jeudi 20 octobre 2022

Le centre du regard a disparu - Marigal


Le numérique s’est immiscé en force dans le vivant. En convertissant le réel en système virtuel « 0 et 1 » c’est mis en place un monde binaire amputé de notre sensibilité corporelle, le ressenti de l’intelligence corporelle du vivant.
C’est là - ici et maintenant - qu’il nous est possible de retrouver le « réel de la réalité », le « ressenti de la réalité ».
Il est nécessaire d’aller vers le dedans de l’intérieur des sens, de diriger l’attention au lieu de la perception, à la racine de la sensation. C’est une observation sans observateur que l’auteur nomme l’Attention Perceptive.
Comment s’y prendre pour qu’il n’y ait plus « moi » aux commandes de cette globalité que je suis ? Il ne s’agit pas d’introspection, ou d’examen de conscience, mais simplement d’être conscient de ce qui est perçu sans interprétation.
Cette pratique n’est pas destinée à rajouter quelque chose à ce que nous sommes, mais à dé-faire, dé-nouer des conditionnements installés de longue date.
C’est par l’Attention localisée au lieu de la perception que nous pouvons prendre conscience concrètement de la présence de la Réalité primordiale qui est en nous – notre essence intime fondamentale, la même qui est l’essence intime de tous les êtres
Ce livre répond à l’impérative nécessité pour l’actuel homo sapiens de se reconnecter à la « Conscience Sensitive » face à un monde de plus en plus virtuel. Avec les nombreux exercices proposés ici il s’agit avant tout de retrouver le ressenti, le vécu des moments de félicité, d’amour et de joie, dès lors que l’identification à l’ego-pensée a disparu.

© Extrait publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias-L'Originel :

Pour l’illustrer concrètement, nous allons prendre un exemple, et comme on ne connaît vraiment que ce que l’on expérimente soi-même, nous allons essayer de voir et de dire ce qui a été perçu à l’occasion de notre propre expérience, laquelle d’ailleurs n’était pas nommément considérée comme « Éveil », étant donné qu’à ce moment-là j’en ignorais l’existence et la signification, mais comme un moment de grâce ou un moment d’ouverture.

Je n’étais alors dans aucune démarche particulière de recherche spirituelle et c’est arrivé d’une façon totalement imprévue et inattendue, dans un moment habituel de la vie coutumière. C’était un dimanche à la campagne, en début d’après-midi, après un agréable repas avec des amis. Je faisais quelques rangements dans la cuisine, lorsque... soudain, sans que rien de particulier ne se soit produit, je prends conscience que quelque chose est changé, différent. Tout est net, clair, limpide, immédiat, comme si un voile avait été enlevé, comme si une vitre avait disparu. Je n’ai plus l’impression de regarder autour de moi, le centre du regard a disparu, « je » ne suis plus dans le regard... Les autres, le monde qui m’entoure, le personnage que je suis, participent d’une même vie, d’une même substance, sans séparation, sans rupture, dans un même mouvement fluide et harmonieux. Les gestes coutumiers se déroulent d’eux-mêmes, simples, faciles, portés par un silence intérieur intensément présent. Silence – amour infini – qui émane de sa propre nature, irradie de lui-même et de toute chose.

L’ apparence du monde n’a pas changé, mais le monde vit autrement, habité par ce silence et cet amour qui sont le cœur de toute chose et de toute vie. Le personnage que je suis n’a pas changé, mais « je » n’est plus dans le personnage, remplacé par ce silence et cet amour qui rayonne et chante à l’infini.

Je continuais mes occupations et apparemment tout se passait comme si de rien n’était. Le soir c’était toujours là. Le lendemain matin je me retrouvais dans l’état habituel. Pendant deux ou trois jours, rien de particulier ne se produit, tout va comme à l’accoutumée. Je ne suis ni déçue, ni au regret que « ce moment » ait disparu, cela me rappelle d’autres rares « moments » de l’enfance qui ressemblaient à celui-ci, qui étaient venus puis repartis, me laissant le souvenir pendant quelques instants d’avoir été « au paradis ».

