Comme un feu qui couve, je portais en moi cette question toujours renouvelée : « Quel est cet état ? Je le veux. C’est fini, pourtant Krishnamurti m’a dit : « Vous n’avez aucun moyen de le savoir…». Malgré tout je veux absolument savoir quel est cet état, celui dans lequel vivait Bouddha, Sankara et bien d’autres instructeurs. »
Puis en juillet 1967, j’ai traversé une nouvelle phase. De retour à Saanen, Krishnamurti donnait ses conférences. Mes amis m’y entraînèrent : « Cette fois au moins c’est gratuit ! Pourquoi ne viendrais-tu pas l’écouter ? » « D’accord, j’irai. » Et tandis qu’effectivement je l’écoutais, il se produisit une drôle de chose — l’impression curieuse qu’il décrivait mon état et non le sien. (Pourquoi du reste aurais-je voulu connaître son état ?) Il décrivait certains mouvements, une certaine qualité de conscience et de silence. Il disait : « Dans ce silence, il n’y a pas de mental, il y a action », et ainsi de suite. « Mais, me dis-je, je suis dans cet état ! A quoi ai-je passé mon temps durant ces trente ou quarante années ? A écouter tous ces gens, à me mettre moi-même au défi, à vouloir à tout prix comprendre, son état et celui des autres, Bouddha ou Jésus ! Je suis dans cet état. A l’instant même, je suis dans cet état. » Aussitôt je quittai la tente sans plus jamais revenir en arrière.
Alors, très curieusement, la question « Quel est cet état ? » se mua en une autre : « Comment sais-je que je me trouve dans cet état, l’état de Bouddha, l’état que j’ai tant souhaité et que j’ai recherché un peu partout ? Je me trouve dans cet état, comment se fait-il que je le sais ? »
Le jour suivant (jour de mon 49e anniversaire), j’étais assis sur un banc à l’abri d’un arbre, devant l’un des plus beaux paysages qui soit au monde : les sept collines et les sept vallées de la région de Saanen. J’étais assis là. Ce n’est pas que la question était présente, mon être entier était la question. Je m’observais moi-même et je me disais : « Comment sais-je que je suis dans cet état ? En quelque sorte, je me divise intérieurement ; il y a en moi quelqu’un qui sait que je suis dans cet état. La connaissance de cet état – à savoir, ce que j’ai lu, ce que j’ai expérimenté, ce dont on m’a parlé –, c’est cette connaissance elle-même qui observe cet état, et c’est donc elle qui l’a projeté. Alors je me dis : « Trêve de plaisanteries, mon vieux ! Depuis quarante ans tu n’as pas avancé, tu n’as pas quitté la case de départ. La question qui te préoccupe relève encore et toujours du jeu des projections du mental. Ta position n’a pas changé et la question “Comment sais-je…?” participe du même jeu. Car c’est le mental, la description fournie de l’extérieur par toute une horde de gens, qui crée cet état de toutes pièces. Tu te fais des illusions. Tu es un beau crétin. » En un sens, je n’avais pas avancé d’un pouce, mais je gardais le sentiment étrange que c’était bien cet état.
La question me harcelait sans cesse. Puis, soudain, elle disparut. Il ne se produisit rien de spécial : la question disparut, tout simplement. Je ne me suis pas dit : « Oh ! Mon Dieu ! Cette fois je tiens la réponse ». L’état lui-même disparut – l’état où je croyais être, l’état de Bouddha, de Jésus… Même cet état avait disparu. La question ne se posait plus. J’en ai fini avec tout cela. Fini, terminé ! Depuis lors, il ne m’est plus jamais arrivé de me dire : « Désormais j’ai la réponse à toutes ces questions ». L’état, qui avait suscité la pensée : « Tiens ! Voilà cet état » – cet état avait disparu. La question avait disparu. C’en était fini, voyez-vous. Il ne s’agit pas de vacuité, pas de néant, pas de vide. Rien de cet acabit. Tout d’un coup, la question n’avait plus eu cours. Point final.
Alors la pensée ne peut plus établir de liaisons. L’enchaînement est rompu et la rupture est définitive. L’explosion de la pensée ne se produit pas une seule et unique fois. Chaque fois qu’une pensée surgit, elle se disloque. Ainsi la continuité prend fin et la pensée retombe dans son rythme naturel.
.../...
