On trouvera dans cet ouvrage les interviews de sept personnes «ordinaires» qui ont connu l’éveil spirituel. Ces sept histoires détruisent une fois pour toutes le mythe selon lequel l’illumination est réservée à des gens «spéciaux». Cet éveil se caractérise par la disparition de l’impression d’être un individu séparé. Il transcende religions, idéologies, croyances et même les notions d’éveil et d’illumination.
Sally Bongers est réalisatrice de films, directrice de photographie et photographe. Elle vit à Sydney en Australie. Son parcours spirituel l’a conduite sucessivement auprès de Muktananda, UG Krishnamurti, Ramesh Balsekar, Bob Adamson et Tony Parsons.
Publié aux Éditions Lotus d'Or
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Fin de l'histoire
D.A. Je suis toujours très réticent à entrer trop profondément dans l'histoire de D. parce qu'en fait elle n'existe pas. C'est un tableau imaginaire fabriqué en cet instant. Si bien que j'y pense très rarement et je ne garde aucune trace de ce qui est arrivé en telle ou telle année.
J'ai 44 ans. Je suis né dans le nord-est de l'Angleterre. Mon père était ingénieur et travaillait pour la compagnie ICI. Je crois que cette région ne me plaisait pas beaucoup. Ma famille est partie dans le nord-ouest quand j'avais cinq ans et là je me suis senti chez moi. Je suis entré à l'université de York, j'ai fait des études de musique, puis j'ai joué et composé de la musique.
Je m'étais toujours intéressé au Zen, au yoga et à la méditation. Cela a commencé je pense à l'âge de seize ou dix-sept ans. Je vivais près de Manchester et il y avait là une excellente bibliothèque. Je me suis dit que j'allais commencer au '000' du système décimal de Dewey. Par chance, '000' est la section philosophie ! C'est ainsi que j'ai découvert des livres sur le yoga. J'en ai ramené certains à la maison. Ils parlaient de cette chose appelée 'illumination'. Cela semblait si extraordinaire! « Pourquoi tout le monde ne s'efforce-t-il pas d'obtenir cette chose?» me demandais-je. «Cela semble fantastique!»
Je m'y suis mis et j'ai essayé certaines techniques de méditation. C'était dans les années 70, la grande époque de la Médi tation Transcendantale. Papa et maman ont essayé la MT, mais ça ne marchait pas tellement. Je lisais beaucoup sur le Zen, faisais un maximum de méditation ; j'expérimentais. Je ne suis jamais resté bien longtemps dans une tradition. J'étais très paresseux. Je le suis toujours. Je ne suis pas resté vingt ans dans un monastère Zen... (rire)... ni dix ans, ni même un an. J'ai fait un seul week-end en France ! Mais j'ai eu de la chance. J'habitais dans Finsbury Park, et il y avait un centre bouddhiste tibétain tout à côté ;je l'ai fréquenté pendant environ trois ans. Je crois que c'est la plus longue période que j'aie jamais passée avec un groupe religieux.
Un premier événement important fut une retraite d'été avec Douglas Harding ; une expérience étonnante. Je me souviens qu'après cette retraite, quand je suis retourné travailler, je fonctionnais au ralenti et faisais de grands sourires à tout le monde, car tout le monde "était moi-même". Tout y était. Les larmes de joie et l'amour, et toutes ces niaiseries. Mais au bout de quelques semaines, tout s'est estompé et je me suis retrouvé à la case de départ. Toujours en train de lire des livres sur le Zen, toujours le même.
De temps à autre je plongeais dans des états béatifiques, des moments d'extase après la lecture d'un certain passage d'un livre ou en écoutant une merveilleuse musique ; et bien sûr, à certains moments j'y ai cru: « Bon sang! Merveil leux, incroyable, ça y est! Je suis illuminé!» Et puis deux jours plus tard il n'y a plus rien et fatigué, vous vous dites: « Bon, tout ça c'est de la rigolade. Je ne veux pas d'une expérience temporaire.»