Mais cette fois, j’ai nettement conscience que cette expérience de quelques heures contient la réponse aux questions que j’ai pu me poser et que tout un chacun se pose un jour ou l’autre concernant la relation entre l’être individuel et l’univers, moi et les autres, Dieu et le monde. Tout était clair, lumineux, résolu, réconcilié, dans une totale liberté. Il fallait donc que je retrouve cet état, mais comment ?

Les quelques phrases ci-dessus qui expriment le vécu de cette expérience d’éveil vont orienter très nettement ce qu’allait être la recherche qui allait s’ensuivre. Comme la graine contient l’arbre, ce « moment d’ouverture » contenait à la fois le matériau de départ, la modalité du parcours et l’épanouissement.

Mon attention ayant été vivement interpellée, j’avais pu noter certaines observations qui me semblaient essentielles et que je devrais pouvoir retrouver : «je» ne suis plus dans le regard et « je » n’est plus dans le personnage. Et l’interrogation corollaire : quand « je » n’est plus là, qu’est-ce qui a disparu ? Simplement et de toute évidence, c’est « moi » qui n’est plus là – « l’entité-moi » a disparu.

C’est donc l’absence de « moi » qui est apparu comme le phénomène déterminant. À partir de là s’en est suivi le « comment ? » Comment s’y prendre pour qu’il n’y ait plus « moi » dans le regard ? Comment s’y prendre pour qu’il n’y ait plus « moi » aux commandes de ce « personnage-globalité» que je suis?

Dans le contexte de l’expérience, « personne » dans le regard voulait dire : aller à l’origine du regard, au-delà ou en deçà du regard, à l’avant-regard, qui devait se situer vers le dedans du cerveau, à la racine du mental. C’est ce que j’appelais « méditer », aller vers le dedans, qui sera le lieu d’étonnantes découvertes. 

En effet, cette remontée à la source nous conduit à la rencontre du « monde mental ». Une véritable pelote de nœuds faits d’émotions, de sentiments, de pensées, qui se mêlent, interfèrent, s’interpénètrent, s’embrouillent et prolongent leurs antennes dans toute la personne. C’est l’identification à ce conglomérat de phénomènes mentaux qui constitue l’artefact qu’est l’ego qui se prend pour une entité. L’entité-moi, un tel ou une telle qui, lorsqu’il s’ex- prime dit «je»... «Je» fais ceci ou cela, «je» ressens ceci ou cela, « je » pense ceci ou cela. C’est ce conglomérat de « choses-pensées » qui, au sein même de l’Un, crée une frontière mentale entre la conscience apparemment individuelle et la Conscience Une – l’Un qui inclut tout – CELA qui Est. Notons au passage que la « pensée » étant une vibration issue de l’Un et en même temps incluse au sein de l’Un, l’ego – étant un conglomérat de pensées – est aussi inclus dans l’Un et partie constituante de l’Un. 

Et l’Éveil ?

C’est l’instant subit, intemporel, hors du temps, où notre carapace égotique est transcendée. « Comme si » une brèche s’était produite et que la Conscience infinie, « comme » venue de l’extérieur, pénètre et envahit notre espace intérieur, nous inondant de joie et de félicité – ce que nous appelons « l’éveil en nous de la Réalité essentielle ». Ou à l’inverse, par ce « passage », notre conscience intime a «comme» traversé et débouché dans l’espace sans limite de la Conscience infinie et s’est fondue en Elle – ce que nous appelons « l’éveil à la Réalité infinie ».

En fait ce n’est ni l’un ni l’autre, plutôt les deux à la fois. La Réalité individuelle n’étant pas différente de la Réalité infinie, c’est la «Conscience Une» qui se rejoint elle-même, en elle-même. Cette rencontre de la conscience avec elle-même, amorce l’éveil de la Conscience... la Conscience s’éveille... l’Éveil apparaît, se manifeste, se déploie : l’Éveil EST. 

(Ce témoignage n'est pas sans rappeler celui de Virgil, publié dans Éveil Impersonnel).