lundi 14 janvier 2008

• Comme des traces vides chevauchant les vagues - Daniel Odier

Comme des traces vides chevauchant les vagues

Daniel Odier

L'ego, c'est avant tout la séparation. Lorsque le désir ne se déploie pas vers l'ego, il s'immerge spontanément dans la conscience. Ainsi ce qui lie les êtres conditionnés par l'ego libère le tantrikâ et le désir s'épanouit en pur amour. Il n'y a plus alors d'obstruction. Si, dans la présence, nous pouvons descendre au plus profond de nous-mêmes, nous voyons clairement qu'il n'y a pas d'ego, qu'il n'y a pas de différenciation donc pas de dualité. A cet instant, la peur n'est plus présente et nous pouvons enfin, par instants, connaître la condition du sahajiyâ, adepte éveillé du spontané, manière dont se définissent les tantrikâ, qu'ils soient shivaïtes ou bouddhistes. Chinul, le grand maître Chan coréen du douzième siècle, exprime magnifiquement cette liberté dans son traité Les secrets de la culture de l'esprit : «Ainsi, pour les adeptes, le principe de maintenir également concentration et pénétration ou vision profonde n'est pas une question d'effort ; c'est spontané et naturel, sans plus de disposition de temps. En voyant et en écoutant, ils sont simplement ainsi ; en se vêtant et en se nourrissant, ils sont simplement ainsi ; en déféquant et en urinant, ils sont simplement ainsi ; en conversant, ils sont simplement ainsi : quoi qu'ils fassent, marchant, debout, assis, couchés, parlant, silencieux, pleins de joie ou de colère, en tout temps et en toute activité, ils sont ainsi, comme des traces vides chevauchant les vagues, allant avec les hauts et les bas, comme une rivière se faufilant entre les montagnes, se courbant dans les sinuosités et se redressant dans les lignes droites, sans se préoccuper d'aucun état d'esprit, allant avec la nature, bouillonnant, s'adaptant à toutes les situations sans inhibition et sans entraves, sans arrêter ni nourrir le bien et le mal, simples et directs, sans artifices, avec une perception normale'. »

Pour les tantrikâ, l'ego lui-même n'a d'autre noyau que la conscience. Dès qu'il se détend un peu, sa nature fondamentalement absolue se libère. L'ego n'est donc pas plus à trancher que tout ce qui fait un être humain, il suffit de saisir sa nature originelle immaculée et spatiale.

Le Vijñânabhaïrava tantra donne cette très belle définition de la méditation : « Un esprit stable et dépourvu de caractéristiques, voilà la vraie contemplation » alors que les sahajiyâ parlent de « conscience égale au repos ». Lorsque l'esprit se trouve ainsi apaisé, il est enfin capable de refléter la réalité telle qu'elle est et non telle que nous la voudrions. Cette réorchestration incessante de notre esprit qui s'efforce de voir le monde comme il l'imagine nous fatigue et nous fait souffrir. Un esprit paisible réalise qu'il a la capacité de tout saisir dans l'instantanéité. II n'a plus à stocker les matériaux de la réalité pour les traiter ultérieurement. II voit les choses directement, sans projections et sans jugements, dans leur évidence, dans leur réalité nue.

Extrait du livre Désirs, passion & spiritualité - Daniel Odier - Pocket

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je découvre ce blog. Plein de textes intéressants que je vais lire, merci :-)

Proposition : les traditions de l'Orient sont celles qui ont exprimé, proposé "l'Éveil" de la manière la plus "pure". Mais il n'y a là rien d'autre qu'une description du "réel" et de l'"irréel", donc en poussant la réflexion scientifique, philosophique... la réflexion tout court, jusque dans ses derniers retranchements, on arrive au même non-point. Un peu à la manière de Wei wu wei. Les témoignages, les indices de l'éveil sont partout. Bonheur de les trouver ici :-)