mercredi 19 octobre 2022

Habités par une Conscience qui emplissait tout - Sri Aurobindo


Des ateliers à l’étable, de l’étable aux ateliers, je récitais tout en marchant les immortels mantras des Upanishads et découvrais dans leur profondeur une source de lumière et de force ; ou bien j’observais les allées et venues, les ac­tivités des prisonniers, et j’essayais alors de réaliser cette vérité essentielle : 'sarvaghate nârâyana', Nârâyana est dans toutes les choses – dans les arbres, les bâtiments, les murs, les hommes, les animaux, les oiseaux, les métaux et la terre ; 'sarvam khalvidam brahma', tout ceci est en vérité le Brahman.

Je répétais ce mantra, cherchant à me pénétrer de cette réalité à la vue de toute chose. Peu à peu, mon état d’esprit devint tel que la prison cessa d’être une pri­son. Ce haut mur, ces barreaux de fer, cette paroi blanche, cet arbre aux feuilles bleutées qu’illuminaient les rayons du soleil, tous ces objets ordinaires ne me semblaient plus inanimés ou insensibles, mais au contraire doués de vie, habités par une Conscience qui emplissait tout, et j’avais l’impression que toutes ces choses m’aimaient et voulaient m’étreindre. Hommes, vaches, fourmis, oiseaux, pas­saient, volaient, chantaient, en somme jouaient le jeu de la Nature ; mais au-dedans, immergée dans une béatitude pleine de paix, se tenait une Âme, pure, vaste, détachée.
Il me semblait parfois que le Seigneur se tenait debout sous l’arbre et jouait de la flûte, de Sa flûte de Joie, et mon cœur se sentait irrésistiblement attiré par la douceur de ses notes.
J'avais toujours le sentiment que quelqu’un m’entourait de ses bras, me pressait contre son sein et, à mesure que cet état d’âme se développait en moi, une paix immense, indicible, une paix immaculée m’envahissait et prenait possession de moi. L’écorce qui recouvrait mon cœur se détacha, laissant couler un flot d’amour vers toutes les créatures. En même temps, bonté, compassion, non-violence, toutes ces qualités sâttviques se mirent à fleu­rir en moi, dominant ma nature plutôt râjasique. Et plus elles s’épanouissaient, plus ma joie grandissait, et plus cet état de paix inaltérable s’approfondissait.
L’inquiétude que pouvait me causer le procès s’était dissipée dès le début, mais à présent j’éprouvais au contraire le sentiment que c’était Dieu, dans Sa toute-bonté, qui m’avait, pour mon bien, amené en prison. Je serais acquitté, libéré, j’en avais la ferme conviction. Et à partir de ce jour, je ne souffris plus de mon emprisonnement.