pensées. On est partie prenante, d’accord, pas d’accord, anxieux, réactif. On veut, on veut pas, on prévoit, on suppute.

On est acteur du film.

Là, on est spectateur. On voit le déroulement : celui du dehors : les gens, les événements qui passent et celui du dedans : les pensées, les émotions qui passent aussi, de la même façon.

Il n’y a pas un « je » pour dire je suis cette pensée, je suis cette émotion.

Il n’y a pas d’enjeu.

Et puis, il y a cette saveur du silence… Une douceur qui est là, en continu.

Il n’y a plus cette voix qui te juge, te condamne, te soumet, te fatigue.

Il n’y a plus cette souffrance, ces pensées qui te somment d’exister.

Et même si, de temps à autre, une pensée apparaît, elle est si douce…

elle te rend légère.

Il n’y a pas de séparation.

Tout est en fusion avec tout le reste. Mon corps, mon senti, est ce qu’il y a de plus proche, mais c’est fusionné avec tout le reste. C’est au second plan.

Cette présence constante t’empêche de tomber dans le piège de la complicité avec tes propres pensées… alors encore moins avec celles des autres.

Ce qui va se faire, se dire dans l’instant, se fera, se dira, mais ce ne sera pas le résultat d’un savoir, d’une compréhension.

C’est ce silence qui sait.

C’est lui qui fait. 

Tu laisses cette fluidité agir.

Il a toujours été là, même quand tu ne le percevais pas.

Il est là avant tout ce qui peut apparaître à chaque instant.

C’est lui qui permet de vivre ce qui est.

Pas besoin de penser ta vie.

C’est cette présence qui permet qu’apparaisse le monde.

Tout ce qui apparaît, tout ce qui existe n’est là que parce que ce silence est là.

jeudi 3 juin 2021

• C’est la connaissance elle-même - Rupert Spira

Questionneur : Lorsque je cherche le “je”, la chose principale est que je ne le trouve pas.

 

Rupert : Nous ne trouvons pas un objet, c’est-à-dire nous ne trouvons pas une pensée, une image, une sensation ou une perception.

Toutefois, lorsque nous disons “Lorsque je cherche le “je”...”, là, précisément, nous faisons référence au “je” qui est présent dans la recherche. Ce “je” qui cherche peut ne rien trouver, mais est néanmoins présent dans la recherche.

Imaginez que vous vous trouvez au milieu d’une pièce et essayez de faire un pas en direction de vous-même (par vous-même, je fais référence ici à votre corps). Dans quelle direction allez-vous vous tourner ? Aucune ! Tout pas serait un pas dans la mauvaise direction.

Imaginez maintenant que vous essayez de vous éloigner de vous-même. Où iriez-vous ? Où que vous alliez, vous vous trouverez présent, trop près pour être connu ou vu objectivement et pourtant présent là, au centre-même où que vous vous trouviez.

Maintenant, ayant découvert que vous êtes à la fois connaissant et présent, mais sans qualités objectives, essayez, en tant que Présence-Connaissance que vous vous savez être intimement, de bouger “hors de” ou “vers” vous-même. Où iriez-vous ? Où pourriez-vous aller ?

Voyez que la Présence-Connaissance que vous êtes, est intimement au centre ou au coeur de chaque expérience. C’est trop proche pour être connu comme un objet, mais trop intime et immédiat pour ne pas être connu.

C’est la connaissance elle-même.