Qu’est-ce qu’un chemin spirituel ? C’est ce qui transforme le caillou dans la chaussure en caillou du Petit Poucet. Encore faut-il voir, et reconnaître que nous nous sommes perdus. Encore faut-il découvrir que le caillou dans la chaussure et le caillou du Petit Poucet sont un unique et même caillou.
Question de regard.De ce changement de regard radical dépend que notre vie devienne d’instant en instant, telle qu’elle est, la grâce par laquelle nous pouvons sortir de l’addiction à la sensation moi, origine de tant de souffrances, pour nous-mêmes et le monde. Ce chemin n’est pas un chemin de frustration, pas plus qu’il n’est une recherche effrénée de sensations nouvelles et de bonheurs consommables. C’est un regard toujours plus profond sur l’intériorité, une connaissance qui nous fait perdre une à une toutes les images que nous avons de nous-mêmes, toutes nos croyances et nos savoirs, pour nous faire toucher à ce que nous sommes vraiment.Ce livre parle du cheminement spirituel, des pas sur la route, de certains paysages rencontrés. Il n’est pas le témoignage d’un sage ou d’un éveillé, mais celui d’un pèlerin en chemin, comme tout être en ce monde, vers l’Origine qu’il Est.
François Malespine grandit dans une famille d’artistes-peintres. Après les Beaux-Arts il se forme au tissage artisanal. Il effectue ensuite deux voyages en Inde. Puis il enseigne les arts en collège et en lycée, et expose en France et aux Etats-Unis. Actuellement il exerce son métier de peintre dans le Sud-Ouest.
Voici le 4e livre de François Malespine aux Editions L’Originel, après Mal d’égo, Bonheur d’être, Pratique de l’éveil ordinaire, et Voir.Avant-Propos et extrait de l'ouvrage publié avec l'aimable accord des Éditions Charles Antoni - L'Originel :
Avant-propos
Plus
les années passent, plus je trouve que la vie est belle et heureuse - ce qui ne
fut pas toujours le cas. Belle et heureuse selon qui, en nous, la vit, il serait même
plus juste de dire selon quoi, en nous, la vit.
Je
n’ai pas trouvé de baguette magique, sinon au cœur de mon cœur. Et ce
changement de vision rend au monde, ici et maintenant, d’instant en instant,
son vrai visage, sa vraie lumière.
Aujourd’hui,
à quelques exceptions remarquables près, les chansons, le cinéma, l’art en
général, aiment à exprimer le morbide ou le sadique, et plus généralement la
culture du moi dans l’excrétion d’un psychisme douloureux. Si c’est
regrettable, c’est surtout le signe d’une perte de transmission d’une
connaissance qui a traversé toutes les cultures à un moment ou à un autre, avec
dans toutes, des témoins qui font naître en nous la nostalgie de ce que nous
sommes et dont nous nous sommes coupés.
Aussi,
dans ce livre comme dans les autres, je veux affirmer que c’est vrai : le chemin spirituel
n’a rien d’une croyance, il est vérification instant après instant, au cœur
d’une vision claire, sans rêve, les deux pieds dans l’ici et maintenant. Il fut
un temps où je rêvais sur l’éveil, aujourd’hui je veux partager la beauté de la
route. Je ne rêve plus. Quand cela se produira-t-il ? Cela ne m’intéresse
absolument pas. Être présent au réel, à la vie telle qu’elle m’est donnée, la
laisser dissoudre cette curieuse sensation moi, close sur elle-même, voilà ce
que je veux partager avec vous. Car cette sensation, nous l’avons tous en
commun, quelle que soit notre race, notre âge, notre situation sociale, nos
centres d’intérêt. Enquêter sur elle c’est découvrir le chemin, le but, et voir
la cause de la souffrance du monde depuis son commencement. Aucune inquiétude,
cela ne remet pas en cause cette vie que nous aimons. Simplement cela la rend à
elle-même dans sa résonance divine.
Ici pas de
rêves, pas de demain, plus tard, tout se joue dans l’instant, tel qu’il
apparaît.
Le
chemin
Qu’est-ce qu’un
chemin spirituel ?
