mardi 30 septembre 2008

• Conscious.tv... en Français ! - Iain et Renate McNay

Information à l'attention de tous ceux qui ont la chance de comprendre l'Anglais... mais pour les Francophones aussi !

Sur YouTube, vous pourrez retrouver des interviews de Jeff Foster, Richard Sylvester, Unmani Lisa Hyde, Mooji, Gangaji, Alex Howard, Roger Linden, U.G. Krishnamurti, etc.

20 vidéos portant sur la non-dualité !

À ce jour, sur certains sites et blog en langue Française, on peut retrouver, sous-titrés :

Mooji

Gangaji

Jac O'Keeffe

Rupert Spira

Peter Fenner

En souhaitant que d'autres traductions voient le jour progressivement...

Dans un style complémentaire, voir aussi les liens suivants :

Stillness Speaks

Never Not Here

• Il n’y a de soi que le Soi - Hakim Sanai

Hakim Sanai

Tu es aussi dépourvu d’existence maintenant que tu l’étais avant la création, car ce "maintenant" est le Sans-commencement, le Sans-fin, l’Éternité… Il n’y a de soi que le Soi, il n’y d’être que Son être.


On recherche mentalement le chemin vers Lui
Cela ne marche pas,
Mais le moment où épuisé, on lâche,
Il n'y a plus d'obstacle
Il se présente Lui-même à nous...
Lorsque vous lâchez prise, Dieu est présent
Comment autrement aurions-nous pu Le connaître?
Le mental nous a conduit aussi loin que la porte
Mais c'est Sa présence qui nous a permis d'entrer.
Comment pourrez-vous jamais Le connaitre
Vous qui ne vous connaissez pas vous-même?
Une fois que l'Un est Un
Pas plus, pas moins:
L'erreur commence avec la dualité,
L'unité ne connaît pas l'erreur.

Hakim Sanai

samedi 27 septembre 2008

• Cette incroyable chose les saisit - Andrè P.


L’éveil n’est que le début d’un long voyage qui n’aura jamais de fin. Ce voyage ne vise aucune acquisition, aucun but, il n’existe que pour la joie de le faire. Pour la conscience éveillée à la lumière de la réalité, il s’est ouvert un espace vide, au delà la pensée, mais plein de tout ce qui se vit dans le monde manifesté. Cet espace un n’est pas quantifiable, ni définissable, mais c’est en lui que toutes choses sont vécues, que de multiples découvertes vont se faire. La beauté de la vie est dans la création, mais pour la percevoir, l’esprit doit être libre et non empêtré dans ses propres recherches. Si pour évoluer dans ce monde, pour discuter entre nous, la pensée doit opérer et fragmenter la réalité, cet espace un n’en est pas affecté.

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Conseiller quelqu’un qui voudrait s’éveiller, révèle la situation paradoxale dont il est question. N’ayant pas conscience de la Présence, il traduira obligatoirement le conseil, en termes de choses à faire ou ne pas faire. Si nous disons qu’il faut cesser de vouloir, la personne essaiera de cesser de vouloir, ce qui est un non-sens. Je pense que le conseil à donner est tout simplement de lui dire d’ouvrir les yeux, de prendre conscience de ses propres agissements, de ses mécanismes internes (et surtout de celui du désir), de prendre conscience que toute action envisagée, est entachée du désir de la faire, même le fait d’observer. Il faudrait faire comprendre qu’il n’y aucune action qui puisse être entreprise temporellement, aucune technique qui puisse mener à la prise de conscience. Elle survient lorsque la porte est ouverte et se maintient lorsque la compréhension de soi permet de laisser cette porte ouverte.
Il faudrait aussi mettre en lumière qu’ouvrir cette porte n’est pas le fait de l’égo et du désir de le faire, mais que c’est une chose réalisable, que c’est un acte qui vient du coeur et nécessite un abandon qui n’est pas une nouvelle action de l’égo.
J’ajouterais qu’une volonté qui n’est pas décalée de l’action, est inconcevable pour qui ne la vit pas. Nous sommes habitués à désirer une chose, la concevoir et mettre en oeuvre les moyens de l’obtenir, le résultat survenant par après. Ce mécanisme de décalage agit aussi sur une période de temps minime comme le simple fait de vouloir s’observer. La seule observation de soi qui est valable est un ‘laisser-être’ où n’intervient pas le désir d’observer. Cette ‘non-action’ du mental, est une action positive qui vient de l’âme.
En résumé, le conseil serait : ’’ soyez attentif, laissez être ‘’ et ce qui doit arriver, arrivera en temps voulu.

André P. (source)

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Il y a des personnes qui vivent des expériences spontanées d’éveil. Le réseau serré des pensées se fend, et cette incroyable chose les saisit. C’est à la fois une bénédiction et une malédiction. La personne peut rester encore longtemps sous l’effet de ce saisissement, mais celui-ci s’estompe peu à peu. Cette personne sait qu’il y a autre chose derrière le voile du moi, et c’est là une grande bénédiction. Mais il lui reste le souvenir de cette chose intense et c’est là sa malédiction, elle va tout faire pour retrouver cet état. Ce qui n’est pas possible alors. Elle devra en faire son deuil, sinon cette chose ne reviendra pas. Elle devra faire le parcours elle-même, qui y mène, comme n’importe laquelle autre personne.

Andrè P. (source)

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Ce retour à l’unité n’est pas une nouvelle expérience de la part du moi mais la fin de la division. Il n’y a plus quelqu’un qui fait une expérience, il y a expérience ; il n’y a plus quelqu’un qui pense, il y a la pensée ; il n’y a plus quelqu’un qui regarde, il y a regard, observation...

Andrè P. (sources)

vendredi 26 septembre 2008

• Méditer est simplement revenir chez soi - Paule Lebrun

Méditez, c'est facile, ce n'est rien d'autre que revenir chez soi

Paule Lebrun

La méditation demande du temps pour soi, de la relaxation et un état de neutralité bienveillante face aux événements de la vie. Ingrédients que l'on retrouve peu dans notre vie sociale et culturelle ainsi que dans notre éducation. On mystifie la méditation, on y voit un acte exotique pieux et compliqué alors qu'en fait, méditer est simple et naturel. Voici l'abc de cet art de vivre au quotidien.