Et puis rien de vraiment intéressant jusqu'en 2000, où je suis allé pour la première fois à une réunion avec Tony Parsons. J'ai été totalement emballé. J'étais rempli de joie, c'était le bonheur total. Puis je suis allé aux réunions de Nathan Gills et à celles de Roger Linden, et voilà ! (rire). Fin de l'histoire. (rire)
Je me souviens de cette toute première rencontre. À la fin, Tony Parsons s'est levé et m'a étreint. Je n'ai rien pu dire. J'ai simplement continué à venir à toutes les réunions. Comme dit Tony : Tout ce que je fais, c'est vous rappeler ce que vous savez déjà. » Ainsi, au fond de moi je m'étais toujours douté que c'était la réalité ; mais on s'éloigne progressivement de cette perception du fait d'un conditionnement. Quand vous voyez en face de vous quelqu'un vous dire ce que vous savez déjà sur la réalité, vous ressentez une immense joie : Mais oui, mais oui ! J'avais raison. J'avais raison. Depuis toujours. Je pensais que je me trompais, que j'étais fou. Mais c'est vrai ! » J'ai continué à fréquenter Tony un petit bout de temps. Puis les moments de bonheur se sont peu à peu estompés. Tout est redevenu normal et "pas terrible". Je crois que ce fut le grand tournant.
En 2004 j'étais dans une sorte de zone neutre. Je lisais des tonnes de livres sur la non-dualité et j'ai assisté à une foule de réunions avec Tony Parsons, avec Nathan Gills et avec Roger Linden ; mais c'était plutôt une sorte de divertissement, quelque chose que je devais faire, quelque chose qui m'intéressait. À la maison je ne faisais pas d'efforts désespérés pour essayer de comprendre : «Comment faire ceci ? Comment obtenir cela ? Quelle est la chose qui me manque ? » Je n'y pensais absolument pas. J'ai simplement laissé tout cela passer. Il est arrivé un moment où j'ai tout compris ; la totale compréhension intellectuelle. Mais on sait que ce n'est toujours pas ça. Et on sait qu'on ne peut rien faire. On se traîne dans d'autres réunions. On est mort.
J'avais une petite amie qui l'a obtenu quatre mois avant moi. C'était terriblement ennuyeux. Elle avait un intellect phénoménal et un esprit extrêmement affûté. Cela faisait quatre ans que j'allais à ces réunions avec Tony et Roger ; mais elle, elle arrive et au bout de six semaines tout est terminé. Tout est vu très clairement. Elle était affublée d'un petit ami qui ne l'avait toujours pas obtenu, cet idiot qui continuait d'aller à des réunions sur la non-dualité. (rire) Elle a refusé de continuer d'aller à ces réunions : « Bon sang, je préférerais me trancher la tête plutôt que d'aller à une autre de ces sacrées réunions sur la non-dualité ! »
Je crois que la chose la plus importante qui est arrivée avant le "grand événement", ce fut l'échec dans de nombreux secteurs de ma vie. J'étais dans un profond état dépressif parce que tout avait mal tourné. Je préparais une licence de composition musicale et au début des années 80 je me faisais encore des illusions en croyant que l'on pouvait gagner sa vie en tant que compositeur de musique classique. J'ai vu les commandes diminuer progressivement et finalement il est arrivé un moment où je ne pouvais même plus payer mon loyer. Il y avait donc échec professionnel d'un côté, et de l'autre échecs sentimentaux et échec financier. Tout le château de cartes s'effondrait.
C'était l'été. 2004. J'étais désespérément amoureux et je vivais pratiquement avec cette fille. Elle m'a laissé tomber. C'était vraiment le bouquet final. Je n'avais qu'elle, elle était la lumière de ma vie. Et puis cette lumière a été soufflée : Boum ! Il ne me restait plus rien. Seulement ce gros trou noir, la dépression. J'étais fou de douleur ; mais j'ai refoulé cela et me suis dit : « Allons, tout va bien. Je trouverai quelqu'un d'autre. Je n'ai pas besoin d'elle. » Je suis parti et je me suis efforcé de l'oublier.