Ma tête, me semblait-il, était devenue si compacte qu’elle n’offrait plus aucune place aux interrogations superflues. Pour la première fois je prenais conscience de mon crâne comme d’une boîte close. Sans doute, certaines résurgences du passé (des “vasanas”… mais le mot utilisé importe peu) essayent bien parfois de montrer le bout du nez, mais le cerveau est si dense et compact qu’il ne laisse plus de place aux divagations. La division ne peut plus s’installer : c’est une impossibilité physique à laquelle vous ne pouvez rien changer. C’est pourquoi je dis que lorsque cette « explosion » se produit (j’emploie ce mot parce qu’il s’agit d’une sorte d’explosion nucléaire), elle laisse derrière elle des réactions en chaîne. Dans chacune des cellules de votre corps, jusqu’à la moelle des os, vous êtes atteint par ce « changement ». Je n’aime pas utiliser ce mot, et pourtant il s’agit bien d’un changement, et d’un changement irréversible. Impossible de revenir en arrière. Pour l’homme qui est passé par là, il n’est pas de « rechute » possible ; c’est irréversible : il s’est accompli une sorte de processus alchimique.
Je le répète : on dirait une explosion atomique, et tout votre corps vole en éclats. Ce moment est bien difficile à vivre, et c’est la fin de l’être humain. Une telle déflagration réduit le corps à néant, jusqu’à la dernière cellule, jusqu’au dernier nerf. J’ai subi alors de terribles tortures physiques. En fait, vous ne pouvez pas faire l’expérience de l’explosion, elle-même, mais seulement de ses ondes de choc secondaires, des « retombées ». Toute la chimie de votre corps s’en trouve modifiée.
Extraits de : Rencontres avec un éveillé contestataire - Éditions Les Deux Océans
Videos d'U. G. Krishnamurti
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4 commentaires:
"...Dans ce silence, il n’y a pas de mental, il y a action », et ainsi de suite. « Mais, me dis-je, je suis dans cet état ! A quoi ai-je passé mon temps durant ces trente ou quarante années ? A écouter tous ces gens, à me mettre moi-même au défi, à vouloir à tout prix comprendre, son état et celui des autres, Bouddha ou Jésus ! Je suis dans cet état. A l’instant même, je suis dans cet état. » Aussitôt je quittai la tente sans plus jamais revenir en arrière.
Alors, très curieusement, la question « Quel est cet état ? » se mua en une autre : « Comment sais-je que je me trouve dans cet état, l’état de Bouddha, l’état que j’ai tant souhaité et que j’ai recherché un peu partout ? Je me trouve dans cet état, comment se fait-il que je le sais ? »
Je crois comprendre ce que vous écrivez .
Je crois avoir vécu plusieurs fois un état semblable .
Mais ...quelques mots de votre texte me semblent bizarres .
En effet , quand on a un peu accés au Soi , il n'y a aucune pensée , il ne reste qu'une conscience d'être .
Donc , impossible de se poser des questions , impossible de penser qu'on a atteint ou pas atteint l'état de Bouddha ni la question de savoir comment on le sait .
On EST , c'est tout .
lui il m'a vraiment fait peur. Je devrais partir en courant. Je suis bien comme je suis...
UG
« changement ». Je n’aime pas utiliser ce mot, et pourtant il s’agit bien d’un changement, et d’un changement irréversible. Impossible de revenir en arrière. Pour l’homme qui est passé par là, il n’est pas de « rechute » possible ; c’est irréversible : il s’est accompli une sorte de processus alchimique.
-C’est ce que dit aussi Bernard, ainsi que Jean dunn et tant d’autres. Jean Dunn disait nettement, je ne peux rien dire, seulement « je sais » c’est tout « je sais »…
-..paradoxe que tous, ont exprimé ainsi, bien qu’il n’y ait personne pour savoir.
De toute façon comme le dit UG, Bernard , Nisargadatta ect…. «Comme un feu qui couve, je portais en moi cette question toujours renouvelée : « Quel est cet état ? Je le veux. » ! »
-Et chacun à sa façon, selon ce qui lui semble juste pour lui…..s’épuisera dans la question qu’elle que soit la façon de la formuler où elle se consumera d’elle-même par frottement comme deux silex qui produisent l’étincelle….mais ce qui est « sûr » c’est que cela sera reconnu par chacun, pas de concepts pour se rassurer, pas de garde fou, pas de guide, rien de tout ce que l’imagination peut broder…….
-Bernard ajouter « il faut tout donner, et vous recevrez tout, pour qui ? vous verrez bien, mais il ne restera rien de vous ! ».
Dans la première partie, je trouve qu'U.G. met le doigt sur quelque chose de très important, de très lourd de conséquences.
Cet état, dont parle Jiddu Krishnamurti, et qu'il reconnaît en lui, est donc la reconnaissance d'un savoir pré-établi, d'un arrière-plan de connaissance. U.G. s'aperçoit qu'il ne fait que tourner en rond dans le cercle de ses connaissances.
Ce qui nous devrait nous conduire à comprendre que nos états de conscience ne sont que le produit, la projection de notre conditionnement socio-culturel.
Jean Louis
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