Méditer, c'est être totalement dans son corps

Vous vous promenez à la campagne un dimanche matin. C'est beau. Il y a des fleurs. Et vous prenez conscience, tout à coup, que depuis dix minutes, vous n'avez rien vu, rien senti, rien entendu. Vous étiez complètement absorbée par votre discours intérieur. Vous étiez « ailleurs ». Dans le futur, dans le passé, dans vos histoires avec Pierre, Jean, Jacques. Si vous revenez ici et maintenant, vous prenez soudain conscience de la caresse du vent sur votre peau, vous entendez de nouveau les enfants crier au loin, vous prenez de nouveau conscience du jaune et de l'orange des fleurs dans le champ. La pensée a pour fonction de nous amener dans le passé et le futur. Pour le corps, il n'y a ni passé ni futur. Il y a seulement ce qui se passe dans l'instant. Nous ne sommes jamais tout à fait là. Nos pensées, disent les Orientaux, nous hypnotisent. Elles sont comme un voile devant nos yeux, un écran de fumée qui encrasse les fenêtres de nos sens. Nous substituons continuellement la pensée à l'expérience directe. Dans les cultures orientales, ce discours intérieur incessant et quasi permanent constitue le principal obstacle à la connaissance et à La réalisation de soi-même. « Perdez la tête et retrouvez vos sens » est devenu, au cours des années le leitmotiv des nouvelles approches en psychologie. On rejoint par là un des éléments essentiels de la sagesse zen.

Méditer, c'est devenir attentif à ce qui se passe ici et maintenant

Méditer n'est pas non plus réfléchir à quelque chose. Au contraire, l'essentiel de la méditation consiste à ne plus penser du tout, à laisser le silence s'installer en soi. En fait, méditer n'est pas à proprement parler un acte. C'est plutôt un état. Une façon d'être.
On a toujours l'esprit occupé. On finit par être si habitués à l'agitation de notre esprit, au trafic incessant de nos pensées, qu'on finit par croire que ces pensées sont l'essence même de notre moi. On a fini par oublier que notre nature de base en est une de silence intérieur et que lorsque nous touchons des plages de ce silence, nous pouvons toucher du même coup l'extase d'exister tout simplement.
Les préjugés sur la méditation sont nombreux. On voit en la méditation un acte exotique, compliqué, alors qu'on peut méditer en mangeant, en marchant, en faisant la vaisselle. « Quand je mange, je mange ; quand je bois, je bois ; quand je dors, je dors », dit te maître zen à son disciple qui lui demande le secret de sa paix intérieure. « Simplement ça ? », dit le disciple déçu. Facile ? Essayez donc de manger pendant plus dune minute sans penser à autre chose...

Méditer, c'est s'éveiller à sa vraie nature

Le grand mythologue américain Joseph Campbell montrait du doigt l'ampoule du plafond à ses étudiants et leur demandait : « Êtes-vous l'ampoule ou la lumière qui passe à travers l'ampoule ? » Il considérait la réponse à cette question essentielle. Qui suis-je ? Suis-je la lampe ou la flamme à l'intérieur de la lampe ? Ou suis-je les deux ?
Les sages, les saints et les êtres éveillés de différentes cultures nous répètent constamment que nous sommes la lumière qui passe à travers l'ampoule, alors que nous nous tuons à nous identifier à l'ampoule et que nous refusons de croire que nous pouvons être aussi la lumière. Méditer, c'est commencer à réaliser que si notre corps est l'ampoule qui contient la lumière, notre conscience, elle, est cette lumière qui circule indépendamment des courts-circuits ou des bris de verre. Nous sommes beaucoup plus vastes que ce que nous croyons.
Un soufi (ascète de l'Islam) qui toute sa vie s'est prosterné devant son Dieu, a, sur ses derniers jours, le « flash », la révélation : « Je suis celui que j'adore ».
Pour bon nombre de traditions orientales, il n'y a pas de Dieu extérieur à nous-même. Il n'y a, disions-nous, que des êtres réalisés, « éveillés », et d'autres qui ne le sont pas. Nous sommes tous des Bouddhas non arrivés à terme.
Le Bouddha en moi ressemble en certains points à un chat ou à un bébé. Merveilleux bébés d'avant la culture ! Observez-les : entiers, curieux, présents totalement ici et maintenant. C'est le sens du « redevenez comme des enfants » du Christ et, encore une fois, de la plupart des traditions mystiques. Non pas « Retombez en enfance », non pas « Redevenez infantiles », mais retrouvez en toute conscience la pureté, la curiosité animale, la totalité des tout-petits. Le tao a une superbe image qui résume bien la maturité consciente du vieillard et la spontanéité radicale de l'enfant : celle du vieil enfant. Devenez le vieil enfant. Retrouvez l'expérience directe d'un enfant découvrant le monde. Voyez, sentez, touchez, goûtez comme si c'était la première et la dernière fois. Cultivez la sagesse du vieillard qui a vu mille fois l'eau couler sous le pont, et qui sait d'expérience que tout change, et l'innocence de l'enfant qui sait voir un trésor dans une goutte d'eau.

Méditer n'est pas en soi un acte exotique

Au-delà des méthodes issues de différentes cultures, les méditations ont toutes un fondement commun : la relaxation, l'observation et la neutralité.
Relaxation du corps, parce qu'un corps tendu ne sent pas, parce que le corps n'est que l'expression physique du mental et qu'à un corps tendu correspond un mental agité.
Observation : commencer à observer ce qui se passe en dedans de vous : les sensations les émotions les pensées qui vont et viennent.
Neutralité : la méditation n'a pas pour objectif d'être bien. La méditation a pour but de nous permettre d'accueillir tout ce qui est. Comme un miroir. Le miroir ne choisit pas de refléter ce qui est beau et bon, et de ne pas refléter ce qui est laid ou mauvais. Il ne fait que refléter ce qui est.
Reste que la plupart des techniques méditatives nous viennent au départ de l'Orient. Pendant qu'ici, on parle de gens malades et de gens bien portants, en Orient, on parle de gens endormis et de gens « éveillés ». Toutes les techniques orientales de méditation visent la même chose : éveiller la personne, la sortir de la demi-conscience de la vie ordinaire. Comment ? En étant présent. Uniquement être présent. Jour après jour. Sans intervenir. Être présent à sa respiration sans la changer. Être présent à ses pensées, ses émotions, ses sensations, devenir le témoin de soi-même.
Gurdjieff, l'un des grands maîtres spirituels du XXe siècle, en Occident, parle d'un témoin qui existe en chacun de nous, mais dont nous sommes coupés. Lorsque nous parlons, quelqu'un en nous reste silencieux, lorsque nous courons dans toutes les directions, quelqu'un en nous demeure immobile. Lorsque nous sommes en colère, lorsque nous désirons passionnément, quelqu'un en nous est là qui, simplement, observe. Le témoin n'est pas le « je » qui pense, le témoin n'est pas le « je » qui souffre et qui aime. Il ne juge pas, il ne condamne pas, il ne dit pas « Ceci est bon » et « Ceci est mauvais ». Il ne dit pas « Cela devrait être ». Il n'a ni émotion, ni pensée, ni attente, ni âge. Il existe en nous au-delà de tous nos scénarios, de tous nos préjugés, au-delà de notre histoire personnelle.