Environ un mois plus tard, je crois, Wayne Liquorman est venu donner une conférence à Londres. J'y suis allé et elle était là elle aussi. En la revoyant, tout cet horrible chagrin a brusquement refait surface. Je me suis rendu compte combien elle me manquait. Ce jour-là nous avons parlé environ une demi-heure, puis elle est partie. Pendant les quelques semaines qui ont suivi mon moral était au plus bas.
Je suis allé au week-end de Roger Linden. J'étais très déprimé et cela s'aggravait de jour en jour. Par chance, nous avions convenu d'une rencontre en tête-à-tête pour le lundi suivant. Nous avons fait uniquement de la thérapie. Roger m'a fait sentir tout ce désespoir et toute cette douleur, puis m'a demandé de tout laisser sortir. À la fin nous avons parlé un tout petit peu de non-dualité. Il parlait du témoin. Je crois qu'après avoir lu des tas de livres de Douglas Harding et être allé à un grand nombre de ses retraites, j'avais fini par m'imaginer que le témoin était quelque chose qui se tenait juste derrière et au-dessus de moi, localisé à cet endroit. Je me souviens que Roger m'a dit: Non, non. Tout est le témoin! » Brusquement cela a fait tilt. Roger pouvait voir que quelque chose s'était produit. Il m'a regardé et a dit : « Oui, mais il y a encore dualité, n'est-ce pas ? « Oh oui, absolument, » ai-je dit. » Convenons d'une autre séance, » a-t-il dit.
Le vendredi suivant, après le bavardage habituel, Ro ger a dit : « Faisons une pause.» J'ai fermé les yeux et me suis détendu; et alors, pouf ! Tout a disparu. Quand j'ai ouvert les yeux, il a demandé: «Comment était-ce? » et j'ai dit: «Impossible à dire.»
Je crois que c'était totalement indicible. En un sens il ne s'est absolument rien passé, et c'est ce qui était si extraordinaire. L'image de soi a disparu. L'idée habituelle que l'on se fait de soi s'est progressivement estompée, jusqu'au moment où il n'y avait que ce qui est vu, suspendu là dans le néant, dans le vide.
Roger a posé quelques questions pour vérifier si c'était parfaitement clair et s'assurer qu'il n'y avait pas de points aveugles. Puis il a demandé : « Et bien, avez-vous obtenu ce que vous étiez venu chercher? » (rire) « Oui, merci ! » ai-je dit. (rire) Nous nous sommes serré la main et j'ai descendu la rue en titubant, totalement époustouflé.
D. avait disparu et il n'y avait que ce vide descendant la rue. Heureusement je ne travaillais pas à l'époque et j'habitais dans un appartement très joli au bord de la Tamise ; aussi ai- je passé les quatre ou cinq jours suivants assis au bord du fleuve, ne faisant absolument rien, regardant fixement devant moi, observant le cours de la Tamise, les arbres, les oiseaux et le soleil sur l'eau. Je ne pensais pas, mais j'avais comme cette impression : « Oh, Dieu merci, tout est terminé. » Et tout est devenu clair.
Quand la recherche s'est arrêtée, ce fut quelque chose de massif, d'énorme, pas seulement psychologique mais physique également. Certaines personnes ont remarqué que quelque chose avait changé. Quand je suis revenu de cette rencontre fatidique avec Roger, ma compagne — pratiquante assidue du bouddhisme tibétain — m'a regardé. Elle se doutait de ce qui s'était passé.
Pour moi, ce n'était pas la béatitude en réalité. C'était une libération et un énorme soupir de soulagement. C'était la paix. Et puis tout est redevenu normal ; mais Dieu merci sans cette recherche insensée. Je dis souvent : C'est comme si pendant quarante ans vous aviez eu une très mauvaise fièvre, une maladie tropicale; comme si vous étiez alité et en proie au délire, vous débattant désespérément. Et puis un beau matin vous vous réveillez et la fièvre est partie. Plus de délire.
