Découvert par hasard vers 1945 en Haute Égypte le prestigieux Évangile selon Thomas date du IVe siècle. Cet écrit est composé de 114 logia ou dits de Jésus, qui révèlent que le Royaume est déjà présent en chacun de nous contrairement aux évangiles canoniques.
Très différent des Évangiles canoniques, ce magnifique texte qui fait de Jésus un gnostique nous invite à une découverte par soi-même de soi-même, le Vivant, qui est notre réalité. Les gnostiques insistent sur la primauté de l'expérience immédiate individuelle.
Émile Gillabert (sa traduction des logions est reprise ici) s'est particulièrement passionné pour L'Évangile selon Thomas. Il disait qu'en Orient il existait une pléthore de textes non dualistes, mais qu'il y avait un manque en Occident. La découverte de ce texte fournissait la preuve que Jésus avait prononcé des paroles non dualistes témoignant du même éveil que les grands sages d’Orient. Il a fondé l'Association Metanoïa dont le but est d'approfondir et de faire connaître L’évangile de Thomas.
Quelques décennies plus tard l'Association Metanoïa eut la bonne inspiration d'inviter Karl Renz à quatre reprises. Ce livre rapporte l'essentiel de ces commentaires. Les paroles spontanées de Karl – telle une toile d'araignée qui se tisse et se resserre – s'emparent de celui qui s'expose pour lui bloquer toute issue. Un écho non duel et non conventionnel de la Gnose véritable.
« Il nous faut, comme nous y invite Jésus, nous dépouiller de tout vêtement personnel. La nécessité de cet abandon est soulignée d'un bout à l'autre des 114 logia », souligne Émile Gillabert, rejoignant ainsi Karl : « Cela, c’est la nudité absolue. Et cela, c’est Jésus. »
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Je suis ce qu'est Jésus
logion 1
Et il a dit :
Celui qui trouvera l'interprétation de ces paroles
ne goûtera pas de la mort.
Il s’agit ici du Jésus intérieur et non du Jésus anecdotique des apparences.
- En fait, on en arrive à dire : « Je suis Jésus ».
« Je suis ce qu’est Jésus ». C’est différent. Jésus a dit : « Je suis ce qu’est le Père, mais je ne suis pas le Père ». Cela désigne toujours l’essence de ce qui est, sans jamais la nommer. Je dirai donc : « Je suis ce qu’est Jésus » et non : « Je suis Jésus ».
- Cela ne veut-il pas dire : « Je suis Cela » ?
Lorsque Dieu est descendu des cieux et que Moïse lui a demandé : « Qui es-tu ? », il a dit : « Je suis Cela qui suis ». Il a donc précisé qu’il était l’essence du « Je suis ». Ce qu’est la conscience, mais pas cette conscience.
- Ce qui impliquerait la persistance de ma personne.
Non, non. C’est l’opposé. En fait, ça l'élimine. Ça élimine la définition. Encore une fois, Jésus est un nom, une définition. Alors que tu es vide. Tu es le vide où se trouve la nature du Christ. Dans cette tradition, on dit que la nature du Christ est l’essence. De même que dans le bouddhisme, la nature de Bouddha est l’essence, le Soi. C’est juste un autre nom pour le Soi.
- Il est important de préciser ce qu’on entend par certains mots.
Oui, et c’est pourquoi je dis : « Je suis Cela qui est ». Et non : « Je suis Jésus » ou « je suis Dieu », ni ne le nomme. Il y a un livre de Nisargadatta Maharaj qui s'intitule : Je suis Cela, ce qui laisse Cela totalement ouvert. Cela supprime le monde. Cela indique seulement ce qui est antérieur à ce monde phénoménal, ce qui réfère toujours au noumène. À ce qui ne peut être ni nommé ni défini.