Méditer, c'est commencer à prendre conscience du mécanisme de la pensée

Une des premières découvertes du méditant consiste à mettre en lumière tout le fonctionnement interne de la formation des pensées et des images. Pas de façon intellectuelle, mais par la simple auto-observation. Avez-vous déjà observé comment se forme une pensée ? D'abord, elle est vague, lointaine. Puis elle se précise peu à peu et envahit tout votre champ mental. Puis elle redevient de nouveau imprécise et disparaît. Même processus pour les émotions et les sensations. Elles émergent, éclatent et disparaissent comme des fleurs.
Méditer, c'est apprendre à voir les événements de votre vie pour ce qu'ils sont : des nuages passagers.
Vous êtes le ciel. Pensées, émotions, sensations, toutes les choses qui vous arrivent sont des nuages. Parfois les nuages sont noirs, parfois les nuages sont blancs, parfois ils s'accumulent jusqu'à masquer le ciel, parfois ils passent rapidement. Ils vont, ils viennent. Peu importe leur nombre, leur couleur, le temps qu'ils restent, ils ne sont que des nuages. Et vous, le ciel, vous demeurez inchangé.

Méditer, c'est aussi prendre contact avec ce qui en vous ne change pas

Les soufis nomment cela l'état d'hôte. Il y a l'hôte (vous) et il y a les invités (les pensées, les émotions, les sensations). Ne confondez pas l'hôte et les invités. Ne vous identifiez pas aux invités. Ils ne sont pas faits pour rester. C'est dans ce sens que bon nombre de traditions mystiques parlent de détachement. Il y a vous, et il y a la tristesse qui maintenant passe en vous. N'accrochez pas. La tristesse n'est que l'invitée qui passe dans l'auberge. Tôt ou tard elle sen ira. Seul l'hôte demeure.

Méditer, c'est commencer à s'aimer et à s'accepter sans se juger

Nous nous jugeons continuellement. Et le jugement nous fait sortir automatiquement de l'état méditatif. Le jugement requiert une comparaison constante du passé et du présent. Il nous ramène tout de go dans nos pensées. Il est peut-être nécessaire pour vivre en société, mais quand on revient à l'intérieur de soi, il devient une barrière, un obstacle. Quand on se juge, on s'empêche d'être comme on est. Plus vous prenez vos sentiments pour ce qu'ils sont (des nuages, des invités), plus vous vous regardez avec une sorte de bienveillance souriante. Tout passe. Et vous le savez. Vous vous permettez de plus en plus d'être totalement ce que vous êtes.

Méditer, ce n'est rien d'autre que revenir chez soi

En fait, il n'y a rien à faire dans la méditation. Ce n'est pas réciter un mantra, ce n'est pas faire une prière. Tout cela, c'est la technique qui ne fait que préparer la chambre pour recevoir l'invité. Méditer est simplement revenir chez soi et prendre un peu de repos. Il n'y a pas un « autre part» où aller dans la méditation. Il s'agit seulement d'être là où vous êtes, d'occuper tout l'espace où vous êtes. C'est ça, méditer.

Magazine Lumière - mars 1999

Journaliste de grands reportages pour Chatelaîne et le Guide Ressources, Paule Lebrun a consacré peu à peu ses écrits à l'émergence des nouvelles valeurs spirituelles dans les cultures contemporaines.
Psychothérapeute transpersonnelle, elle a été formée en Inde à la psychologie bouddhiste et s'est intéressée de près aux traditions amérindiennes. Paule Lebrun nous offre une approche pan-culturelle qui fait appel autant aux mythologies orientales qu'occidentales. Ce qui l'intéresse c'est de réintroduire la dimension sacrée dans nos vies.

mercredi 24 septembre 2008

• La libération est instantanée et totale - José Leroy



Les quatre étapes de la vie

Notre vraie Nature est donc le « Je Suis », la Première Personne, et nous nous sommes à tort identifiés à la troisième personne.
L'identification de la Première Personne à la troisième personne est un processus temporel, qui est en fait inévitable et même nécessaire. Nous avons tous commencé notre vie en étant Première Personne (le « Je Suis »), Espace vide, illimité pour accueillir le monde. Les petits enfants ne se prennent pas pour un individu ; ils ne s'identifient pas à l'image que leur renvoie le miroir et certainement pas à leur corps ; ils ne prétendent pas que leur apparence – un petit garçon ou une petite fille – constitue leur essence, leur vrai moi. C'est seulement à travers un processus temporel que les enfants finissent par croire aux contes des adultes : tu es ce que tu parais être.
Douglas Harding décrit ce processus en quatre étapes :
– Le nouveau-né, pour lui-même, est une Non-Chose, sans visage, grand ouvert pour recevoir le monde. Vu de l'extérieur, c'est une chose très petite, mais de son point de vue, il est sans limite et sans forme. Il est Première Personne, sans en avoir encore conscience.
– La deuxième étape correspond à l'enfance, étape bénie car l'enfant n'a pas encore perdu l'accès à sa vraie Nature. Quand il est seul, quand il joue, il est encore immense et sans forme, Espace infini qui accueille les autres visages et le monde des couleurs et des formes encore chaotique. Il ne s'est pas identifié à son apparence dans le miroir (ce petit garçon, cette petite fille); il est libre du regard des autres mais il commence à prendre conscience, peu à peu, que pour ses parents, pour ses proches il est un petit garçon ou une petite fille.
– Puis vient la troisième étape, l'adolescence, dans laquelle l'enfant a oublié sa vraie Nature pour s'identifier totalement à ce qu'il paraît, vu de quelques mètres. Douglas décrit ainsi cet enfermement : « Mais à mesure que l'enfant grandit, cette idée acquise de lui-même-vu-de-l'extérieur en arrive à obscurcir et finalement à éclipser sa vision naturelle de lui-même vu-de-l'intérieur. En fait, il rapetisse. Au début, il contenait son monde; à présent, c'est son monde qui le contient, lui – enfin, le peu qu'il reste de lui. Lorsqu'il s'agit de décrire ce qu'il est, là où il est, il croit tout le monde sur parole excepté lui-même, et il n'est plus Première Personne. Les conséquences sont de plus en plus tristes. Ayant été le Tout, on l'a fait rétrécir jusqu'à n'être plus que ce petit fragment dérisoire, alors il devient avide, haineux, craintif, refermé sur lui-même et fatigué. (...) Bref, il est à côté de lui-même, ex-centrique, étranger à lui-même – alors tout va mal. »Pour la plupart des gens, la vie, malheureusement, se passe jusqu'à la mort dans cette troisième étape qui devient à la longue un enfer, une source de souffrances.
– La quatrième étape correspond à l'éveil qui est la sortie de l'identification avec ce que nous paraissons être. La conscience se délivre de toutes les limitations imaginaires et retrouve sa nature d'Espace d'accueil infini. Douglas écrit: « Totalement non-mystique (au sens populaire du terme), c'est une expérience précise, radicale, c'est tout-ou-rien, il n'y a pas de degrés de vision. La libération est instantanée et totale – aussi longtemps que dure l'expérience. Ensuite commence la partie vraiment astreignante du travail : vous devez continuer à voir votre Absence/Présence à tous moments et où que vous soyez, autant que possible, jusqu'à ce que la vision devienne tout à fait naturelle (...) et constante ».

