Éveil spirituel et mouvement non-duel
Thierry Vissac
Le sommeil désigne le fait de vivre dans l'illusion.
L'éveil spirituel est donc l'émergence de la conscience hors du monde fantasmagorique des illusions, un peu comme la conscience sort du sommeil après une nuit de cauchemars.
Quelles sont les illusions ?
- Croire que la vie s'organise par notre intelligence personnelle (contrôle, maîtrise, projections sur l'avenir) et perdre de vue l'Intelligence de la Vie qui organise toute chose.
- Croire que nous sommes une "personne solitaire", contre les autres, séparée de tous et en danger permanent (nécessité continuelle de se protéger) puis déplorer la guerre, le conflit, la violence et l'impossibilité à être réellement en relation qui en découle.
- Investir uniquement dans le transitoire comme s'il était éternel (famille, profession, propriétés ...) et se révolter amèrement contre le déchirement et la souffrance qui en découlent chaque fois que l'évanescence de nos projets se révèle.
- Croire qu'il existe un(e) (ou des) autres qui pourraient nous apporter le bonheur (le mythe de l'âme soeur) ou qui seraient au contraire responsables de notre malheur, puis pleurer parce que notre quête est sans fin et toujours frustrée.
- Croire en l'autorité et la suprématie de la pensée et de l'intellect (et donc du jugement) et souffrir de la division qu'ils engendrent.
Que produit l'éveil spirituel ?
L'éveil spirituel, par la dissolution des croyances évoquées ci-dessus, révèle notre unité intrinsèque avec les mouvements de la vie (contre lesquels nous luttions en permanence), notre lien avec nos congénères, l'éternité de l'existence (au-delà des projets et objets de l'univers personnel), la réalisation que nos illusions sont la cause unique de toute souffrance, ainsi que l'émergence de la joie et la paix qui naissent de l'accueil de ce qui est, l'ouverture du coeur qui en résulte relâchant spontanément l'emprise du mental, de la certitude intellectuelle et de tous les cadres étroits que nous avions pris pour "notre vie"...
Le mouvement non-duel est investi par la peur.
Les forums spécialisés sur Internet et certains commentaires à la sortie des Satsang donnent la mesure d'une douloureuse confusion qui règne dans cet enclos fermé. Cette confusion repose sur une terreur d'être qui tente de se travestir en accomplissement spirituel. Les victimes de la pensée non-duelle (c'est-à-dire, de la compréhension intellectuelle qu'elles ont de la non-dualité) connaissent par coeur tous les principes, toutes les formules qui servent alors la fuite de soi, dans une attitude "impersonnelle" qui s'avère être une coupure volontaire avec cet univers personnel, troublant et mal-aimé.
A entendre certains des adeptes, il n'y a "plus personne", par exemple. Ce tour de passe-passe verbal ne parvient pourtant pas à cacher la crispation perceptible ni les colères rentrées qui se bousculent derrière le paravent de l'équanimité et du mimétisme. Beaucoup clament haut et fort qu'ils sont en contact avec "ce qui est là". Mais "ce qui est là" est très souvent autre chose que "ce qui est là", en réalité. Il est vrai que beaucoup d'enseignants, en utilisant une expression semblable, ne désignent en fait pas "ce qui est là", mais ce qui est derrière ce qui est vraiment là. Finalement, on n'y est jamais, tout en prétendant y être parce que le réel a toujours un R majuscule, il est toujours au-delà, et finit par perpétuer la distance, la séparation ... avec "ce qui est là". On s'invente une Paix qui n'est jamais vraiment vécue, simplement parce qu'on entend qu'elle devrait y être ou "qu'elle est déjà là".
J'ai rencontré des dizaines d'adeptes de la non-dualité et la plus grande partie d'entre eux sont enfermés dans un système fallacieux de détachement, de spiritualité mentale, de négation et d'arrogance, possédant une maîtrise parfaite du langage tout en manifestant une grande réactivité à chaque fois que l'on approche de leur sensibilité.
Cette fuite pathétique et déchirante demande à être éclairée car la perspective non-duelle, dans son inspiration la plus pure, n'est pas une mascarade. Elle invite à l'abandon des masques. Les avantages apparents du masque non-duel sont dérisoires à l'égard de ce que la sagesse non-duelle désigne comme l'avènement d'une réalité vivante.
Dans les cercles non-duels, l'émotion est un "no-man's land" gardé par d'austères cerveaux blindés.
Comment se produit un tel glissement ?
Après avoir subi les nombreux détours de la quête spirituelle, le chercheur, désespéré de n'être pas parvenu à éliminer ces émotions et ces tourments si envahissants, rencontre cette "pensée" qu'est devenue la non dualité, et qui lui offre un apaisement sous la forme d'un tranquillisant mental.
La question clé de l'adepte non-duel : "Qui suis-je ?" est ainsi interprétée comme niant cette "humanité" troublante dont les chercheurs spirituels veulent compulsivement se défaire.
Il ne s'agissait bien sûr pas d'exclure quoi que ce soit.
Ne pas exclure ne signifie pas rester identifier mais nous devons comprendre que la volonté farouche d'ignorer un versant quelconque de l'existence est une fuite. Cela devient alors un jeu intellectuel.
Il y a en fait "une voie du milieu". Le tourment de l'incarnation doit être accueilli, sans quoi nous ne faisons que nier une évidence qui se charge d'ailleurs de venir nous courtiser à tout instant.
La réponse à "Qui suis-je ?" peut inciter celui qui en fait un dialogue mental à entretenir une position de refus. Le comportement de cette victime de la spiritualité mentale cherche alors à ressembler à l'idée qu'elle se fait de la paix et de l'équanimité. Elle se conforme à des images mentales, des fantasmes.
Pourtant, la réponse à "Qui suis-je ?" ne dicte rien, ni une expression verbale convenue ni une quelconque attitude. Parce que "Je Suis" est Vivant, les formes de son expression éternelle ne "passionne" que celui ou celle qui cherche encore à plaire ou qui brigue une appartenance à un groupe, une élite. C'est toujours l'ego qui joue ses cartes en surface du Vivant mais dans ce qu'il considère alors comme "la cour des grands".
Nous devons être à l'écoute du Sens. La pensée, nous le savons, s'écoute elle-même et jouit de son pouvoir illusoire.
La non-dualité est le Sens. La manifestation est une cascade infinie de vérités éphémères, dont la pensée est un véhicule tout à fait louable quand il ne se prend par pour l'origine et le but de toute chose.
Il suffit parfois d'aller serrer la main du petit bonhomme qui se cache derrière le paravent, pour retrouver une fraîcheur muselée... et un soulagement infini.
Dans cette ouverture, il est possible que se révèle la véritable nature de la non-dualité. Car si on peut affirmer qu'elle est "déjà là", il ne suffit pas de le dire sur un lit de terreur et de mensonges pour que la Paisible nature de l'être se révèle.
Livres, CD audio, DVD et articles de Thierry Vissac : http://www.istenqs.org/Livres.htm
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire