mercredi 11 décembre 2024

• La lumière qui revient à la lumière

Le dzogchen, tradition tibétaine la plus secrète, offre à voir de rares cas d’un phénomène extraordinaire. À la mort de pratiquants particulièrement accomplis, leur corps physique se dissout en lumière, ce qu’on appelle le corps arc-en-ciel. Étudiant un cas récent, Francis Tiso fait le rapprochement avec la résurrection de Jésus-Christ. Le dzogchen ancien devrait-il quelque chose aux enseignements contemplatifs du christianisme syriaque, diffusé le long des Routes de la soie jusqu’en Chine dès le VIIe siècle ?

Enquête ethnographique, découvertes archéologiques, anthropologie et théologie sont mobilisées pour explorer l’hypothèse vertigineuse de rencontres et d’échanges autour de pratiques visionnaires entre chrétiens et bouddhistes, manichéens, musulmans, taoïstes et hindous dans des oasis d’Asie centrale, d’où serait née la tradition dzogchen. Ce livre unique, foisonnant et érudit, bouleverse les cloisonnements traditionnels et ouvre de nouvelles perspectives, tant sur l’histoire des religions qu’à propos des pratiques spirituelles les plus élevées. La mort n’est peut-être pas la fin de toutes choses, mais la lumière qui revient à la lumière.

Extraits choisis et publiés avec l'aimable accord des Éditions Vue de l'esprit

Comment khenpo A Chö atteignit le corps arc-en-ciel

Pour mener cette biographie à son apogée, voici un extrait que nous avons reçu de la part des moniales qui étaient ses disciples et dont le monastère se trouve de l’autre côté de la rivière de Kandzé, intitulé : « Le Char qui tire le soleil de la foi et de la dévotion. Supplément à la biographie de la glorieuse et vertueuse manifestation, le grand khenpo, Vajradhara Lobsang Ngawang Khyentsé », rédigé par Gueshé Sönam Puntsok.

« De ce qui précède, on a clairement vu [la vie de] ce seigneur, de sa naissance jusqu’à ce qu’il eût soixante-quinze ans. Pendant six ans, de ses soixante-seize ans jusqu’à ce qu’il eût atteint le corps arc-en-ciel, chaque jour et chaque nuit, il pratiqua continûment le yoga des différentes déités [en semant], sans partialité, des graines de bonheur pour le bien du Dharma et des êtres errants [dans le saṃsāra]. Il atteignit la fin de sa vie en pratiquant avec intensité, exclusivement dans des retraites sur les six syllabes du yidam Avalokiteśvara […]. Le dixième jour du sixième mois tibétain, une lettre de Sa Sainteté le Dalaï-lama arriva d’Inde grâce à la courtoisie du professeur Wangchouk Puntsok. La lettre disait : 

À l’attention de khenpo Achoung [sic] de Nyarong.

Je suis heureux que vous demeuriez en bonne santé sans perdre courage, en dispensant bienfait à autrui. Ici, [je suis] aussi en bonne santé et continue d’agir pour le bien du Dharma et des êtres sensibles. Que dans le futur également, votre intention d’aider tous les êtres à pacifier les actes négatifs et à se réjouir des bienfaits de leurs actes positifs accumulés, reste inébranlable. 

Du bhikṣu shakya Tènzin Gyatso, le 23ème jour du quatrième mois tibétain, 1998

Sa Sainteté joignait à cette lettre des images du Grand Compatissant Avalokiteśvara et de la Protectrice du royaume du désir [Śrīdēvī, Palden Lhamo] ainsi que des empreintes de Ses mains. [Khenpo] en fut particulièrement heureux et fit pendant un long moment de vastes et profondes prières.

À cette époque, il plut longtemps, [mais les gens] ne pensèrent pas que c’était un présage du décès du maître. […]

Peu après cela, un arc-en-ciel long et plat se dessina dans l’étendue du ciel au-dessus de la hutte [du khenpo]. Tout d’abord cinq témoins le remarquèrent, la mère Nordrön et ses enfants. Puis de nombreuses personnes le remarquèrent et s’inquiétèrent, y voyant un signe que le maître ne vivrait plus [longtemps]. […]

À cette période, tous les gens de son entourage, jeunes et vieux, vinrent en sa présence, confessèrent leurs fautes, jusqu’à avoir marché sur des vêtements [monastiques] [et promirent de] de se retenir à l’avenir. En vue de leur renaissance, ils firent les prières. Khenpo leur répondit avec grand plaisir et leur donna, sans se presser, des instructions sur ce qui devait être fait.

