dimanche 19 août 2007

• Entretiens sur la conscience - Francis Lucille

ENTRETIENS SUR LA CONSCIENCE

FRANCIS LUCILLE

Transcription d'un échange public donné à Paris le 07/07/07


Question : Il m’arrive de passer de la conscience factuelle, ordinaire à un état de conscience plus subtile, mais comment parvenir à la conscience supérieure ?

Francis Lucille : D’où vient cette croyance que ma conscience est limitée ? Sur quelle expérience se base cette croyance ? C’est la même conscience qui fait l’expérience des deux états. Ces états ne nous renseignent pas sur la nature limitée ou illimitée de la conscience. Spitituels ou non, ce sont des états que nous percevons. Or, ce qui est perçu ne nous donne aucune information sur ce qui perçoit, sur la conscience qui perçoit. Ainsi, la lune observée au télescope ne nous donne aucune information sur l’astronome qui l’observe.
Avec, toutefois, la réserve suivante : si ce qui est perçu est réel, nous sommes certains que ce qui perçoit est réel ; ce qui perçoit est aussi réel que ce qui est perçu. Cela ne limite pas ce qui perçoit, mais, au contraire l’ « illimite ». Si ce qui est perçu est illimité, cela signifie que ce qui perçoit est illimité. Si, dans une expérience, nous percevons le divin, ce qui perçoit est aussi divin.

Le problème est que, lors d’une expérience de cet ordre, nous revenons rapidement à l’état ordinaire, hors de la révélation qu’elle nous apporte. Ce qui est important est la révélation qui nous est donnée sur notre conscience. Cette révélation n’est pas quelque chose qui va et vient, mais est un attribut de la conscience. Le problème est que le mental s’attache aux qualités objectives de cette expérience, de l’effet, au niveau du corps et du mental, de l’expérience.
Il est important de comprendre cela clairement ; cela nous évite de chercher là où il n’y a rien à trouver et nous permet de nous établir dans la paix de ce qui nous a été révélé. Le risque est de devenir dépendant de ces expériences et de chercher à les revivre. Ne plus être dans cette attente nous permet de vivre l’expérience de manière naturelle, car c’est alors le résultat d’une compréhension.

Question : Que signifie « libéré du désir » ?

Francis Lucille : La première chose à comprendre est que la peur et le désir sont un seul et même chose. Tout désir peut être exprimé comme une peur et toute peur peut être exprimée comme un désir. En général on pense que nos désirs ne sont pas un problème, le problème, c’est la peur.
Chaque fois que nous faisons l’expérience de la souffrance psychologique, si nous examinons les mécanismes en jeu, il y a toujours un élément de peur ou de désir qui est la condition nécessaire de cette souffrance.

Question : Est-ce que la compréhension de notre vraie nature est suffisante pour être libéré de la souffrance ?

Francis Lucille : Oui.
La connaissance vient par l’expérience. Même une connaissance transitoire met en route un processus qui amène à la stabilité de cette expérience.

Il peut y avoir des désirs et des peurs « détachés ». Un désir non problématique n’est pas un obstacle ; c’est un désir impersonnel, personne n’y est attaché, personne ne met son bonheur dans la balance. Mais on n’aura de désirs détachés que si on est établi dans l’expérience.

Question : J’ai eu l’expérience de Dieu. J’ai alors ressenti une invincibilité. Mais cette situation ne se prolonge pas et disparaît. Pourquoi ?

Francis Lucille : D’après ce que vous dites, c’était une révélation ?

Question : Non, plutôt une découverte accompagnée d’une tentation suicidaire, d’une grande souffrance.

Francis Lucille : Ce que je recommande quand on a des idées de suicide, c’est de consulter un médecin. S’il s’agit d’un suicide philosophique, c’est autre chose.

Question : Mon appel était plutôt de mourir intérieurement.

Francis Lucille : Revenons à l’essentiel de l’enseignement de l’expérience que vous avez vécue. J’y vois deux points : 1) Dieu existe, 2) je ne risque rien.
Est-ce que ce qui était révélé ne s’appliquait qu’à ce moment ou avait une valeur de tous les instants ? Le problème est que vous ne faites plus confiance à cette révélation.

Question : Oui, j’ai pris du recul.

Francis Lucille : Il y a deux choses à ne pas confondre, le message et l’enveloppe.
Ce qui vous a été révélé et qui est vrai sur le moment, était vrai avant ; c’est le message
L’expérience de ce qui se passe au moment de la révélation, c’est l’enveloppe dans laquelle le message est contenu. Le problème est que l’enveloppe est très belle, dorée, décorée d’anges en couleurs qui jouent de la trompette et que le message est très court : « Ne te fais pas de soucis, signé Dieu ». Alors on cherche désespérément l’enveloppe parce qu’on l’a mise à la poubelle. Mais Dieu a plein d’enveloppes.
C’est l’enveloppe qui vous sépare du message. Il y a un grand secret : quand on se rappelle le message, le moment présent est l’enveloppe.