L'éveil correspond à la quatrième étape de notre vie qui est une redécouverte instantanée de la Première Personne et qui correspond à une libération du regard extérieur que je pose sur moi-même en me voyant du point de vue d'autrui.

Extraits de S'EVEILLER A LA VACUITE - L'audace de voir sa vraie nature avec la Vision Sans Tête, de José Leroy (Éditions Accarias-L'originel)

vendredi 19 septembre 2008

• La cloche d’un temple - Ryôtan Tokuda

La cloche d’un temple

Ryôtan Tokuda

Ryôtan Tokuda est né en novembre 1938 dans le nord du Japon. Jeune homme, il eut une expérience mystique qui bouleversa toute sa vie. Il se promenait dans la campagne lorsqu’il entendit dans le lointain résonner la cloche d’un temple. Le son était si pur qu’il eut envie de s’approcher pour l’écouter de plus près. Il emprunta une lande de terre courant entre deux rizières. Mais quand il arriva sur l’esplanade du temple, la cloche s’était tue et le lieu semblait désert. Quelques jours plus tard, il décida de revenir et d’attendre le moment où l’on sonnerait la cloche. En fin de journée, un moine fort âgé arriva, quatre-vingts ans ou plus. Il était accompagné d’une petite fille qui le guidait par la main, car il était aveugle. L’enfant et le vieil homme gravirent les marches jusqu’au campanile où était suspendue la cloche de bronze. Et lorsque le moine frappa le premier coup, Ryôtan, qui se nommait alors Kyuji Igarashi (son nom civil), eut la sensation que son corps disparaissait sous l’effet de l’onde sonore, qu’il n’existait plus. Cette expérience inaugurale résonna comme un appel. Il quitta alors l’armée où il s’était engagé et se tourna vers le zen, qu’il approfondissait déjà par des lectures. Il pratiqua d’abord dans l’école rinzai avant de devenir bonze sôtô sous le nom religieux de Ryôtan. À la fin des années soixante, il s’installa au Brésil. Il y vécut près d’une vingtaine d’années avant de séjourner régulièrement puis de s’installer en France. Aujourd’hui, il a cessé d’enseigner et partage son temps entre l’Allemagne et le Japon.

Ryôtan a l’allure douce des humbles. Sensible à la parole mystique, il aime cultiver l’art de la disparition. Toute sa vie durant, il a recherché des échos de sa propre expérience chez les mystiques chrétiens, Maître Eckhart en premier. Dans la plupart de ses leçons, Ryôtan commentait indifféremment Dôgen par une lecture d’Eckhart ou Eckhart par une lecture de Dôgen. “Je découvre certains textes de Maître Eckhart, et j’ai l’impression de lire du zen pur, disait-il. Lorsqu’on croise l’œuvre de Maître Eckhart comme une chaîne verticale et celle de Maître Dôgen comme une trame horizontale, une très belle étoffe apparaît.”


Visiter le site d'Eric Rommeluère : Un Zen occidental

jeudi 18 septembre 2008

• Lâcher-prise... Lâcher... LÀ ! - Joaquim



On ne peut pas décider de lâcher-prise, car ce serait encore rester dans le fil d'un vouloir intentionnel, ce serait toujours vouloir atteindre un but, un objet de désir, et donc ce ne serait pas un total lâcher-prise.

On ne peut lâcher-prise que lorsque quelque chose émerge en nous et nous invite à le faire. Il s'agit d'être attentif à ces instants. Lorsqu’ils surviennent, on a mille autre choses plus importantes et plus intéressantes à faire et à penser, et cela demande une grande force d’attention pour écouter et laisser la place à cette petite voix ténue.

Ce n’est pas à proprement parler difficile, mais c’est désagréable. L’ego n’aime pas se lâcher. Mais pour peu qu’on fasse confiance à ce petit quelque chose, qu’on fasse silence pour qu’il puisse grandir, sans qu’on n’ait à faire d’efforts, juste une attention soutenue, on s’aperçoit tout-à-coup qu’on est ce petit quelque chose, qu’on est cette chose vivante qui bouge en soi, que cela est le Soi.

vendredi 12 septembre 2008

• Une Présence abyssale - Aksysmundi

Une Présence abyssale

Aksysmundi


Il s'agit en fait d'une vigilance sans objet, d'une qualité de présence et d'abandon au flot du devenir. Dans cet Abandon se révèle la complétude du Soi, la quintessence de l'Être
dans laquelle "JE" révèle toute sa vacuité et sa transparence.

Quand se dissout l'illusion de posséder une existence propre et évolutive, il ne demeure qu'une inappropriable et impérissable Présence. Une Présence abyssale, débordant de toute part les limites illusoires du "je", mais qui pourtant nous est on ne peut plus familière, on ne peut plus immédiate.
Cette Présence sans âge est intimement liée à l'instant présent, à la complétude de l'être. Mais l'illusion d'être ceci ou cela restreint cette Présence, la confinant dans une identité étroite et formelle, l'associant à une enveloppe de chair éphémère. La réalisation de cette Présence absolue abolit toute notion de quête, révélant que notre réalité la plus essentielle est à jamais accomplie.

Merci à Aksysmundi dont le verbe est toujours aussi poétique et inspirant

mercredi 10 septembre 2008

• Paradoxe Zen


Un maître zen a dit un jour :
"L'illumination est un accident, et la pratique, ce qui le provoque" !


