Face à un public possédant une bonne connaissance de base du bouddhisme, des dialogues profonds et animés s'instauraient. « Il y a la pensée et le fait d'être conscient de cette pensée. Et la différence entre les deux est considérable. Énorme... En temps normal, nous nous identifions tellement à nos pensées et à nos émotions que nous nous confondons avec elles. Nous sommes le bonheur, nous sommes la colère, nous sommes la peur. Il faut que nous apprenions à prendre du recul et à reconnaître que nos pensées et nos émotions ne sont que des pensées et des émotions. Elles ne sont que des états mentaux. Elles n'ont pas de solidité, elles sont transparentes. Il faut en être conscient, le savoir véritablement afin de ne pas s'identifier avec le sujet connaissant. Il faut savoir que la conscience connaissante n'est pas une personne au sens d'une entité autonome et permanente.»
Un silence s'installa, pendant lequel cette affirmation essentielle pénétra lentement l'esprit de l'assistance. Puis une voix:
«Le sujet connaissant n'est pas la personne... C'est difficile!
- Oui! C'est la grande vue pénétrante du Bouddha, reprit Téndzin Palmo d'une voix pleine de respect.
- Quand on a reconnu qu'on n'est pas la pensée ni l'émotion, on croit qu'on a tout compris, mais aller plus loin et savoir qu'on n'est pas le sujet connaissant nous amène à poser la question suivante : qui suis-je?
- C'est en effet la grande sagesse du Bouddha: plus on approfondit l'analyse, plus la qualité de notre conscience est l'ouverture et la vacuité. Au lieu de trouver une petite parcelle d'entité éternelle qui serait le "moi", on revient à cet esprit vaste et spacieux qui est en interdépendance avec tous les êtres vivants. Dans l'état où nous sommes, on se demande où est le "moi" et où est l"autre". Tant que l'on reste dans le domaine de la dualité, il y a un "moi" et un "autre". C'est l'erreur fondamentale, la cause de tous nos problèmes. C'est aussi la raison pour laquelle on a l'impression d'être très isolé. Là réside l'ignorance foncière. »
Le ton de Téndzin Palmo n'admettait pas de réplique quand elle exposait la quintessence du bouddhisme : la vacuité, remède à tous les maux de l'humanité.
Le dialogue avec l'auditoire se poursuivit
«Alors, cette dualité, ce sentiment d'être séparé, est la cause de notre souffrance fondamentale, cette profonde solitude que l'être humain éprouve au tréfonds de lui-même?
- Bien sûr. C'est la cause de toutes nos souffrances. L'ignorance selon le bouddhisme ne se situe pas au niveau intellectuel où nous l'entendons, nous, mais c'est l'ignorance dans le sens de la méconnaissance. Nous créons ce sentiment d'un "moi", ainsi que tout le reste qui est le "non-moi". Et de là vient cette attirance pour les "autres" que "je" désire et cette répulsion envers tout ce que "je" ne veux pas. C'est la source de nos désirs, de nos aversions et de tous nos défauts. Tout vient de cette appréhension duelle qui est fondamentalement erronée.
«Une fois qu'on a compris que la nature de notre existence est au-delà des pensées et des émotions, qu'elle est incroyablement vaste et en rapport d'interdépendance avec tous les êtres, ces sentiments d'isolement et de séparation, de peur et d'espoir disparaissent d'eux-mêmes. C'est un immense soulagement! »
Une fois exposée cette vérité mystique qu'ont découverte les saints de toutes les religions, la joie de l'unité qui surgit quand l'ego a disparu, l'auditoire n'avait plus qu'à en faire l'expérience.
«La raison pour laquelle nous ne sommes pas des êtres éveillés est la paresse (Téndzin fit cette découverte dans sa grotte et elle y voit l'un de ses écueils principaux). Il n'y a pas d'autre raison. On ne se donne pas la peine de revenir au présent parce qu'on est trop fascinés par tous les jeux de l'esprit.