Le lendemain, le 7ème jour du septième mois tibétain, il mangea juste un peu, mais ne montra pas le moindre signe de maladie ou de fatigue physique. À midi, il se coucha sur le côté droit, tourna sa tête vers le nord faisant face à l’ouest, et ainsi, dans la posture du lion endormi, tenant son rosaire dans sa main et récitant de sa bouche le six syllabes, il laissa à ce moment se déployer la dissolution de son esprit dans la sphère du réel.

Immédiatement après, toutes les apparences de la vieillesse du corps telles que les rides ou l’aspect ratatiné, disparurent instantanément. Son visage reprit l’apparence de la jeunesse, douce et rosée. [Toutes les personnes du] cercle privé [du khenpo] exprimèrent unanimement [leur regret d’avoir été] tristes et affolées, sans quoi elles auraient pris une photo et cela aurait été incroyable.

Même avant cela, le seigneur avait l’odeur agréable et parfumée de la discipline, et je l’ai remarqué moi-même lors de ma première rencontre avec lui. [Après sa mort], elle devint plus forte, si bien qu’[elle se diffusait] non seulement à l’intérieur de la chambre, mais aussi à l’extérieur de la maison. Toutes les personnes qui faisaient des prosternations et des circumambulations la remarquaient sans effort. 

Au-dessus de la maison cinq arcs-en-ciel apparurent durant plusieurs jours. Parfois ils s’étendaient dans tout l’espace du ciel, comme en furent directement témoins les moines et les laïcs de Lourab. De nombreuses personnes des parties hautes et basses de Horkhok les virent également. Ma nièce Tsering Chötso, son père et ses fils, [mon propre] père Tsega et les autres, virent le ciel entier, à l’Est, envahi par les arcs-en-ciel. Pendant que je demeurais en retraite solitaire, je vis de cette façon pendant deux jours, durant les intervalles des sessions de méditation, des arcs-en-ciel apparaissant par deux fois dans le ciel au-dessus du lieu saint de Tsanda. Le lendemain, j’appris la mauvaise nouvelle [de la mort de khenpo] par son neveu Sönam Gyaltsen qui m’avait été envoyé à ce sujet. Le jour suivant, je vis également [les arcs-en-ciel].

Par ailleurs, dans l’après-midi de ce même [jour], quand [le khenpo] fut libéré dans le corps de lumière, juste avant la tombée du jour, une lumière similaire aux rayons du soleil brilla depuis l’est pendant un long moment, et nous la vîmes tous.

Puis ses assistants, jeunes et âgés, prirent la responsabilité [du service funéraire], et avec la famille, les serviteurs et les disciples proches du Seigneur, ils effectuèrent tous ensemble, avec tristesse, les grandes cérémonies funéraires et les prières. Pendant ce temps, chaque jour, le corps se fit de plus en plus petit jusqu’à ce que, finalement, le jour qui suivit la semaine écoulée, sans même qu’il ne reste cheveux ni ongles, se fut manifesté le corps arc-en-ciel sans souillure, le corps vajra. Cela correspond à la prophétie de Séra Yangtrul Rinpoché, maître de ce seigneur, qui déclara que cela arriverait à quelques-uns de ses disciples les plus importants. 

Selon son Inventaire essentiel : « Leur corps illusoire souillé s’effacera et ils seront libérés dans le corps de lumière sans souillure. Ils atteindront le corps arc-en-ciel, le corps du grand transfert. » Le corps arc-en-ciel du grand transfert est considéré comme étant la libération dans le corps de lumière sans même laisser les cheveux et les ongles. […]

[Ainsi s’achèvent la sélection d'extraits des sources biographiques.]


Veuillez retrouver d'autres extraits de l'ouvrage ici.

=> Témoignage d'un pratiquant Occidental ayant atteint la réalisation du corps arc-en-ciel.