Les mots sont trompeurs, le monde du mental
Les mots, les concepts sont trompeurs, certes, nous le savons, ils ne sont que des indicateurs, tout comme le doigt qui pointe vers la lune, mais je voudrais montrer qu'ils ont également et souvent une autre qualité que bien des fois nous négligeons. Il leur manque la nuance. C'est ainsi que si l'on parle d'une souffrance, on ne sait pas où se situe cette souffrance sur la palette des souffrances possibles. Certes nous allons nuancer le discours, mais est-il bien possible de communiquer la nuance autrement que vaguement, au sujet d'une notion subjective qui, par nature, n'est pas quantifiable ?
C'est ainsi que, si je dis que je réalise la paix, ou la liberté, ou une autre qualité de l'état naturel, de quelle paix s'agit-il ? De quelle liberté s'agit-il ? Le mot, le concept se présente un peu comme un interrupteur On/Off, alors que l'expérience est nuancée et serait plutôt comme un variateur. Il est donc clair que celui à qui je communique mon expérience ne doit pas se laisser abuser par les mots. Ne nous en faisons pas accroire. Ne trompons ni nous-mêmes, ni autrui en allant s'imaginer toute une histoire. J'indique juste une expérience, le reste n'est que jugement, verbiage et tromperie. De toute façon, paix, liberté, qualités de l'état naturel ne sont que des concepts, des mots, ils ne sont pas la réalité.
Voyons un peu cela et revenons sur l'aspect trompeur des mots en ce sens qu'ils ne sont que des indications. Tout comme le montre la métaphore du doigt et de la lune, il est clair que l'on peut prendre le doigt pour la lune. Je ressens le besoin de me pencher de plus près sur le sujet.
Il est clair que, dans le domaine de l'esprit conceptuel ordinaire, on peut donc prendre une chose pour une autre. On peut prendre le doigt pour la lune, le serpent pour la corde, etc. Mais que dire du domaine qui dépasse l'esprit conceptuel des êtres ordinaires ? Comment peut-on même prétendre indiquer avec les mots et les concepts l'indicible et l'inconcevable ?
Mais le dire comme ça n'est-ce pas ajouter du mystère à ce qui nous est le plus évident et familier et que cependant nous ignorons ?
N'y a-t-il pas une certaine pertinence à pointer vers la présence, vers la conscience ? Mais, le plus souvent, sans nous en rendre compte, par la force de l'habitude soutenue par la présomption et la croyance que nous connaissons, nous allons subtilement chosifier, conceptualiser cette présence, cette conscience.
Autant le mot nous indique, autant il nous détourne.
On pourrait dire que les mots, les concepts sont trompeurs car ils ne donnent ni la qualité, ni la quantité, ils ne donnent ni la chose ni sa nuance. Ça c'est pour le domaine conceptuel. Mais, plus encore, dans le domaine qui nous occupe, ils nous indiquent et nous détournent...
Voilà le monde du mental. Bien étrange monde de la pensée, monde des concepts, monde des histoires, monde fantasmagorique, illusoire...
Mais allons voir de plus près.
L'intelligence n'est-elle pas une fonction du mental ?
N'est-ce pas un outil particulièrement performant que possède l'homme ? Au cours de la phylogenèse, si l'on admet, ne serait-ce que provisoirement, cette hypothèse pour les besoins de la compréhension, n'est-ce pas un outil supplémentaire qui permet à l'individu et à l'espèce de mieux se préserver, se développer... ? Par exemple, pour l'homme, ce bruit est le bruit d'une automobile, mais pour le hérisson...
Mais au juste, qu'est-ce que l'intelligence ? N'est-ce pas cette faculté qui fait que toute perception, quelle qu’elle soit (visuelle, auditive, tactile, sensitive, olfactive, gustative, mentale...) est rendue immédiatement (c'est à dire sans intermédiaire) intelligible ? N'est-ce pas un merveilleux outil d'adaptation, de préservation, de développement... que n'a pas le hérisson ?