Un dialogue historique a eu lieu entre le septième patriarche Shen-Hui (668-760) et le maître Ch'eng. Nous en reproduisons ici un fragment significatif :

« Shen-Hui : — Lorsqu'on pratique le samadhi (méditation) n'est-ce pas là, une activité choisie délibérément par le mental ?

Ch'eng : — oui.


Shen-Hui : — Alors, cette activité délibérée du mental est un acte de la conscience conditionnée, et dans ce cas, comment peut-il apporter la vision de la soi-nature ?

Ch'eng : — Pour réaliser la vision de la soi-nature, il est nécessaire de pratiquer le samadhi. »

Raconté par Robert Linssen

dimanche 7 septembre 2008

• Sortir du Deux pour entrer dans l’Un - Père Benoit Billot

Sortir du Deux pour entrer dans l’Un

Père Benoit Billot


Chemins vers le dialogue

Il y a 25 ans, j’ai été mis en contact avec le bouddhisme zen. J’ai tout de suite adopté la posture, je la pratique quotidiennement, j’ai suivi de nombreuses sessions intensives de zen et j’ai été passer deux fois quatre semaines dans des monastères zen du Japon. Je suis moine bénédictin (Etiolles) et je peux dire que ce dialogue constant avec une autre tradition monastique que la mienne a eu une influence profonde sur ma façon de vivre le monachisme chrétien.

J’ai été travaillé par de nombreux points de vie spirituelle.

Je peux en développer rapidement deux.

Une nouvelle compréhension du corps

Je me suis trouvé en difficulté, avec nombre de nos contemporains, dans ma vie corporelle. En effet notre culture occidentale (l’Eglise n’y est pas du tout étrangère) est habitée entre deux façons de voir :

D’une part, une vision ‘ascétique’ du corps, dont on trouve une bonne expression en 1 Co 9, 27 : « Je traite durement mon corps ». Cette vision, qui convient bien aux milieux monastiques, vient d’une méfiance viscérale des mouvements, passions et sensations corporelles, sensés mettre en péril la vie spirituelle.

D’autre part, une vision ‘mécaniste’ du corps, très répandue maintenant, qui voit dans le corps une machine capable de procurer plaisir, jouissance, ou rendement. Il faut donc l’entretenir soigneusement pour qu’elle soit productive et performante.

Or je découvrais dans la méditation du zazen et tout ce qui l’entoure une pédagogie à la fois simple et complexe visant à aider le méditant à vivre pleinement dans son corps. J’apprenais à respirer, et à vivre la respiration, en particulier au niveau abdominal, ce qui mettait en mouvement l’énergie véhiculée par le bassin. J’apprenais à me tenir droit sans raideur, et je pouvais parfois sentir l’énergie circuler de haut en bas de mon corps. J’apprenais à vivre une détente profonde, à la fois physique et psychique, et à garder simultanément une tension juste.

Ce que je croyais être une bonne préparation à la prière et à la lectio divina, je découvrais que c’était déjà prière. Car le corps, comme un bon initiateur, par son immobilité, sa détente et son ouverture, faisait entrer le psychisme dans une disponibilité et une attention qui pouvaient faire de moi une sorte de parabole réceptrice tournée vers l’infini.

Bien entendu, cela n’allait pas sans difficultés et risques, car les énergies corporelles n’étant plus réprimées, se manifestaient avec une joyeuse vigueur aux niveaux de la sexualité, du désir d’indépendance, de la créativité... Je m’exerçais à les apprécier et les canaliser.

Ainsi ai-je découvert le langage puissant et silencieux de ce ‘corps que je suis’ (expression de K. G. Dürckheim, par opposition au ‘corps que j’ai’). Il ne peut mentir, et exprime à tout instant ce que peut-être j’aimerais cacher dans mes oubliettes. Il demande à être reconnu et celui qui ne l’accueille pas dans sa pertinence se trouve vite sanctionné.

Disons, en appendice, que le rite a souvent été pour moi une question sans réponse. J’ai été formé dans la vie religieuse à une époque où on le rejetait facilement, car on le pensait vide de sens. Plongé dans la vie des monastères zen où le rite a une importance décisive, j’ai été obligé d’y réfléchir de nouveau et donc de faire un chemin de redécouverte. Par la gestuelle, par l’appel aux sensations, je le voyais me travailler au corps et prendre le chemin de la profondeur.

La découverte de la non-dualité

Comme beaucoup, j’ai été élevé dans le dualisme. Par exemple, dans mon esprit, il y avait Dieu, là-bas, infiniment pur et aimant, et moi, ici-bas, vermisseau pécheur et limité. Il y avait d’un côté la vérité dans son infinie lumière, et de l’autre l’erreur avec son cortège de turpitudes. Il avait d’un côté l’occident actif et créateur, et de l’autre l’orient passif et colonisé. Il y avait l’homme et la femme, le mal et le bien etc... C’était assez caricatural, schizophrène par moments, mais je dois reconnaître que je portais en moi ce schisme. Et même qu’il m’a servi à me structurer intérieurement.

Il y a donc eu le zazen, puis, je me suis lancé dans l’école des koans avec mon maître zen. Ces petites questions qu’il me posait étaient impossibles à résoudre grâce aux seules forces de mon intelligence. Car elles étaient généralement contradictoires en elles-mêmes. Comme je m’y suis appliqué, j’ai commencé à sentir monter en moi des réponses qui n’étaient pas naturelles, qui venaient d’un autre lieu de conscience. Elles étaient souvent bonnes. Et à chaque fois cela m’aidait à sortir du Deux pour entrer dans l’Un. J’apprenais à ne faire qu’Un avec le son de la cloche, avec le mouvement des mâchoires, avec le bruit d’une voiture, avec une pensée qui surgissait dans mon esprit, avec mon voisin qui s’agitait beaucoup, avec le goût du thé etc.

J’ai donc eu la chance de pouvoir expérimenter par moments l’unité profonde de tout ce qui est. Unité avec l’Etre Divin qu’il m’arrivait de sentir vibrer en moi. Je n’arrivais plus à dire ‘Dieu’, ce ‘mot redoutable’, ni à en parler à la troisième personne comme s’il n’était pas moi, aussi. Unité avec les humains qui m’entouraient. Et unité avec l’univers. Il y avait simultanément du un et du deux, j’étais toujours moi-même, mais en communion. Je pense que c’est là un grand cadeau pour les individualistes acharnés que sont les français, et qu’il ne retire rien à leur désir de liberté.

