En février 2012, le rêve de mon histoire personnelle s’est définitivement terminé. Est apparu alors un mystère sans nom. Cela ne m’avait jamais quitté, j’avais simplement oublié ce que j’étais. Maintenant, il y a un vide vibrant sans commencement ni fin. Nous sommes tous Cela. Nous sommes l’Un.
Le monde tel que nous le percevons, la vie que nous pensons vivre et la personne que nous semblons être apparaissent au sein de la conscience. La conscience est une étincelle qui surgit dans l’Absolu. L’Absolu est ce qui est. L’expérience directe de cette vérité est ce qu’on appelle la liberté.
Expériences d'éveil :
Première expérience : Février 2012. Un soir, après plusieurs heures de méditation, une prise de conscience radicale à eu lieu. Étonné de ne jamais l’avoir remarqué auparavant, j’ai réalisé qu’absolument tout ce que je connaissais, expérimentais ou percevais était un rêve qui se déroulait à la périphérie de la conscience. Toute ma vie avait été une vague et cette vague se souvenait maintenant de ce qu’elle était : l’océan. Étrangement, je me sentais trahi. Ce fut un choc brutal !
Le moi, synonyme d’inconscience, s’était accaparé chaque petite parcelle de ce que j’appelais alors « ma vie » : je travaille, je regarde, je médite, je respire, j’aime, je dors, etc. Cette découverte fut d’une intensité si bouleversante qu’une panique presque insupportable surgit. Je comprenais que mon corps, ma vie, la relation avec ma femme, la spiritualité, la terre, le cosmos, Dieu… absolument tout était conçu par le moi pour me garder emprisonné dans un état de sommeil profond. Réalisant que Dieu aussi était un leurre je me suis effondré. J’avais tout inventé, rien de ce que je vivais n’était vrai. Je mourais et Dieu mourait avec moi.
Il n’y avait plus aucun espoir, j’étais totalement seul, abandonné de tout. J’ai commencé à prier : « s’il vous plait, s’il existe quelque chose de vrai, venez à mon secours ». Mon cœur battait la chamade et je transpirais à grosses gouttes. L’intensité parvint à son comble et je sus intuitivement « soit je m’éveille de ce cauchemar, soit je deviens fou ». À cet instant précis je sentis une expansion fulgurante, une sorte d’explosion. Malgré la terreur incommensurable qui survint, j’ai pu me laisser aller au processus. Au même moment, le moi prit la fuite. En essayant de trouver refuge partout et en tout sans y arriver, il s’est finalement dissout.
Le lendemain matin, j’avais l’impression d’être un nouveau-né voyant le monde pour la première fois. J’étais incapable de nommer les choses. Malgré cela il m’était possible de fonctionner plus ou moins normalement. Je me sentais un peu confus, mais assez vite le brouillard s’est dissipé. En entrant en contact avec d’abord ma compagne, puis mes proches, mes collègues et mes amis, je me suis aperçu, à ma grande surprise, que pratiquement plus aucune réaction égotique ne survenait.
Ce fut le début d’une période d’extase, accompagnée souvent par des rires incontrôlables. J’allais faire de longues promenades dans la forêt pour savourer ce nouveau trésor. Chaque fois qu’un souvenir de moi surgissait, je le reconnaissais de suite comme étant illusoire. Cela me remplissait de bonheur. Il me suffisait de regarder mes mains pour m’effondrer de joie. Il m’était devenu impossible de les considérer comme étant miennes. Même le mot « main » était de trop. Lorsqu’une pensée tentait de me convaincre de son existence, je voyais instantanément l’absurdité de la chose. Absolument tout était un mystère que je n’avais pas besoin de résoudre. J’étais l’inconnaissable, j’étais le tout. Alexandre avait disparu. Intuitivement je savais qu’une transformation radicale était survenue. Je sus que j’étais libre, aussi incroyable que cela puisse paraitre.
Deuxième expérience : L’abandon total a eu lieu quelques semaines après l’éveil initial, un soir, en regardant la télévision avec ma compagne. Sans raison apparente, mes mains attiraient mon attention. En les fixant du regard, une intuition claire et nette émergea : « Quand ce corps disparaitra, cette expérience d’éveil disparaitra aussi, ceci n’est donc pas l’éveil. Ce qui peut aller et venir n’est pas l’ultime ». Là, subitement, mon corps s’est complètement détendu et au même moment, j’ai ressenti une crainte révérencielle. Je me souviens encore d’avoir rapidement demandé pardon, probablement parce que je pressentais qu’un événement colossal était sur le point de se produire. Puis, en un clin d’œil tout disparut : la télévision, le living, ma compagne, moi… tout.
Je sentis une lourdeur énorme et j’eus l’impression d’être aspiré vers le bas à une vitesse vertigineuse. Quand ce mouvement s’arrêta enfin, il n’y avait plus personne. Il n’y avait que l’immensité, une immensité tellement vaste imprégnée d’une paix tellement profonde qu’il est impossible d’en parler correctement. Rien ne pouvait perturber cette paix. J’étais cette paix sans avoir connaissance de ce que j’étais.