Mais tout ce qui a une face a un dos.
Le mental a la faculté d'intelligence mais possède également une autre fonction comme l'indique l'étymologie : men (indo-européen), mens en latin, la faculté pensante, faculté qui est le propre de l'homme, qui a donné, je suppose, man en anglais, et mensonge en français.
Effectivement, le mental a également cette faculté, celle du mensonge qui consiste à cacher ce qui est et montrer ce qui n'est pas. C'est, d'un certain point de vue, la racine de la souffrance, comme l'indique si bien le dharma du bouddha (ignorance, avidyâ, la non(a)-vue(vidyâ), ma-rigpa en tibétain). Effectivement, le mental nous trompe en nous faisant prendre des vessies pour des lanternes, le non-duel pour le moi et le monde...
Le mental est la racine de la souffrance en ce sens que, s'il y a moi, il y a le non-moi. Dès que je pose, bien involontairement d'ailleurs, une limite entre moi et autrui, il y a un sentiment subtil, ou moins subtil, d'appartenance, de possession. Ça c'est à moi, ça c'est moi, et ce n'est pas à autrui, ce n'est pas autrui. Il y a immédiatement espoir et crainte et donc souffrance. Bien joué. Merci mental.
Si je réalise que le mental me ment, si je réalise que moi et le monde ne sont pas ce qu'ils semblent être à l'esprit ordinaire, alors, pas de souffrance... Ce n'est pas plus compliqué que ça. Encore faut-il que la réalisation ne soit pas seulement intellectuelle, mais ça c'est une autre histoire.
Très souvent il y a le monde
Donc, très souvent encore, le plus souvent devrais-je dire, il y a l'autre, le monde... S'il y a le monde, c'est qu'il y a moi. Le moi n'apparaît pas de façon évidente mais il devient évident dès que j'y regarde de plus près. Mais, quand je le cherche, ce moi, individu séparé du monde, à l'évidence, il n'est pas. Il n'est pas de façon objective. Je ne suis pas ce corps, je ne suis pas ce mental (états d'esprit, émotions, pensées, etc.). Cependant, à l'évidence, je suis le sujet, le sujet par excellence. Disons la présence, conscience non conceptuelle. Et ce monde, l'autre, n'est pas différent de cette présence. Je suis cela qui est.
Très souvent encore, le plus souvent devrais-je dire, par la force de l'habitude, la croyance, la présomption que je suis un moi, individu séparé du monde, vient habiter l'espace de la conscience, vient habiter l'espace de la présence, de façon subconsciente. C'est tellement habituel et familier que, le plus souvent donc, cette présomption, cette croyance n'est pas remarquée. Alors, tout ce qui apparaît à la conscience est immédiatement transformée, rendu intelligible comme un monde, l'autre. C'est ainsi que le monde apparaît à la conscience voilée par la croyance, la présomption non manifeste, que je suis un individu.
Cependant, souvent, par la force de l'habitude également, la conscience me revient que je ne suis pas cela que je crois être quand je suis sous l'influence de l'esprit ordinaire. Alors, si je m'exprime avec les mots de l'esprit ordinaire, je suis cela qui est, ce flux éternel, ce maintenant qui apparaît sous forme de flux d'apparences diverses, nulle part, jamais.
Notons que cette réalisation apparaît, pour l'esprit ordinaire, être dépendante de circonstances, en l'occurrence de la circonstance de prendre conscience que je ne suis pas cela que je crois être. C'est vraisemblablement cela qui fait dire qu'il y a un chemin et un but, tout un programme…
Mais, à y regarder de plus près, il m'apparaît que, tout comme le moi individuel, les circonstances n'ont pas plus d'existence que le serpent n'a d'existence dans la corde ou que le tigre n'a d'existence dans le film. Il n'y a jamais eu, dès le départ, de moi et donc de circonstances. En ce sens il n'y a pas de chemin, pas de but, pas de programme...
Dom le V A d'I