Par ailleurs, vivant en communion si étroite dans ces moments-là avec le cosmos, je me disais que peut-être l’Eglise a eu tort de privilégier de façon excessive la dimension historique de la foi. Bien entendu, l’Esprit Saint est au travail dans nos sociétés humaines et les achemine à travers bien des mutations vers une parousie. Mais je reprenais conscience que cette structure linéaire de la vie et de la foi ne doit pas faire oublier la structure cyclique. Les nuits et les jours, les saisons de l’année et celles de la vie portent en elles une parole d’espoir et de foi qu’on a trop oubliée. Peut-être qu’ainsi l’Eglise a laissé le champ libre à de nombreux mouvements religieux, tel le New Age, qui portent leur attention de façon privilégiée sur le corps, et le cosmos, et mettent à leur compte ce que contient le dogme de la création.

Heureusement qu’il m’a été donné de rencontrer le Bouddhisme. Comme les autres religions asiatiques, il n’a guère le sens de l’histoire qui pour lui n’est qu’un éternel recommencement. Mais par sa démarche et sa pédagogie, il m’a initié à ces quelques dimensions, nouvelles pour moi, de la vie spirituelle. Elles étaient présentes en moi, mais en sommeil. La secousse provoquée par la rencontre de ces moines non-chrétiens les a éveillées.

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samedi 6 septembre 2008

• Une conversion totale et instantanée - Robert Linssen

La voie abrupte de Chen-Houei (668-760) et Tetsugen (1630-1682)


