La Mystique sauvage
«Étais-je aspiré par l'univers, ou l'univers pénétrait-il en moi ? Ces expressions n'ont guère de sens en l'occurrence, puisque les frontières entre mon corps et le monde s'évanouissaient, ou plutôt semblaient n'avoir été qu'une hallucination de ma raison, qui fondait aux feux de l'évidence... Tout était là, plus présent que jamais...»
«Je ne vis aucune chose nouvelle, mais je vis toutes les choses habituelles dans une lumière nouvelle et miraculeuse, dans ce qui, je crois, est leur véritable lumière. Je perçus l'extravagante splendeur, la joie, défiant toute tentative de description de ma part, de la vie en sa totalité. Chacun des êtres humains qui traversaient la véranda, chaque moineau dans son vol, chaque rameau oscillant dans le vent était partie intégrante du tout, comme pris dans cette folle extase de joie, de signification, de vie enivrée. Je vis cette beauté partout présente... Une fois au moins, au milieu de la grisaille des jours de ma vie, j'aurai regardé dans le cour de la réalité, j'aurai été témoin de la vérité.»
Marius Favre
«L'éternité est là, maintenant. Je suis dedans. Elle est autour de moi dans l'éclat du soleil. Je suis en elle comme le papillon qui flotte dans l'air saturé de lumière. Rien n'est à venir. Tout est déjà là. Maintenant l'éternité. Maintenant la vie immortelle. Ici, en cet instant, près de ce tumulus, maintenant, je vis en elle...»Richard Jefferies
«Journée du 31 août 1856. La rue est silencieuse, un rayon de soleil tombe de ma chambre, un recueillement profond se fait en moi ; j’entends battre mon cœur et passer ma vie… l’immensité tranquille, le clame infini du repos, m’envahit, me pénètre, me subjugue. Il me semble que je suis devenu une statue sur les bords du fleuve du temps… Dans ces moments, il semble que ma conscience se retire dans son éternité. Elle regarde circuler en dedans d’elle ses astres et sa nature, avec ses saisons et ses myriades de choses individuelles, elle s’aperçoit de sa substance même, supérieure à toute forme, contenant son passé, son présent et son avenir, vide qui renferme tout, milieu invisible et fécond, virtualité d’un monde qui se dégage de sa propre existence pour se ressaisir dans son intimité pure. En ces instants sublimes, le corps a disparu, l’esprit s’est simplifié, unifié ; passions, souffrances, volontés, idées se sont résorbées dans l’être, comme les gouttes de pluie dans l’océan qui les engendre. Cet état est contemplation et non stupeur. Il n’est ni douloureux, ni joyeux, ni triste ; il est en dehors de tout sentiment spécial, comme de toute pensée finie. Il est la conscience de l’être et la conscience de l’omnipossibilité latente au fond de cet être. C’est la sensation de l’infini spirituel. C’est le fond de la liberté.»Henri Frédéric Amiel
«Soudain, à l’église, en société ou occupé à lire — et toujours, me semble-t-il, lorsque mes muscles étaient au repos —, je ressentais l’approche de cette atmosphère. Avec une force irrésistible, elle s’emparait de mon esprit et de ma volonté, durait ce qui me paraissait une éternité, et s’effaçait en une série de sensations rapides, semblables à celles qui accompagnent le réveil d’une anesthésie. L’une des raisons pour lesquelles je détestais cette espèce de transe était mon incapacité à m’en donner à moi-même une description. Maintenant encore, je ne parviens pas à trouver les mots qui la rendraient intelligible. Elle consistait en une oblitération graduelle, mais rapide, de l’espace, du temps, de la sensation et des multiples données d’expérience qui paraissent qualifier ce que nous nous plaisons à appeler notre Moi. A mesure que disparaissent ces conditions de la conscience en sa forme ordinaire, s’intensifiait le sentiment d’une forme sous-jacente et essentielle de conscience. A la fin ne demeurait qu’un Moi pur, absolu, abstrait. L’univers devenait informe et vide de contenu. Mais le Moi subsistait, formidable en sa vivante acuité, en proie au doute le plus poignant sur la réalité, prêt, semblait-il, à voir l’existence éclater comme une bulle de savon. Qu’arrivait-il alors ? L’appréhension d’une dissolution imminente, la sombre conviction que cet état représentait l’état ultime du Moi conscient, l’impression d’avoir suivi le dernier fil de l’être jusqu’au bord de l’abîme et obtenu comme une démonstration de la Maya, de l’universelle illusion. Tout cela me remettait, ou paraissait me remettre, sur la voie du retour aux conditions de l’existence consciente.»
John Addington Symonds«Je ne vis aucune chose nouvelle, mais je vis toutes les choses habituelles dans une lumière nouvelle et miraculeuse, dans ce qui, je crois, est leur véritable lumière. Je perçus l'extravagante splendeur, la joie, défiant toute tentative de description de ma part, de la vie en sa totalité. Chacun des êtres humains qui traversaient la véranda, chaque moineau dans son vol, chaque rameau oscillant dans le vent était partie intégrante du tout, comme pris dans cette folle extase de joie, de signification, de vie enivrée. Je vis cette beauté partout présente... Une fois au moins, au milieu de la grisaille des jours de ma vie, j'aurai regardé dans le cour de la réalité, j'aurai été témoin de la vérité.»
Margaret Montague
J’ai dû rester là plusieurs minutes, en état de transe, me répétant sans user de mots : « Ceci est parfait, parfait », jusqu’à ce que je prenne conscience de quelque gêne légère à l’arrière-plan de mon esprit, quelque circonstance triviale venant déparer la perfection de ce moment. Alors, je me rappelai la nature de cet ennui intempestif : j’étais, bien sûr, en prison et susceptible d’être fusillé. Mais cela fut suivi aussitôt d’un sentiment dont la traduction verbale serait : « Et alors ? C’est tout ? Tu n’as donc pas de plus sérieux motif de souci ? » La réponse était aussi spontanée, fraîche et amusée que si l’ennui en question avait été la perte d’un bouton de chemise. Ensuite je flottai sur le dos, emporté par une rivière de paix sous des ponts de silence. Elle venait de nulle part et coulait vers nulle part. Ensuite, il n’y eut plus de rivière, ni de moi. Le Moi avait cessé d’exister… Quand je dis « le Moi avait cessé d’exister », je fais allusion à une expérience concrète, aussi verbalement incommunicable que l’émotion soulevée par un concerto pour piano, aussi réelle et même bien plus réelle… Le « Moi » cesse d’exister en ce sens que, grâce à une certaine osmose mentale, il est entré en communication avec le réservoir universel ou s’est résorbé en lui. C’est ce mouvement de dissolution et d’expansion illimitée qu’on appelle le « sentiment océanique », l’épuisement de toute tension, la catharsis absolue, la paix qui passe toute compréhension.
Arthur Koestler
Textes extraits de La Mystique sauvage de Michel Hulin (PUF)
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