Au sein de cet espace infini apparut soudainement une étincelle de la taille d’une tête d’épingle. Comme une pensée, elle surgit. Il n’y avait aucun lien de cause à effet entre l’étincelle et l’immensité. Cette étincelle est ce que nous appelons Dieu, la conscience pure au sein de laquelle semble éclore l’expérience que nous appelons « univers ». Elle rayonne un irrésistible désir d’être. Son nom est « Je ». Ce « Je » est impersonnel, universel. C’est une explosion de conscience.
Ce flash infinitésimal a lieu maintenant, mais je ne suis pas la conscience. Je suis tout ce qui n’est pas cette étincelle, c’est-à-dire : rien. Il n’y a aucune expérience, il n’y a que cette paix infiniment profonde. Je suis cette paix ; c’est ce qui est… c’est l’origine sans commencement. Il n’y a pas de mots pour décrire Cela car les mots appartiennent à la conscience. Je suis ce rien, et ce rien, c’est tout.
En rouvrant les yeux, je fus sous le choc. Dans la pièce, il n’y avait plus personne pour expérimenter quoi que ce soit. Tout était là, mais tout était totalement vide. Je me souviens d’avoir pensé un peu naïvement : « tiens, c’est donc ici que Bouddha habite ». Ce qui venait de se produire, c’est ce que chacun craint et désire au plus profond de lui. Cela ressemble à la mort, mais ça ne l’est pas, c’est la libération. À cet instant ma quête spirituelle prit définitivement fin.
Cette « non-expérience » marqua aussi le début d’une découverte sans cesse renouvelée. Joie ultime ! Être vide du monde ! Être conscience pure disparaissant dans le vide. Être Amour. Être ce vide conscient, vibrant et amoureux. Être ! Le désir de saisir disparut pour faire place à un émerveillement, un étonnement plein de gratitude. La paix sans fin ni début est la source de cette joie.
Troisième expérience : durant le printemps et l’été 2013, un an après l’éveil, presque imperceptiblement une dépression se manifeste. Curieux et fasciné, le processus est observé. Mais des pensées de plus en plus sombres et noires déferlent. Petit à petit, tout perd son sens. Des pensées suicidaires remontent à la surface et au moment où la dépression menace de briser la relation amoureuse avec ma compagne, je commence à m’inquiéter.
Mais que se passe-t-il donc ? Il m’est devenu impossible de voir l’amour. Je pense à Auschwitz, à la prostitution, aux cartels de drogues, aux guerres, à toute la misère dans le monde et je suis horrifié. Je crois mes pensées et j’en conclus : ceci n’est pas de l’amour ; autant quitter ce lieu de misère.
Puis un matin, je me souviens d’un weekend passé avec Tony Parsons. À la fin du stage, Claire, sa femme, était venue vers moi pour me dire qu’une fois de retour chez moi, je devais absolument appeler Tony pour parler, en privé, de « mon » expérience d’éveil; ce que je n’ai pas fait, puisque tout allait parfaitement bien. Un an après, je me vois composer son numéro et c’est lui qui décroche. En deux, trois paroles j’explique et il capte tout de suite. Il m’explique que c’est le moi, qui tente de se reconstruire. Et puisque c’est impossible — lorsque le vide absolu se dévoile, il n’est plus possible de faire demi-tour —, le moi meurt, tout simplement. « Les derniers débris du moi sont en train de mourir ; le moi n’est pas un ennemi, ne donne pas de force à ce processus. L’amour n’a pas besoin de puissance, le moi en a énormément besoin », me dit-il.
Dans un deuxième entretien téléphonique, il m’explique que tout est l’un ; aussi bien l’ultime beauté que l’ultime horreur. Je comprends immédiatement. Pour le mental, ce constat est inacceptable. Mais le mental crée un monde illusoire de beauté et de laideur, de bien et de mal, de sombre et de lumineux. L’un (la non-dualité) englobe tout cela. Dans l’un, il n’y a pas d’opposés, ni d’avant, ni d’après, ni de distance, ni de connaissance. Tony dit : « c’est le paradoxe ultime du rien qui apparait comme le tout (nothing appearing as everything) ».
La méditation refait surface. Pas dans le sens traditionnel du terme, mais en marchant et en m’asseyant, dans la simplicité totale, sans but. C’est « être avec » l’agonie du mourant. Ce mourant est au seuil de sa disparition, entouré de bienveillance, d’amour et de sagesse sans mots. Le vide n’est plus effrayant, c’est la paix ultime. Ce vide est libre de sens et de non-sens. Les opposés disparaissent. L’amour émerge. La détente s’installe. Maintenant le cœur s’ouvre et un mouvement naturel de compassion envers tout ce qui vit à lieu. Entrer en contact avec la souffrance profonde et universelle m’a permis de ne plus chercher refuge dans l’absolu, mais d’être ici et maintenant, dans la beauté ainsi que dans l’horreur, sans juger, avec un cœur ouvert. L’expérience de la dépression a donné une profondeur insoupçonnée à la vie. Merci Tony. (Tony Parsons : http://www.theopensecret.com/ — En français).
Vu sur le site d'Alex Kimpe : Vivre Carpe Diem, le retour à la source