Il est impossible de résumer ou de commenter complètement l'œuvre fondamentale du maître Chen-Houei, disciple de Hui­ Neng, ainsi que celle de Tetsugen. L'étude de ces œuvres nous montre immédiatement les similitudes extraordinaires avec la pensée de Krishnamurti. Ceci est surtout évident pour Hui-Neng et Chen-Houei.
La doctrine bouddhique du Dhyâna, qui porta le nom de « Chan » en Chine et finalement du Zen au Japon, enseigne que l'on peut parvenir à la délivrance non seulement en une seule vie mais dans l'espace d'une seule pensée (ekacitta).
La vérité, disait Carlo Suarès, est une chose que l'on voit complètement d'un seul coup, ou bien que l'on ne voit pas du tout. Il n'y a pas de demi-mesure entre le dualisme et le non-dualisme. Pour Chen-Houei, l'illumination véritable et définitive ne peut être que subite. Il la désigne en chinois par le terme « touen wou », ce qui signifie une conversion totale et instantanée, un bouleversement complet de la conscience, une réalisation abrupte, non préfigurée, soudaine et totale.
S'attacher aux pratiques, faire effort pour atteindre la bodhi (sagesse), le nirvana, la vacuité, c'est rester dans le domaine des notions et du fabriqué.
Krishnamurti insiste également sur le fait que toutes les méthodes, les pratiques, les recettes innombrables fournies par les systèmes religieux, les sectes, aboutissent tous à des résultats. Mais tous ces résultats sont précisément conditionnés par les caractères spécifiques des méthodes employées. La réalité, nous dit souvent Krishnamurti, n'est pas un résultat, elle n'est pas fabriquée. Nous trouvons à la fois chez Krishnamurti et chez Chen-Houei le même respect d'une chose essentielle : le caractère de spontanéité du Réel. Ceci nous prouve d'ailleurs l'influence considérable du Taoïsme sur le Zen, l'élément fondamental du Taoïsme étant la spontanéité.
Chen-Houei déclare textuellement que « ceux qui partent du principe absolu parviennent rapidement au Chemin. Ceux qui cultivent les pratiques externes y parviennent lentement. » (Entre tiens du maître Dyana Chen Houei, p. VI, par J. Gernet.)
« Du moment que l'on voit (réellement), dit Chen-Houei, les pratiques deviennent inutiles. Trancher les passions n'est pas le Nirvâna, dit-il : c'est la non-production des passions qui est le Nirvâna. »
Nous retrouvons toujours ici le thème central enseigné par tous les éveillés et repris par Krishnamurti. Le Sage demande, en effet, « qui supprime les passions, quels mobiles poursuit le « moi » dans la suppression ou la discipline de ceci ou de cela ? Ces processus ne font en général qu'emprisonner le « moi » dans un jeu de tensions s'exerçant entre le sujet (le « moi ») et les objets (ses passions).
C'est pour une raison identique, qu'en 1956 Krishnamurti terminait ses entretiens privés de Bruxelles sous la forme d'une question à la fois paradoxale et fondamentale : « les transforma tions auxquelles nous procédons dans notre vie intérieure ou exté rieure ne sont-elles pas inutiles aussi longtemps qu'elles procèdent d'un mobile personnel ? La seule transformation authentique ne serait-elle pas celle qui ne procède d'aucun mobile ? »
Ne procédant d'aucun mobile, et n'étant que l'expression spontanée du « sans cause », étant le « sans cause et sans effet », une telle transformation n'est plus susceptible d'être cataloguée dans le « fabriqué », le manufacturé.
Elle est libre des corruptions de la pensée.
Ainsi que l'exprime Chen-Houei, « on ne parvient à voir sa nature propre que grâce à une absence complète de toute activité soi-consciente de l'esprit, en rejetant d'un seul coup le causal (pratyaya) et le fabriqué (samskrta) ». Mais, nous dit Jacques Gernet « l'absence de pensée n'est rien d'autre que la substance de notre esprit propre » (1).
Nous trouvons ici une des clés les plus fondamentales expli­quant à la fois toutes les contradictions apparemment innombrables du Zen et de la pensée de Krishnamurti. Il faut comprendre que la vacuité, c'est-à-dire l'absence de pensées dualistes dans le mental, révèle la plénitude qui est éminemment substantielle. La vacuité doit être comprise comme l'absence de nos pensées habi tuelles dualistes; elle révèle ce que Tetsugen appelle le « Corps d'essence ». Et lors de la réalisation expérimentale de cet état, le Sage qui en parle, par le fait même qu'il en parle, énonce des termes qui sont empruntés à l'ancien domaine des confections mentales, et un tel Sage se trouve pris aux pièges innombrables que commandent les commodités du langage.
On insiste également sur le caractère de spontanéité du Réel. « La règle unique du Tao, dit Granet (Pensée chinoise, p. 524), est le Wu Wei, la non-intervention. On pense certes qu'il agit, mais en ce sens qu'il rayonne inlassablement une vacuité conti nue. »
Krishnamurti définit le même état d'être dans l'état d'amour véritable, lorsqu'il nous dit que c'est un pur état d'être, ni person nel, ni impersonnel, rayonnant continuellement vers tout ce qui nous entoure, quel que soit le caractère favorable ou défavorable de l'accueil qui est fait à ce rayonnement.
Jamais il n'est question de quitter le monde, mais d'agir dans le monde sans s'identifier aux anciennes fausses valeurs qu'y accordait le mental.
L'impensable, dit Chen-Houei (Jacques Gernet, p. 10), réside dans le fait d'accomplir l'Eveil à partir de la production de l'esprit initial (transformation sans mobile du moi, dirait Krishnamurti). Il s'agit d'une union (yoga) née d'une pensée instantanée. Jacques Gernet précise que « pensée instantanée » est prise ici dans le sens d'intemporelle. Cette pensée d'un caractère transcendant se produit dès le moment où l'esprit est vide de toute pensée (wu nien), c'est-à-dire de toute notion (de toute valeur mémorielle, dirait Krishnamurti) et de toute opposition. L'absence de pensée, dit Chen-Houei, « c'est la pensée instantanée et la pensée instantanée c'est l'omniscience. C'est grâce à une connaissance sans distinction que le Tathâgata est capable de distinguer toutes choses ». Nous avons toujours insisté, tant dans nos articles précé dents que dans nos livres, que nous ne pouvons pleinement jouer le jeu de la vie qu'en étant totalement libres de l'identification avec les formes qui lui servent d'expression.
Il ne s'agit pas pour Chen-Houei d'exercices à répéter quel­ques heures par jour, mais au contraire d'un état naturel permanent au sens où Krishnamurti nous dit que l'Eveil doit être réalisé tous les instants, en excluant finalement tout moment privilégié. Ainsi que l'écrit J. Gernet (p. 11) :
« Si l'école d'Houei Neng condamne la pratique de la récitation orale, c'est que pour elle esprit et paroles doivent aller de pair, car, dès que l'on voit en soi la nature du Bouddha, on reste dans un état d'oraison perpétuelle ».
Chen-Houei insistait également sur les dangers qui résident dans le fait de vouloir définir, de vouloir « demeurer » dans des notions, dans des valeurs préfabriquées. Ainsi que l'écrit J. Gernet (p. 12) : « Tout l'effort des maîtres de Dhyâna ne tend qu'à détacher les auditeurs de l'esprit d'erreur qui consiste à croire qu'il est possible et nécessaire d'avoir recours à des notions et de définir ce qui est en fait indicible. Il n'y a pas, en effet, de commune mesure entre l'absolu et notre stade de raisonnement logique fondé sur de vaines oppositions de concepts. C'est donc par un saut brusque que l'on doit « voir » en soi la nature de Bouddha..., en rejetant tout le causal (pratyaya), le fabriqué (samskrta), le relatif. On atteint alors cet état d'esprit d'un caractère transcendant qu'est le wu-nien. Mais, ainsi que nous l'avons développé maintes fois ailleurs, cet état ne met pas l'Eveillé dans l'incapacité de penser. Il est libre de l'identification avec ses pensées. Ainsi que l'exprime Chen-Houei (p. 13), « la pensée dans l'absence de pensée c'est la manifestation, l'activité (prayojana) de l'absolu. Lorsqu'on voit l'absence de pensée, on est maître de toute chose, lorsqu'on voit l'absence de pensée on embrasse toute chose. »
Mais cette absence de pensée, cette intégration totale à l'Univers se réalise par la révélation du dharmakaya, ou corps de pure essence qui, pour notre mental ordinaire, ne peut être défini autrement que par pure vacuité. Nous voyons à quel point ici les mots et les commodités du langage nous entraînent dans des affirmations apparemment contradictoires, car, bien entendu, le « Vide » des bouddhistes n'est pas un néant absolu, mais une plénitude.
Yuan Tchrog-Che de la préfecture de Tchang demanda un jour à Chen-Houei : « Qu'est-ce que la vacuité et qu'est-ce que la non-vacuité ? »
Chen-Houei répondit : « Le caractère insaisissable de la substance de l'absolu s'appelle vacuité. » (Remarquons bien ici que Chen-Houei parle du caractère substantiel du corps d'essence au même titre que Tetzugen.)
Mais, continue Chen-Houei, lorsqu'on est capable de voir cette substance insaisissable et que l'on est alors plongé dans une quiétude constante, on possède des activités (prayojana) nom breuses comme les grains de sables du Gange. C'est pourquoi on parle de non-vacuité.
Cette réponse donne à elle seule la clé de toutes les énigmes et de toutes les contradictions apparentes. D'une part, intérieure ment, en profondeur nous réalisons la vacuité foncière qui est notre corps d'essence (dharmakaya), mais en surface nous agissons dans le monde sans nous identifier à lui (ce qui donne un aspect de non-vacuité). Il est évident que ces deux aspects sont apparemment opposés mais complémentaires.
Ce que nous exposons ici semble être confirmé par l'enseigne ment de Tetsugen. Ce dernier fait d'une part appel au Prajnapa ramita hridaya Sûtra (Sûtra du Cœur), évoquant continuellement le Vide fondamental.
« Si on voit que les cinq agrégats sont tous vides, on peut se délivrer de toutes les souffrances » et « La matière c'est le vide, et le vide c'est la matière ».
D'autre part, Tetsugen a écrit un poème très profond où il déclare (Sermons, p. 24) : « Tous les phénomènes de l'Univers, transformés (2), sont des yeux. » La terre et le ciel manifestent la Lumière foncière (3). » Si l'on s'éloigne instantanément (4) et à jamais de la dualité du voyant et du vu» Le monde des dharma sans limite est le Diamant (5). »
Les similitudes de l'enseignement de la « Voie Abrupte », de Chen Houei, avec certains aspects de la pensée de Krishna­murti, nous montrent une fois de plus que les comparaisons entre le Zen véritable et la pensée du grand penseur indien sont très utiles et offrent une complémentarité extraordinaire qui, à notre humble avis, nous aide à mieux comprendre chacun des aspects de leurs œuvres, pour nous permettre un jour de mieux en mieux les appliquer.