C’est ce qui
transforme le caillou dans la chaussure en cailloux du Petit Poucet. Encore
faut-il voir et reconnaître que nous nous sommes perdus. Encore faut-il
découvrir que le caillou dans la chaussure et celui du Petit Poucet sont un
unique et même caillou.
Question de regard.
L’Amour et
le chemin
Mon
cœur est devenu capable d’accueillir toute forme.
Il
est pâturage pour gazelles
Et abbaye pour moines !
Il est un temple pour idoles
Et la Ka’ba pour qui en fait le tour,
Il est les tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !
La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’amour est ma religion et ma foi.
Et abbaye pour moines !
Il est un temple pour idoles
Et la Ka’ba pour qui en fait le tour,
Il est les tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !
La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’amour est ma religion et ma foi.
Ibn
Arabi
Un
chemin authentique comporte en son centre immobile une qualité :
l’Amour.
Ce
mot est souvent un vrai fourre-tout. Il va du : « j’aime le jambon et
la saucisse, j’aime le jambon quand il est bon, mais je préfère le lait de ma
nourrice … » de la chanson, au je t’aime transi des relations amoureuses,
jusqu’au :
« A
travers l’amour, J’ai atteint un lieu
Où nulle trace d’amour ne subsiste,
Où Je et Nous et le tableau de l’existence
Ont été oubliés et mis de côté. »
Où nulle trace d’amour ne subsiste,
Où Je et Nous et le tableau de l’existence
Ont été oubliés et mis de côté. »
Dont témoigne Soufi Javad
Nurbakhsh 1926-2008.
Ainsi
soufi Javad Nurbakhsh comme Ibn Arabi nous parlent d’un Amour que nous ne
connaissons pas, un Amour au cœur duquel moi a totalement disparu, où « je et nous et le
tableau de l’existence ont été oubliés et mis de côté » afin qu’il ne reste
qu’une seule chose : l’état d’Amour. Et lorsque cet état est atteint,
« nulle
trace d’amour ne subsiste ».
Car pour qu’une trace d’Amour subsiste il faut qu’il y ait quelqu’un pour
dire : « j’aime ».
L’amour
tel que nous le connaissons est toujours amour d’un objet, que ce soit une
magnifique voiture, un collier de perle, une œuvre, un homme ou une femme.
Comment cela se fait-il ? Simplement parce que cet amour prend sa source
dans le j’aime,
je n’aime pas
de chacun. Ce j’aime, je n’aime pas, est le fruit de toutes sortes d’influences
et d’une certaine façon d’avoir pris chaque événement survenu depuis notre naissance.
Comment
passer de cet amour égocentré à l’état d’Amour ? Quel outil avons-nous à
notre disposition ?
Celui-là-même
qui nous en sépare : notre amour égocentré.
Si
nous le voulons il peut devenir un chemin, car il est un miroir dans lequel
nous pouvons nous voir, apprendre à nous connaître, et voyant ce que nous
sommes, apprendre à voir, à comprendre, et à aimer l’autre tel qu’il est. Nous ne sommes pas victime
de ce fonctionnement égocentré, nous en sommes l’auteur, la cause. C’est nous
qui fermons les yeux. Il n’y a là aucune malédiction. Mais à force d’avancer en
aveugle, de nous cogner, de tout renverser sur notre passage, de nous blesser
et de blesser, un jour nous ouvrons un peu les yeux et découvrons ce que nous
sommes. Nous voyons que ce n’est pas en rêvant d’aimer que nous aimons, mais en
voyant la nature et la source de ce que nous appelons aujourd’hui aimer, qu’un
chemin vers aimer prend forme.
Lorsqu’on
écoute ou lit des sages, nous comprenons que l’Amour dont ils parlent est à
l’antipode du nôtre. Pour nous, aimer est une acquisition, un avoir, même s’il
s’agit d’un être humain. L’Amour dont les sages témoignent est simplement la
manifestation de la disparition en eux de ce qui, en nous, dit : moi.
