lundi 27 août 2018

• Dans l'instant, il n'y a de place pour personne - Malo Aguettant


En amont de tout ce qui constitue le contenu d'une existence, il y a être.
En amont de notre apparente identité, de notre nom, de notre sexe, de nos qualités et défauts, des sensations et des émotions que l'on éprouve, des pensées que l'on a, il y a être.
[...]
Pouvons-nous nous libérer de ce bruit de fond, de ce parasitage permanent, pour accéder directement à "être", c'est-à-dire à ce que nous sommes déjà ? Ou bien sommes-nous condamnés à passer notre vie entière sous hypnose, esclaves de nos émotions et de nos pensées ?
[...]
Posez la question en terme de recherche, d'efforts à fournir en vue d'un résultat, parait contradictoire avec le fait d'être, ce qui est immédiat. Certains en tirent la conclusion qu'il n'y aurait rien à faire.
Pourtant, il est indispensable de voir que cette nécessité d'une investigation sur la nature du moi s'impose dans la mesure où nous croyons à un moi autonome et séparé du monde. Il est donc très important de tenir compte de cette croyance, puisqu'elle est à l'origine de notre recherche. Aussi, il est impossible de faire l’économie de cette enquête sur le moi tant que cette croyance persiste. C'est un paradoxe inévitable à considérer. Plus nous serons authentiques avec nous-mêmes, c'est-à-dire que nous serons cohérents avec notre identification à notre moi, plus cette croyance diminuera, jusqu'à disparaître complètement. C'est grâce à une soumission rigoureuse à ce paradoxe que l'identification sera alors vue comme une illusion.

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Pour peu qu'on porte une certaine attention à nos pensées au cours d'une journée, on constate un brouhaha permanent, une foule plus ou moins chaotique d'idées qui s'entremêlent les unes avec les autres.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on n'est pas seul chez soi. Nous ne sommes cependant pas au bout de notre déconvenue. Le pire comme toujours est à venir lorsque nous croyons pouvoir intervenir dans ce chaos de pensées, soit pour les arrêter, soit au moins pour les contrôler. On s'aperçoit très vite que l'on n'a que très peu de pouvoir sur nos pensées. L'image d'un moi maître de lui-même, libre, ne dépendant de rien d'extérieur en ce qui le concerne, en prend un sérieux coup.
Alors nous cherchons à comprendre ce qui peut bien se passer dans notre tête.
On peut s'asseoir en silence pour observer ce phénomène, pour voir ce qui se passe. Mais il ne s'agit pas d'en faire une expérience particulière. On est là simplement pour voir sans chercher à changer ou à s'approprier quoi que ce soit.
Là où les choses se compliquent, c'est que lorsque l'on vient s'asseoir, on a déjà en nous l'idée qu'il faudrait faire quelque chose pour être en silence. Or, il n'y a rien de particulier à faire pour rester en silence.
Alors, on décide de ne rien faire pour rester en silence. Et là, c'est encore pire parce que c'est une idée de plus qui vient s'ajouter à la première. Et deux idées, ça fait encore plus de bruits qu'une seule. L'idée de ne rien faire pour rester en silence s'ajoute à la première idée qui était de simplement être en silence. Ce n'est pas gagné ! Mais justement il n'y a rien à gagner.
Il n'y a pas de méditation réussie ou ratée. Le drame du mental, c'est qu'il réussit à tout transformer en concept ou en stratégie en vue de changer ce qui est, même les choses les plus simples comme le fait de s'asseoir en silence.
Une méditation produit un état particulier. Mais n'importe quelle expérience peut produire un état particulier. Un café, un embouteillage, faire la queue au supermarché, écouter les informations, l'arrivée de la déclaration des impôts, un reproche ou un baiser de votre conjoint, produisent également un état particulier.
Ce dont il est question, c'est "cela" qui connaît tous ces états particuliers. Mais "cela" ne peut être connu qu'au prix de la disparition d'un moi qui le connaîtrait. Il n'y a donc personne pour connaître "cela". C'est justement parce qu'a disparu l'identification à ce qui cherche à connaître, que cela peut être réalisé.
L'ultime paradoxe, c'est que la seule chose à laquelle nous ne pouvons pas nous identifier, c'est justement notre identité. "Etre" n'est pas une identité. S'identifier revient à se reconnaître dans une forme forcément limitée. Or, "Etre" ne se situe ni dans l'espace, ni dans le temps. Ce qui est, c'est ce par quoi le temps et l'espace peuvent apparaître.

Extraits de "Rien ne manque à cet instant - Tant que vous n'y ajoutez rien". Éditions Accarias l'Originel

Vu sur le blog La Maison d'Emmanuel