Vous descendez acheter du lait, et c'est tout. Après la folie, c'est le retour à la normale. » Et une fois que cette impression fondamentale de séparation a été percée à jour, ça y est. On sait. C'est terminé. 'L'expérience' spéciale extraordinaire est finie, comme toutes les expériences n'est-ce pas. Évanouie, complètement envolée. Par bonheur je ne suis pas tombé dans le piège, je n'ai pas cru que l'expérience de pointe était 'ça'. Heureusement, je savais : <‹ Non. 'Cela' c'est simplement l'essence existentielle. Ce qui est, est ce que tout le monde cherchait ; c'est fou ! C'est insensé, parce qu'il y a seulement ce qui est.»
Ce qui se passe réellement quand la recherche cesse, c'est simplement la réalisation de l'essence existentielle. Ce n'est pas une expérience. On se dit : » Oh, c'est donc tout ! » Et cela ne disparaît jamais. Peu importe quelle expérience se produit, que ce soit l'ennui, une gueule de bois ou une migraine. Toutes sortes de stupidités peuvent encore se manifester, bien sûr : comportement égoïste, ignorant, toutes les stupidités imaginables — être paresseux, refuser de faire la vaisselle, le ménage. Toutes sortes de faiblesses humaines sont encore présentes.
Donc le truc spirituel est réglé. La recherche spirituelle a cessé, oui, absolument. Mais seulement la recherche spirituelle. On peut continuer à chercher de l'argent, à vouloir une femme, à vouloir un logement, à vouloir toutes les choses habituelles ; tout cela continue. Peut-être de manière un peu moins obsessive. Accessoirement.
Tout est plus facile maintenant, mais il y a encore des problèmes. Problèmes d'argent, de santé, de relations humaines, etc., en particulier les relations humaines. La souffrance vient en grande partie du fait qu'on y pense sans cesse, et ceci a diminué par rapport à ce que c'était auparavant. Je crois que ça dépend des gens. Mais les problèmes sont toujours des problèmes. Vous continuez de tomber amoureux des gens qui vous conviennent le moins et vous vous ridiculisez ; puis vous êtes complètement bouleversé quand ils vous laissent tomber, exactement comme tout le monde. Une vie normale, vraiment.
Il y a capacité croissante de se détacher des pensées et de ne plus en être l'esclave. Cela dépend des gens. Certains continuent sans se soucier de leur degré d'implication, parce qu'en fait cela ne fait aucune différence. Je veux dire, l'unité est l'unité, la conscience est la conscience ; alors vous pouvez penser autant que vous voulez. Néanmoins, quand vous avez vu toute la souffrance créée par la pensée, alors, du moins dans mon cas, c'est plutôt une bonne idée de la laisser tomber, à moins d'être masochiste ! Il n'y a pas de grande différence dans la nature de la pensée ; on a simplement un peu moins tendance à s'identifier et à se perdre totalement dans des nuages de pensée, qui voue entraînent dans une histoire. C'est tout.
En même temps, on se dit : II n'y a que l'unité. Il n'y a que conscience, alors c'est sans importance. » Se laisser prendre, c'est très bien ; être totalement perdu dans les nuages de pensée, c'est très bien. Tout est un. Cela n'a pas d'importance, c'est vrai.
Souvent les gens confondent certains types de comportement avec la libération. Par exemple, ceux qui ont suivi pendant des années une formation de psychothérapeute ont une certaine façon de se comporter avec les autres, d'être en relation avec les gens : ils se montrent très attentifs, présents, font preuve de calme et de sérénité. Ceci n'a absolument rien à voir avec la libération. Les gens prennent ces caractérisa tiques pour un signe d'illumination, alors qu'elles sont le signe d'une formation en psychothérapie. Je ne sais pas s'il y a vraiment des signes caractéristiques de la libération, sinon être un peu plus à l'aise et détendu.
1 commentaire:
Merci pour ce texte touchant par son parler vrai. Enfin, l'éveil n'est plus "sanctionné" par l'obtention d'un diplome au plus "méritant", mais reconnu par le désir sans cesse renouvelé de voir le monde tel qu'il est : une grosse farce ou il n'y personne. Une illusion non pas à nier ou refouler, mais au contraire à embrasser dans un grand éclat de rire libérateur...
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