Certains
maîtres hésitent même à utiliser le mot Amour. Ainsi maître Eckhart, que nous
retrouverons souvent dans ce livre, nous dit ;
« [...] je loue le
détachement plus que l’amour parce que l’amour me force à souffrir toutes
choses pour Dieu, alors que le détachement me
porte à n’être accessible qu’à Dieu. Or que le détachement ne soit accessible
qu’à Dieu, je le prouve ainsi : ce qui doit être accueilli doit être
accueilli dans quelque chose. Or le détachement est si proche du néant
que rien n’est assez subtil pour trouver place dans le détachement, sinon Dieu
seul. »
Et
Amma, dont la renommée aujourd’hui n’est plus à faire, tout en utilisant
le mot Amour, en donne une telle définition que notre façon d’aimer a bien du
mal à s’y reconnaître !
« Quand
l’amour devient l’Amour Divin, la compassion emplit elle aussi le cœur. L’amour
est un sentiment intérieur et la compassion est la manifestation de votre
intérêt sincère, venant du coeur, envers quelqu’un, un être humain qui souffre.
Il y a amour et Amour. Vous aimez votre famille mais n’aimez pas votre voisin.
Vous aimez votre fils ou votre fille, mais vous n’aimez pas tous les enfants.
Vous aimez votre père et votre mère, mais n’aimez pas les autres de la même façon.
Vous aimez votre religion, mais n’aimez pas toutes les religions. Il se peut
même que vous éprouviez de l’aversion envers les adeptes d’autres croyances. De
même, vous aimez votre pays mais pas tous les pays et peut-être avez-vous de
l’animosité envers d’autres peuples. Il ne s’agit donc pas d’un amour
véritable. Ce n’est qu’un amour limité. La transformation de cet amour limité
en Amour Divin est le but de la spiritualité. C’est dans la plénitude de
l’Amour que s’épanouit la fleur merveilleuse et parfumée de la compassion.
Quand les
entraves disparaissent - l’ego, la peur, le sentiment de la différence - vous
ne pouvez qu’aimer et cet amour-là n’attend rien en retour. Vous ne vous
préoccupez pas de recevoir quoi que ce soit, vous allez simplement avec le
flot. Quiconque entre dans le fleuve d’Amour est baigné par ses eaux, qu’il
s’agisse d’une personne en bonne santé ou d’un malade, d’un homme ou d’une
femme, d’un riche ou d’un pauvre. Chacun peut y plonger autant de fois qu’il le
désire. Que quelqu’un se baigne dans ses eaux ou non ne fait pour le fleuve
d’Amour aucune différence. Qu’on le critique ou le maltraite, il n’y prête
aucune attention, il se contente de couler. Quand cet Amour déborde et
s’exprime à travers chaque parole et chaque acte, il est appelé compassion.
C’est le but de la religion. Un être plein d’amour et de compassion a réalisé
les véritables principes religieux.
Une personne
compatissante ne voit pas les défauts d’autrui. Elle ne voit pas les faiblesses
des gens. Elle ne fait pas de distinction entre bons et mauvais. Un être plein
d’amour et de compassion ne peut pas tracer une frontière entre deux pays, deux
croyances ou deux religions. Il n’a pas d’ego, donc pas de peur, de convoitise
ou de passion ; il pardonne et oublie, c’est tout. La compassion est comme un
passage. Tout le traverse. Rien ne peut y rester, car là où existent l’amour et
la compassion véritables, il ne peut y avoir d’attachement. La compassion est
l’Amour exprimé dans toute sa plénitude.
Voir et sentir la vie en toute chose, c’est cela l’Amour. Quand l’Amour
remplit le coeur, on voit la vie vibrer dans et à travers l’ensemble de la
création.
« La vie est
Amour » - c’est la leçon
qu’enseigne la religion. La vie est ici. La vie est partout. Il n’y a que la
vie. Donc, l’Amour, lui aussi, est partout. Là où il y a la vie, il y a l’Amour
et vice-versa. La vie et l’Amour ne sont pas deux, ils sont un. Mais on
continue d’ignorer leur unité jusqu’à ce qu’on parvienne à la réalisation.