Question : Est-ce que la présence peut exister sans la conscience ?

Francis Lucille : Non, ce sont des synonymes.

Question : A partir de là, de quoi se libérer ?

Francis Lucille : Ce dont on doit se libérer est ce qu’on croit savoir. C’est l’homme « pauvre en esprit » de Maître Eckart ; celui qui ne sait rien, ne veut rien, n’a rien. Quand on vient à une réunion comme celle-ci, l’important est que vous et moi laissions à la porte ce que nous savons.

Question : Et pourtant, vous transmettez.

Francis Lucille : Je ne sais pas ce que je transmets. Je suis le premier étonné des réponses qui sortent.

Il n’y a pas de différence entre être et conscience. La première expérience est celle de la conscience. Elle est l’attribut de l’être et se présente en premier. L’expérience de la plénitude nous échappe tant qu’il y a séparation entre être et conscience, tant que nous les voyons comme deux réalités distinctes. L’aspect être et l’aspect conscience, tous les êtres en font l’expérience. Mais ressentir la tranquilité heureuse, la joie sans cause ne se peut que lorsqu’on a réalisé l’identité entre conscience et être.

« Le but de la philosophie est de se libérer de la peur par l’usage de la raison »

Ce que j’appelle conscience est ce qui entend ces mots en ce moment-même. Les mots ne vont pas se perdre contre un mur de matière inerte, mais une présence les entend. On ne préjuge en rien de la nature de cette présence ; c’est ce que j’appelle la conscience.
De même, je sais qu’il y a conscience par l’expérience directe ; cette certitude est une donnée directe et indéniable de notre expérience ; elle est le centre, la réalité de notre expérience.
Notre expérience est faite de perceptions (sensorielles, mentales) et de ce qui perçoit tout cela. Les perceptions sont en constant devenir, et n’existent qu’avec la conscience.
Par contre, il y a conscience sans perception, car la conscience est présente avant, pendant et après la pensée. La réalité de la pensée est la conscience, la réalité des perceptions est la conscience. Ce que nous appelons « je », ultimement est la réalité de notre conscience.

Un autre fait incontournable est qu’ « il y a quelque chose putôt que rien » (cf. Heidegger). Cette expérience m’indique clairement qu’il y a une existence, que quelque chose est. On appelle ce quelque chose l’être. C’est incontournable. La conscience est pourtant souvent considérée comme une réalité non absolue, dépendante de l’être.

Ma propre expérience n’a aucune valeur ; ce qui compte c’est l’expérience de chacun. La compréhension doit venir de l’expérience de la certitude profonde.. L’enquête que nous menons est celle qui va nous relier à la conscience.

De même que nous savons qu’il y a réalité, être, conscience, de même nous savons – mais c’est plus caché – qu’il y a une seule réalité ultime, qu’il n’y a pas de réalité séparée. Toute réalité séparée n’est qu’un concept. Pour autant que nous le sachions, au niveau physique, il n’y a pas d’entités séparées ; les particules communiquent entre elles à travers tout l’univers. A un niveau plus subtil, nous échangeons aussi des informations avec tout l’univers. On voit donc mal ce que serait une réalité séparée. Ce que je dis n’est pas preuve. Que la réalité soit une n’est pas démontrable. C’est une auto-évidence qui a été cachée par le développement de nos facultés conceptuelles qui isolent un objet dans la réalité pour l’examiner (mécanisme mental de l’abstraction). Ce qui est abstrait n’a pas d’existence réelle, est une projection mentale ; c’est une réalité partielle. Comme nous nous confrontons quotidiennement à de tels concepts, cette habitude masque la certitude première qu’il n’existe qu’une réalité.
A partir du moment où nous avons la certitude absolue qu’il n’y a qu’une réalité, la certitude de la conscience et la certitude de l’être, les deux ne font qu’un puisqu’il n’y a qu’une réalité. C’est la démonstration qui n’est pas démontrable et que nous nous donnons à nous-mêmes : l’être est la conscience et la conscience, l’être. Ce que nous appelons « je » est l’univers conscient à travers notre corps.

Question : Est-il nécessaire d’avoir un guide pour avancer sur le chemin de l’éveil ?

Francis Lucille : Quand vous avez très soif, vous posez-vous la question d’écouter ou non la personne qui vous dit où se trouve le supermarché ?

Question : Le problème est que beaucoup vous indiquent le chemin du supermarché. Quelle voie choisir ?

Francis Lucille : Celle qui parle à votre cœur.

Question : Que pensez-vous de la discipline ?

Francis Lucille : Je suis contre ! La liberté de penser, celle d’explorer sont les ingrédients nécessaires de la compréhension. Si on place d’entrée des limites au champ d’exploration, à sa méthode, à son processus, nous ne pouvons acquérir une totale conviction. Il faut se sentir absolument libre. Le moteur de la recherche doit être l’intérêt que l’on porte à l’amour du vrai, un intérêt qui est déjà en lui-même sa propre récompense, un intérêt qui est au départ de la recherche, pas à la fin.