Il n’y a pas différents « Soi ». Même si Cela semble recouvert, en réalité, Cela ne peut pas l'être. Il n’y a pas de couverture, pas de voile. Peut-être que, pendant quelque temps, Cela semble oublié, recouvert par une religion, une tradition, cependant Cela est toujours sous-jacent, Cela est toujours présent et Cela se manifestera à nouveau. Dans toutes les traditions, il y a des mystiques et des métaphysiciens qui sont au sommet de la pyramide et qui, de là, contemplent les religions. Les voies infinies, mais elles conduisent toutes à ce que tu es. Parce qu’elles sont toutes faites par le Soi, pour le Soi. Donc, tu ne peux pas passer à côté du Soi. Quelle est la meilleure voie ? Je ne saurais dire. Quand tu es au sommet, il n’y a jamais eu de voies. Mais ce n'est pas une compétition. Chaque pas avance toujours vers ce que tu es. Il n’y a pas de voie qui soit meilleure qu'une autre. Le Soi sait le mieux, et il n’y a pas rien d'autre que le Soi.
- Quand la religion traverse des périodes de grandes déviations au point de perdre apparemment toute signification, est-ce encore une voie ?
Parfois un détour est une voie directe. Parfois, ce qui semble une voie directe est une voie infinie. Qui décide ? Qui établit les critères ? Ce qui semble si long n’est rien pour ce que tu es. C’est hors du temps, et ce qui est dans le temps ne deviendra jamais ce qui est antérieur au temps.
- Le message de Jésus est un message intérieur, il nous dit que le Soi est à l’intérieur de nous dans la caverne secrète, c’est la vérité. Pourtant, il y a deux mille ans, on s'est emparé de Jésus pour en faire une religion. Paul de Tarse, dit Saint Paul, a inventé une religion aberrante totalement à l’inverse du message de son maître puisqu’il promet le salut de la personne dans un autre monde. C’est Disney World !
Oui, parfait.
- Deux mille ans pendant lesquels des millions d’êtres humains ont été dans une impasse !
Mais si tu parles ainsi, c'est que tu vois toujours quelqu’un qui pourrait entrer dans une impasse. Or pour ce que tu es, ça ne fait aucune différence, car « atteindre ce que tu es » ne veut rien dire. Donc, tout ce que ce pouvoir a fait était exactement ce que la conscience ou Dieu voulait qu’il fasse. On ne peut pas être induit en erreur. Et tant que tu es quelqu’un qui peut être induit en erreur…
- Veux-tu dire que tout ce qui sort du Soi n’a pas d’existence ?
C’est un reflet. Mais ce n’est pas le Soi. Et dans ce reflet, il y a des reflets infinis, des voies qui conduisent et des voies qui fourvoient. Aussi toute idée d’être induit en erreur a besoin de quelqu’un qui pourrait l'être. Et cette pensée première « moi » est déjà une fausseté en soi. Qu'elle dise : « Ceci me conduit » ou : « Ceci me fourvoie », les deux sont faux. Dès que jaillit cette pensée « je », le concept est là, et tout ce qui en sort induit en erreur. Il n’y aura jamais quelqu’un qui pourra être conduit dans le droit chemin. L’idée même de droit chemin crée le mauvais chemin.
- Alors, il n’y a ni bien ni mal. Tout est bien. Saint Paul a donc son rôle dans l’économie du Soi.
Dans le bouddhisme tibétain, ceux qui préservent la religion ou l’enseignement sont appelés les gardiens du Dharma. Et pour ça, on a besoin de techniques, de voies et de tout ce qui peut être accompli afin que ce monde puisse exister. C’est simplement un fonctionnement qui préserve ce monde. Il n’y a rien de vrai ou de faux là-dedans, là n'est pas la question. Pour qui cela devrait-il être vrai ou faux ?
Tout ce que tu nommes, tu lui donnes vie. Si tu dis : « Illusion », cette illusion est là. Et tout ce que tu en feras la rendra réelle. Le simple fait de prononcer « illusion » la rend réelle. Il faut quelqu’un pour dire qu'une chose est une illusion, or ce quelqu'un est déjà une illusion. Celui qui se définit est une définition. Donc tout ce qui vient de la première définition, tout ce que quelqu’un dit ne fait aucune différence pour ce que tu es. Nommer quoi que ce soit ne peut pas faire de toi ce que tu es. Cette compréhension que le monde est une illusion va et vient, mais pas ce que tu es, et tu ne dépends pas de cette compréhension ou réalisation que tout ceci est un rêve. Quel que soit le nom que tu lui donnes. C’est juste un autre concept.
© Extrait publié avec l'aimable autorisation des Éditions Accarias L'Originel.