Allo, allo, il y a quelqu'un ?
Arrivé à ce chapitre, vous allez avoir certainement envie de me dire : «Franck, depuis le début de ce livre, vous avez employé le mot “moi” des dizaines de fois et dans ce cas, il doit bien y avoir quelqu’un pour pouvoir affirmer qu’il n’y a personne.»
En effet, si on demande dans une assemblée : « Franck, pouvez-vous lever la main ? », aussitôt je la lève en ajoutant : « Franck, c’est moi. » Si on me demande « Vous préférez le thé ou le café ? », je réponds aussitôt : « Le café », en ajoutant au besoin que je déteste le thé et qu’il n’y a que les Anglais pour boire un truc pareil.
Lorsque je suis en compagnie de ma femme, je lui dis souvent à quel point je l’aime et quand je me tords la cheville, je crie ouille, comme tout le monde et je pourrais continuer ainsi indéfiniment. Y a-t-il identification avec le corps esprit, avec le personnage Franck ? La réponse est assurément oui. Mais quoi qu’il en soit, il n’y a plus ce sentiment moi tel qu’il se faisait sentir autrefois, car la pensée qui permettait de le conceptualiser a disparu.
Ce sentiment moi n’est dans le fond qu’une pensée allant et venant au sein de ce qui est déjà. Pour essayer d’être exact, ici, ce n’est pas qu’il n’y a personne, la vérité est infiniment plus simple, il n’y a tout simplement plus la pensée qui autrefois faisait croire qu’il y avait quelqu’un.
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Durant trois jours, eu lieu non pas un retour dans la conscience séparée mais un retour de la conscience d’être séparé. En raison de ce sentiment d’incomplétude, surgit très vite la volonté de retrouver le chemin. Je me lançai ainsi au travers de diverses stratégies méditatives tout en sachant d’emblée qu’aucun chemin n’était nécessaire.
Évidemment, ces stratégies provenant du sentiment de séparation furent donc vaines comme elles le furent durant trente années de recherche. Puis un matin, après avoir pris une tasse de café, retour à « l’état » naturel. La séparation ayant disparu, il ne resta que ce déjà-là qui est déjà avant tout sentiment d’incomplétude. Le souvenir de la séparation étant encore très frais, je sortis une feuille de papier afin de noter la différence existante entre ce qui était ressenti avant et après cette rupture.
Concernant ce déjà là, le seul mot qui me vint pour l’exprimer fut «rien»... Impossible de mettre un mot dessus, je ne pus noter seulement ce qu’il n’y avait pas, tout au moins ce qui venait de disparaître. Il est clair et évident que cette affaire d’extinction, que d’autres appellent éveil, repose uniquement sur le moins et non le plus...
RIEN... Aucun manque, aucun besoin, le besoin de combler un manque n’existe pas.
Sans manque ni besoin, aucune question n’existe, il n’a rien à chercher, rien à ajouter, rien à soustraire ou à vouloir comprendre, tout est parfait tel que c’est sans dire c’est parfait tel que c’est.
Sans manque, ni besoin, vouloir faire ou vouloir ne pas faire n’existe pas. Il n’y a donc aucune place pour le concept d’effort à faire ou à ne pas faire, la notion même d’effort n’a tout simplement aucune existence.
Cette situation m’amuse, j’essaie de dire « Je suis » ... Impossible d’y parvenir ... Ce « Je suis » est appréhendable seulement par ce qui n’est plus et ce qui n’est plus n’est plus. Il faudrait réinventer le mental mais le mental n’étant plus, il n’y a ici plus de mental pour imaginer, pour réinventer le mental.