D’ici
là, la séparation entre le cœur et l’intellect persiste. L’intellect seul ne
suffit pas. Pour atteindre la perfection, la plénitude de la vie, il faut un
coeur empli d’amour et de compassion. La connaissance de cette vérité est le
seul but de la religion et des pratiques religieuses. Nous vivons une époque
dominée par l’intellect et la raison, une époque scientifique. Nous avons
oublié les sentiments fragiles du cœur. L’expression usuelle, commune au monde
entier est : « Je suis tombé amoureux. » Oui, nous sommes « tombés » dans un amour enraciné dans
l’égoïsme et le matérialisme. Nous sommes incapables de nous élever et de nous
éveiller dans l’amour. Si nous devons tomber, que ce soit de la tête vers le
cœur. La religion nous propose de nous élever dans l’Amour. »
Amma
Maître Eckhart nous dit :
« Or le
détachement est si proche du néant que rien n’est assez subtil pour trouver
place dans le détachement, sinon Dieu seul. »
Et Amma :
« Quand
l’amour devient l’Amour Divin [...] Rien ne peut y rester, car là où existent
l’Amour et la compassion véritables, il ne peut y avoir d’attachement »
Si
nous sommes honnêtes, nous reconnaissons que nous avons toutes sortes de bonnes
raisons de ne pas aimer. Certains êtres ne sont pas, à nos yeux, aimables. Certains êtres ne sont même
pas dignes d’être entendus. Donnez un texte de droite à un homme de gauche, et
vice versa, bien peu le liront jusqu’au bout. Observez l’assemblée nationale et
vous comprendrez le bourbier duquel nous devons chacun, chacune, sortir, si
nous voulons un monde fondé sur l’Amour
Si nous n’aimons pas, c’est toujours la faute de
l’autre. Certaines situations sont particulièrement propices à cette prise de
conscience. La vie en couple est un merveilleux creuset pour le découvrir.
Pourtant certains êtres basculent un jour, souvent dans des conditions
tragiques, dans un tout autre vécu. Ainsi Etty Hillesum écrit en camp de déportation :
« […]
Mais pour
ma part, je ne cesse de faire cette expérience intérieure : il n’existe aucun
lien de causalité entre le comportement des gens et l’amour qu’on éprouve pour
eux. »
Comment
nous situons-nous en recevant un tel message : nous laissons-nous une
nouvelle fois baigner dans un éblouissement facile : « Quelle
merveille !!! »
Ou cette phrase nous met-elle
dans la vision de ce que nous sommes et simultanément dans l’espérance inouïe
qu’elle peut devenir notre vécu ?
Se
grave-t-elle en nous de façon indélébile, nous mettant dans l’incapacité de
nous faire prendre à nouveau par un mental qui adore s’éblouir afin de ne pas
se voir quand c’est à son tour de tenter de vivre cela.
Chacun
trouve que l’autre ne l’aime pas et en souffre, très peu souffrent
véritablement de ne pas être capables d’aimer.
La
recherche spirituelle se situe hors de la notion de cause et d’effet, en
démasquant l’irréalité de ce qui ne peut exister que par la notion de cause et
d’effet. Et cette mise en question de la notion de cause et d’effet survient en
grande partie à partir du désir de voir la souffrance cesser, pour soi d’abord,
et un jour, pour l’autre aussi. La recherche spirituelle met en question de
façon radicale, non la vie sous ses différentes formes et expressions, mais la
vie vécue à partir de la sensation moi.
L’Amour,
lui aussi, se situe hors de la notion de cause et d’effet car le véritable Amour
participe de la nature de l’Être, Je suis. Il est sans relation. Simple fleuve
comme dit Amma, dans lequel nous pouvons ou non entrer. Encore faut-il voir de
quoi il s’agit. Voir est la nature de la Conscience, du fait d’être. Voir c’est
entrer en Conscience.
Ainsi
l’Amour est-t-il bien loin du « je t’aime » de la femme ou de l’homme
amoureux. En avoir ne serait-ce que l’intuition est le résultat d’un vrai
chemin. Or un vrai chemin est fondé sur la sincérité.
Auprès
d’Amma nous disons tous avec ferveur :
« Om
LoKah Samastah Sukhino Bhavantu »
Ce qui signifie :
« Puissent
tous les êtres être heureux »
Mais lorsque
nous disons cela, sommes-nous sincères ?