Robert Linssen
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Notes:
(1) « II n'y a d'autre Dieu que l'homme purifié », dit Krishnamurti.
(2) Par la vision réelle.
(3) Du Dharmakaya.
(4) Allusion à la réalisation abrupte.
(5) Le Diamant est à la fois le Vide et la Plénitude d'un éclair éternel. La Voie Abrupte de Chen-Houei (668-760) et Tetsugen (1630-1682).

vendredi 5 septembre 2008

• Le moine des montagnes - Lin-tsi

Le moine des montagnes

Lin-tsi

Adeptes, voulez-vous voir les choses conformément au Dharma ? Gardez-vous seulement de vous laisser égarer par les autres. Tout ce que vous rencontrez au-dehors, comme au-dedans de vous-mêmes, tuez-le. Si vous rencontrez le Bouddha, tuez le Bouddha ! Si vous rencontrez un Maître, tuez le Maître ! .... C'est là le moyen de vous délivrer, d'échapper à l'esclavage ; c'est là l'évasion, c'est la l'indépendance.
De ces adeptes qui de toutes parts viennent à moi pour que je leur apprenne la Voie, il n'en est pas un qui soit indépendant, tous sont tombés dans le piège illusoire tendu par les anciens. Moi, le moine des montagnes, je ne possède aucun Dharma à transmettre aux hommes ; je ne fais que traiter la maladie et dénouer les liens.
Je vous le dis : il n'y a pas de Bouddhas, il n'y a pas de Dharma, point de discipline à cultiver, point de fruit à en attendre. Que cherchez-vous donc auprès d'autrui ? Aveugles, qu'est-ce qui vous manque donc ? C'est vous-mêmes qui ne différez en rien du Bouddha et des patriarches ! Mais vous n'avez pas confiance, et vous allez chercher au-dehors.


mercredi 3 septembre 2008

• Un appel profond de ma nature réelle - Pascal Ruga

C'est à chaque instant que nous devons mourir,
si nous n'incarnons pas cela, tout n'est qu'illusion.

Un soir, une expérience s'empara de moi. Je me trouvais devant une page blanche de ce « journal ‎‎», et j'éprouvais le malaise que j'évoque plus haut parce que ma page restait désespérément vierge. De ‎nombreux écrivains ont déjà soulevé dans leurs écrits cette hantise de la page blanche, mais la plupart ‎d'entre eux sont encore trop accrochés à leur état d'exception pour être délivrés de cet envoûtement. ‎Ce malaise persistait, mais je ne le combattais en rien, je me contentais de l'observer sans faire appel ‎au mental. Peu à peu la sourde souffrance née de mon impuissance disparut, et comme je n'attendais ‎rien et que je ne me soumettais à aucune condition de création, il en résulta un approfondissement de ‎ce rien ! Vouloir faire, pour être quelque chose, c'est toujours obéir au pathos obsessionnel du moi ; et ‎malheur à l'homme qui se justifierait d'être quelque chose parce qu'il se veut au service de ses ‎semblables !... C'est une de ces erreurs travestie en vertu dont on revient difficilement. Dès qu'un but ‎est fixé, quelque chose se corrompt quelque part ; et ceci je le ressentais avec une intensité ‎particulière. Ainsi, allant en se développant, ma méditation sur le vide se détacha lentement de la ‎pensée qui l'exprimait encore, et s'incarna en une réalisation du vide. Par cette passivité, j'obéissais à ‎un appel profond de ma nature réelle, et il s'était créé spontanément en moi un état que des disciplines ‎spirituelles millénaires suscitaient volontairement. On mesure toute la différence entre vouloir cet état, et ‎le laisser s'auto-révéler à soi ! ‎

Cet état était une manifestation de grande paix, de paix sans motif ; la conscience existait sans le ‎désir de connaître !... Il me semblait avoir rejoint la matrice de ma nuit originelle. C'était un poème ‎obscur et lent, silencieux, sans mots, sans espace, sans rien qui le soutienne, même pas une pensée, ‎même pas une extase, — une étrange tranquillisation de tout. Il n'était point question de désirer garder ‎cet état ou de le repousser, car ici tous les désirs s'abolissaient. Ce n'était pas non plus un rêve, car il ‎n'y avait pas d'image. Ce n'était ni la mort ni la vie, — peut-être une mystérieuse synthèse des deux !... ‎Au fond de moi, je ne sais pas !... il n'y avait là rien à savoir !... et les mots que j'aligne pour tenter de ‎donner une idée de ce vide sont bien misérables !... Seuls quelques paradoxes pourraient peut-être ‎donner le choc de la compréhension : cela peut être aussi bien une lumière obscure, qu'une obscurité ‎lumineuse !... cela n'entre dans aucune catégorie de l'esprit, car ce n'est ni de l'être ni du non être !... ‎Ce n'est ni un mouvement ni une immobilité ; et si j'ai écrit plus haut que c'était un poème silencieux, ce ‎n'était que pour essayer de donner l'intuition que là, il n'y a ni silence ni non silence !... Je ne devrais ‎même pas prononcer le mot unité, car il sous-entend déjà son antonyme. En réalité, il n'y a ni unité ni ‎dualité !... Mais j'en ai déjà trop dit d'une chose dont il n'y a rien à dire !... Car celui qui ne l'a pas ‎vécue ne peut en avoir qu'une impression superficielle. Cependant, je dirais encore que cela n'était ni ‎absolu ni relatif !... et la preuve c'est que j'en suis sorti, — j'ai émergé de ce bain de paix avec la ‎naturelle lenteur d'un être qui ne trouve pas cet état plus extraordinaire qu'un autre. Je repris mes ‎occupations quotidiennes comme si rien ne s'était passé, — et réellement, il ne s'était rien passé !... ‎‎(encore un paradoxe !...). ‎

A la suite de cette dernière et ultime expérience, (mais était-ce encore une expérience ? car une ‎expérience surgit toujours de deux éléments qui s'opposent !...) je passais quelques semaines riches de ‎calme et de quiétude éveillée ; et pourtant il ne me semblait pas que dans ma vie il y eut un ‎changement, ou tout au moins je n'avais pas le désir de l'observer et de m'en satisfaire. J'étais même ‎heureux que, dans mon entourage immédiat, on n'eut rien remarqué d'insolite dans mon comportement ‎habituel. Je gardais ainsi toute ma liberté d'allure en restant dans les normes des affections humaines. Je ‎dois tout de même m'avouer que secrètement je me sentais plus ouvert, plus perméable, que je me ‎laissais traverser par la vie courante sans chercher à en modifier le cours ; j'étais de moins en moins ‎sensible à l'esprit de création volontaire. Souvent je savourais des moments de solitude qui m'isolaient ‎du monde familier qui m'était propre. Des travaux qui m'eussent paru jadis ennuyeux étaient assumés ‎avec une équanimité souriante, — ce qui ne m'empêchait pas parfois d'avoir envers eux une ironie ‎bienveillante et amusée. A plusieurs reprises, je me suis surpris à découvrir de la grandeur dans les ‎actes les plus prosaïques. ‎
Revue Etre Libre. Numéros 152-154, Août-Octobre 1958