Au lieu de vivre,
nous pensons à la vie. Notre attention se trouve presque
continuellement hypnotisée par les points de vue que nous
entretenons sur la réalité. Nous identifions ce que nous sommes
essentiellement aux pensées et images que nous entretenons sur nous.
Lorsque nous arrêtons
notre course effrénée vers l’avant, nous revenons à l’essence
et à l’immédiateté de notre expérience humaine.
Selon le shivaïsme tantrique non-duel,
chaque perception sensorielle peut devenir l’occasion d’une
reconnaissance spontanée de notre vraie nature et d’une vague de
joie pure, si nous l’abordons consciemment : tel est le yoga
des sens.
L’univers onirique et le sommeil profond
se révèlent être également, pour le yogi, des domaines
d’exploration consciente extraordinaire, où les rêves lucides,
les grands songes transformateurs et les absorptions en notre lumière
inhérente (samadhi),
fleurissent.
Dans ce livre l’auteur partage, avec un
bel enthousiasme communicatif, sa propre expérience ainsi que des
pratiques spécifiques concrètes, de véritables « Yoga »,
destinées à réaliser notre nature profonde, à percevoir
intuitivement et directement la réalité et à laisser s’épanouir
la conscience à travers les trois états naturels de notre
expérience humaine : la veille, le rêve et le sommeil profond.
L’Être – ce que nous sommes vraiment
par delà toutes les apparences – est la Conscience (la Lumière
consciente selon le Shivaïsme) qui émane, éclaire et perçoit
toutes les formes dans un radieux maintenant, un éternel libre
présent.
« On
trouvera dans ce livre une science profonde, puisée sur le sol de
l’Inde, et qui est plus que jamais nécessaire aujourd’hui pour
nourrir les expériences spirituelles de nos contemporains. »
José
Le Roy (extrait
de la préface)
© Extrait publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias-L'Originel :
Le
reflux de Māyā
Asanga
(4ème
siècle), l’un des fondateurs de l’école Yogacara dans le
bouddhisme, affirme la réalité exclusive de la conscience ;
d’une manière limpide, il nous suggère :
« La
conscience qui se déploie dans la naissance est nouée et entravée
par la vue du soi (la personnalité), de là sa tension agitée et
impuissante. On y remédie en stabilisant la conscience dans
l’intériorité, ce qui revient à installer la conscience dans la
Conscience elle-même ».
Bien,
mais comment procéder ?
Si
notre conscience perd sa lumière immédiate et sa transparence
illimitée en se différenciant, se limitant, se contractant dans la
conscience mentale et les perceptions de la personnalité, il
suffit donc d’inverser le courant en remontant à la source de
toutes les perceptions et de toutes les pensées : la conscience
elle-même.
Plonger
dans l’intériorité véritable qui éclaire la totalité du
processus. Nous y parvenons en retournant notre attention, notre
conscience perceptive, vers sa propre source. Cette source n’est
pas le moi mental identifié à ses pensées, ses émotions, son
corps ; elle est la conscience elle-même.
La
lumière consciente qui éclaire à chaque instant la totalité de
l’expérience immédiate et sensible, car ne sommes-nous pas
conscients de nos perceptions et des émotions qu’elles
suscitent ?
La
lumière consciente qui éclaire également chacune de nos pensées –
car ne sommes-nous pas conscients du processus de la pensée lorsque
nous sommes attentifs - ?
Ce
reflux de l’activité perceptive vers la Source Conscience donne
ainsi le jour à différentes voies, que nous appelons « Yoga
des Sens », Yoga que nous décrirons plus précisément dans
les chapitres qui suivent.
Plongés
dans la confusion, nous identifions « cela », qui
perçoit, à notre moi contracté, la personnalité. Nous le faisons
automatiquement, et sans nous en rendre compte nous amputons le
déploiement sensoriel de sa véritable source : la
Conscience.
Par
manque d’attention et suite à une investigation superficielle de
notre expérience immédiate, nous déconnectons l’acte perceptif
de son origine et lui attribuons un centre réflecteur limité (la
personnalité), réduit aux instruments sensoriels, aux différents
organes de perception et d’action et à la conscience mentale qui
s’en attribue alors, abusivement, la paternité.
Le
grand tour de magie s’accomplit : le règne de la séparation
et de la dualité se surimpose à l’ordre divin originel.
Māyā,
l’ensorceleuse cosmique, se réjouit. Pour plaire à son divin
époux – Śiva
– et pour affirmer Sa liberté fondamentale, elle accomplit
l’impossible : le sujet un et souverain s’identifie à la
personnalité limitée qui se croit alors le centre terminal de la
perception.
La
lumière consciente, « toujours déjà là » pour
reprendre la belle expression du philosophe Martin Heidegger, s’avère
être le fond réellement conscient qui sous-tend l’intégralité
des modalités de notre expérience humaine et de l’apparence
universelle.
Ainsi,
lorsque par un acte d’attention détendu nous laissons s’inverser
le dynamisme de nos perceptions vers leur source véritable,
celles-ci se réfléchissent naturellement dans le miroir pur et
parfait de la conscience.
Les
perceptions elles-mêmes se déploient alors librement et clairement,
elles ne sont plus contaminées par le réflecteur mental limité et
frappé du sceau de la dualité, de la séparation.
Ce
qui est perçu ne quitte pas sa propre origine – la lumière
consciente – et s’y épanouit librement, merveilleusement,
spontanément, dans un présent théophanique hors du temps et de
l’espace habituels. Les différentes perceptions sensorielles qui
d’ordinaire fonctionnent sur le mode mental de façon duelle,
fragmentée et génératrice de séparation « sujet / objet »,
se réintègrent et s’unifient en une perception désobstruée,
directe, intuitive, englobant les différents sens.
Un
sens
originel,
une « holoperception »,
un toucher
divin
incluant dans une seule prise de conscience la conscience elle-même
et l’apparence, comme un Tout parfait et un.
Ce
sens originel est le but secret recherché par les artistes, les
poètes et les philosophes. Il s’avère également l’espace
improbable et grandiose, impensable et improuvable où s’épanouissent
librement le ravissement extatique, l’adoration brûlante et la
paix insondable des mystiques de tous les temps.
Le
maître zen Rinzaï en témoigne dans un de ses textes :
« L’esprit
est sans forme et compénètre tout dans les dix directions.
Dans
l’œil, on l’appelle la vue,
Dans
l’oreille, l’ouïe,
Dans
le nez, l’olfaction,
Dans
la bouche, la conversation,
Dans
les mains, la préhension,
Dans
les pieds, la marche et la course.
Ce
n’est foncièrement qu’un seul pur rayonnement qui, divisé,
se
répartit en six sphères des sens harmonieusement unies.
Puisque l’esprit est non
existant,
vous
êtes libres où que vous alliez ».
Le
sens originel est donc, en quelque sorte, la perception que la
Totalité a d’elle-même, spontanément, dans le moment présent ;
il réduit les formes et apparences innombrables en une Apparence
unique et unifiée.
Il
constitue l’essence la plus pure de la perception spirituelle.
Ainsi
l’Apparence se déploie-t-elle en la Source. Splendeur, elle y
flamboie, totalement dénudée, totalement unifiée en un jeu d’ondes
pures, de pulsations dynamiques, de vibrations incluant l’essence
de tous les phénomènes.
Cette
Apparence est à jamais libre du temps et de l’espace. Elle
s’apparaît à elle-même dans un éternel, ultime et théophanique
présent, à travers une prise de conscience fulgurante, souveraine
et extatique.