Dans ce livre, Ramesh Balsekar nous présente l’œuvre majeure, l’Anubhavamrita, d’un jeune sage Indien non-dualiste du treizième siècle, Jnaneshwar (1275-1296). Déjà le texte en lui-même, à la fois poétique et philosophique, serait assurément une formidable source d’inspiration mais les commentaires de Balsekar, éclairés par l’enseignement de Nisargadatta Maharaj, nous permettent une percée plus précise dans la compréhension même de ce qu’est une approche réellement non-duelle, et de ses implications dans notre vie quotidienne.
Le sujet du livre est que la dualité entre l’Absolu non-manifesté et la manifestation de l’univers est illusoire et n’existe pas réellement. Jnaneshwar et Ramesh affirment que c’est uniquement lorsque l’identification à l’entité individuelle est totalement abandonnée que nous demeurons tel que nous sommes vraiment.
Ramesh Balsekar nous offre ici l’opportunité de goûter en sa compagnie l’essence même de l’expérience de l’immortalité, ICI ET MAINTENANT. A défaut d’en faire l’expérience, le lecteur attentif, qui accepte de laisser de côté tout ce qu’il sait ou croit savoir, se retrouve dans une ouverture, une disponibilité, où le pressentiment de CE QUI EST prend le relais.
Ramesh nous le rappelle : CE QUI EST est toujours là, tellement simple, qu’il suffit de cesser de conceptualiser, d’imaginer, de fantasmer, pour que cela saute aux yeux. Nous sommes d’ores et déjà ce que nous cherchons, la liberté, la quiétude. Nisargadatta, Balsekar, nous invitent ici à simplement ÊTRE.
Extraits choisis publiés avec l'aimable accord des Éditions Accarias-l'Originel
Le Vide et le Plein
L’ignorance est transitoire, et c’est la pure connaissance qui prévaut. C’est comme la prévalence de l’état de veille qui subit la nature éphémère de l’état de sommeil.
A l’aide d’un miroir, le visage voit sa ressemblance, mais c’est le visage seul qui existe fondamentalement.
De même, l’ignorance momentanée s’identifie à chaque être sensible, mais fondamentalement, la connaissance essentielle prévaut, autrement ce serait comme un poignard se transperçant lui-même.
Dans ces versets, le sage fait allusion à l’émergence de la conscience dans l’état originel de la totalité du potentiel, la pure subjectivité, quand, naturellement, comme il y a absence complète d’objectivité, il n’est pas question de quelqu’un ou de quelque chose qui éprouve un sentiment de présence. C’est uniquement dans cet état d’unicité que le sentiment de présence survient (JE SUIS, c’est-à-dire la conscience), et que simultanément il produit sur lui-même la totalité de la manifestation et dans le même temps les concepts d’espace et de temps en lesquels le phénoménal va s’étendre.
Cette conscience impersonnelle sur laquelle la manifestation se déploie est la « connaissance » dont le sage parle ici, et « l’ignorance » est le stade où la conscience impersonnelle (ou universelle), après s’être objectivée dans la dualité de la manifestation en tant que sujet et objet, s’identifie à chaque être sensible. Quand cette personnalisation de la conscience impersonnelle a lieu, l’ego individuel, ou le « concept-moi » naît. C’est cet ego individuel ou ce « concept- moi » qui est la « servitude » de laquelle la « libération » est recherchée. Et la « libération » est la réalisation que c’est la conscience impersonnelle ou universelle qui est notre véritable nature, et que l’objet phénoménal auquel cette conscience s’est identifiée est purement une aberration ou une illusion, une apparition qui n’a pas la possibilité d’avoir d’existence indépendante propre.
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La connaissance pure ne peut pas être consciente d’elle-même ;
L’œil peut-il se voir lui-même ?
La connaissance pure ne peut pas se connaître elle-même, parce que le connaissant et le connu sont un. La connaissance qui tente de se connaître elle-même serait comme la pure subjectivité tentant de se trouver en tant qu’objet. Ce serait comme l’œil tentant de se voir lui-même. La pure subjectivité (la connaissance pure) n’a pas la moindre trace d’objectivité, et donc elle ne peut pas se connaître elle- même ; si elle s’objectivait, ce ne pourrait être que dans la dualité et il ne resterait plus alors de pure subjectivité. En d’autres mots, ce qui cherche la connaissance est la connaissance même, le chercheur et le cherché sont un seul et le même. En fait, c’est seulement quand on réalise que le chercheur ne peut pas être trouvé que le but de la recherche est atteint, parce que la recherche (le fonctionnement de la recherche) ne se produit que dans l’esprit divisé à travers la division du sujet et de l’objet, du chercheur et du cherché. Notre véritable nature n’est pas le dispositif phénomènes que nous voyons, mais le fonctionnement même de la manifestation (voir, faire, penser) sans le moindre sujet pour voir un objet. Comme Nisargadatta Maharaj le disait : JE SUIS ce qui connaît, comment pourrais-je me connaître moi-même ?
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25. Si « tout ce qui est » ne peut être déclaré ni présent ni absent, cela ne signifie-t-il pas que « tout ce qui est » est juste « rien » ?
26. (A cette objection ou interrogation, la réponse est) qui (ou quoi) s’interroge pour savoir si « tout ce qui est » doit être le « néant » ?
27. Quiconque (ou quoi que ce soit) en est arrivé à la conclusion du « néant », est forcément présent pour faire cette objection. Nommer « CELA » le néant serait donc un reproche ridicule.
Les aspects de présence et d’absence sont tous deux des concepts phénoménaux, et donc, ils ne peuvent pas s’appliquer à ce qui est cela même qui conçoit.
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Ce que le sage dit entre les lignes dans ce chapitre, c’est que comme ce-que-nous-sommes-vraiment est par nature absolument libre et totalement inconditionné, tout concept (et tout désir) de libération ou de réalisation personnelle ou d’illumination, est en soi un obstacle à l’aperception impersonnelle de cette liberté. Dans tous les cas, une telle aperception ne peut pas être un objet perceptible par un percevant. Il ne peut y avoir que la perception même, qui est elle-même la Vérité. En essayant d’appréhender la Réalité, l’erreur qui voile toute compréhension est cette tentative de comprendre ce-que-nous-sommes (la Réalité) sur une base objective, alors que la Réalité est pure subjectivité, le sujet unique sans la moindre trace de qualité objective. En fait, la Réalité est cela sur quoi apparaît la manifestation temporelle du phénoménal, qui est prise à tort par l’objet sensible pour « réelle ». Que l’apparition phénoménale soit présente ou absente, le substrat de la Réalité (Ce-que-nous-sommes-vraiment) est éternellement présent à part entière, indépendamment de la manifestation phénoménale temporelle. Au niveau conceptuel, la disparition à la fois de la présence et de l’absence des apparitions manifestées, laisse un vide, un néant, mais le vide, ou le néant conceptuel, est en réalité une plénitude (un plenum potentiel) qui représente la présence Nouménale absolue, ou l’absence totale du phénoménal. C’est inconcevable simplement parce que c’est Cela qui conçoit, et la conception ne peut pas concevoir la conception. En d’autres termes, le sage attire notre attention sur le sujet (qui n’apparaît pas pour exister) sur lequel l’objet peut apparaître comme quelque chose qui est phénoménalement absent.