Question : Etes-vous heureux ?

Francis Lucille : Qu’est-ce que cela vous apporte que je le sois ou pas ?

Question : Est-ce que la réalité est joyeuse pour vous ?

Francis Lucille : La réalité n’est pas joyeuse, la réalité est joie. Quand on est joyeux, on le sait. La joie se sait elle-même. Mais le mot serait plutôt heureux, paix heureuse.Quand vous êtes heureux vous ne le savez même pas ; vous êtes comme un poisson dans l’eau qui se dit qu’il a un problème seulement quand il se retrouve hors de l’eau.

Question : Peut-on revenir aux maîtres spirituels : on nous dit que sans maître nous ne pouvons pas avancer.

Francis Lucille : Je ne pense pas que cela soit vrai. A partir du moment où on s’intéresse à ça, on ne peut pas ne pas avancer, avec ou sans maître. Mais dans mons cas personnel j’ai trouvé que c’était bien pratique. Quand vous voulez traverser l’océan vous pouvez le faire à la nage ou prendre l’avion ; personnellement, j’ai choisi l’avion.

Question : Est-ce vous qui trouvez le maître ou est-ce le maître qui vous trouve ?

Francis Lucille : C’est votre désir pour la vérité qui trouve le maître.

Question : La joie est notre vraie nature ; or la joie se perçoit, donc nous percevons notre vraie nature ?

Francis Lucille : Ce que nous appelons le bonheur est en fait notre vraie nature se percevant elle-même. L’état de bonheur est à la fois statique et dynamique. Le bonheur est la paix au repos, la joie est la paix en mouvement. (Shiva et Shakti). Dans l’évangile de Thomas, Jésus dit que la nature de la lumière (la conscience) est un repos et un mouvement.

Ce que nous sommes réellement, nous ne pouvons le percevoir comme une perception externe, mais nous pouvons le percevoir. Il existe une autre voie de perception, une voie qui n’est pas mentale. Il faudrait utiliser un autre mot : « aperception ». On l’expérimente quand on essaie de se poser la question : « Suis-je conscient en ce moment ? ». La réponse qui vient, vient d’une source qui n’est ni sensorielle ni mentale. L’ « aperception » est ce qui vous permet de dire : « En ce moment, il y a conscience ».

C’est ce que nous appelons compréhension. Quand je parle, vous suivez le déroulement de ma pensée, mais vous ne savez pas où elle conduit. La pensée s’achève dans sa compréhension ; elle doit être achevée pour être comprise. Quand la compréhension commence, elle est en même temps une fin. La pensée qu’elle comprend vient de se finir. La compréhension est une « aperception ».

La joie est la conscience qui se connaît elle-même. Dans l’expérience de la joie relative, on ressent cette joie par le filtre d’un objet ; dans la joie absolue, il n’y a ni filtre ni limitation. La source est toujours dans l’expérience, si ténue soit-elle, de la conscience.

Question : Est-ce qu’on a quelque chose à faire ?

Francis Lucille : Tant que nous croyons que nous sommes l’auteur de nos actes en tant que personne, il y a quelque chose à faire. Mais il faudrait le faire sans effort, suivre l’élan de notre cœur, de notre intelligence, de notre intérêt (qui peut se transformer en passion).
Parfois, moins est plus : faire moins et procéder d’une manière souple et sans effort, par compréhension. Dans la compréhension, il n’y a pas de discipline, il y a une adhésion totale, une préservation et un accroissement naturel de l’enthousiasme. Il convient d’être le gardien de notre enthousiasme qui est la véritable qualité spirituelle. L’enthousiasme suffit. Il nous faudrait savoir aller où notre enthousiasme nous porte et cesser d’y aller lorsque notre enthousiasme ne nous porte plus. L’enthousiasme est le tao, la joie. Comment plus de souffrance pourrait nous emmener vers le bonheur et la liberté ?

(Merci à Anne de m'avoir envoyé ses notes prises durant cet entretien.)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci. Il est plutôt rare de trouver des extraits avec Francis Lucille. Est-ce votre propre transcription ?
Avez-vous d'autres choses de lui ?

Patrice a dit…

Bonjour,

Merci pour votre appréciation.

Une amie a assisté à la rencontre qui était organisée à Paris en juillet dernier et à pris quelques notes qu'elle a eu la gentillesse de m'envoyer (il en sera de même pour la venue en septembre prochain de Jean Bouchart d'Orval).

Je n'ai hélas pas d'autres textes, exception faite de celui que m'a fait parvenir Brigitte Chatoney, la personne qui s'occupe de la venue de Francis Lucille en France. Ce texte fait suite à "Une tornade de liberté" (peut-être vais-je d'ailleurs le mettre à part).

Bien à vous.

P. G

Anonyme a dit…

D'accord. J'ai vu le nouveau texte. Merci ! C'est un blog de grande qualité. Je m'y suis abonné sur ma page netvibes.