Jean Klein (1912-1998) apparaît comme une figure majeure, au XXe siècle, de la philosophie de la non dualité, philosophie née en Inde, et connue sous le nom d’advaïta vedânta.
Jean Klein occupe une place singulière dans le monde de la spiritualité. Il est en effet musicien, violoniste, artiste.
Nita Klein, sa fille, comédienne, apporte ici son témoignage, issu des notes prises lors de leurs rencontres sur plusieurs années.
Nita Klein nous conduit dans un espace où l’on découvre que le regard de la spiritualité, de la non dualité, peut être d’une étonnante fécondité quand il se pose sur l’art.
Extrait de l'ouvrage publié avec l'accord des Éditions Almora :
La présence de Jean Klein était ainsi, un continuum d’harmonie qui venait de nulle part, n’allant nulle part, une présence ne faisant que poursuivre, tellement là et pourtant toujours mouvante. On ne pouvait se l’approprier, se l’attacher. Quand on était dans ses bras la douceur et la chaleur étaient immenses et pourtant c’était comme si on glissait dans l’eau, comme s’il nous laissait glisser à la rencontre de nous-même – ou pour revenir à nous-même ? On aurait pu se sentir abandonné, orphelin, s’il n’y avait eu ce regard ami.
— Mais où est-ce que je vais ?
— Il n’y a nulle part où aller, le but est atteint à chaque instant, tu vas où tu es, sois libre. Tu dois comprendre que ton point de départ est ta présence au présent, et celle-ci en est en même temps le point d’arrivée.
Être ? Une interrogation, que Jean Klein faisait naître et laissait se dissoudre en chacun de nous. Les questions alors en même temps s’éveillaient, quelquefois d’un long et profond sommeil. Ces interrogations, ces questions étaient les mêmes, qu’il s’agisse de l’art en soi ou de l’art de vivre, la quête était la même, le chemin serait le même : que faire avec le temps, comment composer une nature morte, que faire de ce corps, comment équilibrer la lumière et l’ombre sur la toile, que faire de vivre, comment regarder un arbre, ordonner les mots sur la page blanche, et la mort ; comment laisser l’autre ou le personnage de théâtre être par lui-même, libre de toute conception, comment élever son enfant, qu’est-ce que l’espace pour un danseur, qu’est-ce que l’action, comment l’espace va-t-il jouer avec la couleur, qu’est-ce que le mouvement de la vie, comment unir le mobile et l’immobile, qu’est-ce que la pensée ?
Questionner… Observer…
« Nous sommes réunis aujourd’hui pour voir ensemble comment rendre plus vivante, plus actuelle, la compréhension de ce vous-même, de cette paix infinie qui ne vous a jamais quittés mais qui reste voilée par tous vos conditionnements.
Il me paraît utile de faire connaissance avec ce qui est à la base de notre existence quotidienne, c’est-à-dire notre corps, nos sensations, nos sentiments, nos pensées. La connaissance de soi, de ce qui compose notre personnalité demande une attention ouverte, alerte, sans intention, qui permette à la perception de se dévoiler, de s’exprimer pleinement, de s’harmoniser. Nous savons que notre personne n’a pas d’existence réelle, elle dépend toujours de la conscience pour être connue. Celle-ci, au contraire, n’a pas besoin d’intermédiaire, elle se sait elle-même par elle-même et toute la création en est une émanation, une expression.
Certaines zones de notre structure sont purement énergétiques, d’autres au contraire sont fermées. Vous constatez, tout d’abord, dans diverses régions une qualité, une grande sensibilité, une sorte de vibration, dans d’autres zones, par contre, vous avez l’impression de quelque chose de concret, de solide, de sombre. Partez des régions particulièrement sensibles, soyez très attentif et vous sentirez des vibrations envahir les parties encore récalcitrantes. En commandant alors quelques mouvements à votre corps subtil, les membres physiques suivront d’eux-mêmes, sans que vous interveniez le moins du monde et toute votre structure sera intégrée dans la pose. Cela se traduit au début par des picotements, ensuite, plus en profondeur, vous remarquerez une qualité vibratoire d’une nature élastique, pourrait-on dire.
Cette approche permet déjà de nous dégager peu à peu des noeuds qui étaient formés.
Vous êtes le connaisseur. Cela commence par une perception. Regardez-la seulement, ne la nommez pas, faites-y face directement. C’est possible quand votre attention est sans tension, sans but ni recherche de résultat. Si vous éprouvez lucidement, pleinement la sensation, il ne reste pas de place pour la fixation d’un moi. N’ayant plus de complice, la perception se dissout dans votre présence.
Regardez votre fonctionnement dès que vous êtes confronté à un problème. Vous vous apercevrez que vous ne lui donnez pas la possibilité de s’exposer, de se dévoiler entièrement ; vous jugez, comparez, interprétez, cherchant instinctivement à vous trouver en sécurité devant la difficulté. Voyez-le ; dans cette attitude, vous ne pouvez faire un avec elle, vous restez obnubilé par vos réactions, vos résistances. Si vous savez rester dans la perception directe, telle qu’elle s’est présentée à vous, elle se réfère à votre totalité, non à l’image que vous avez créée ; elle se démasque, apporte sa solution et l’action juste.
Observez votre façon de procéder dans la vie de tous les jours, démontez au fur et à mesure ce mécanisme qui vous fixe. Votre esprit veut choisir entre l’agréable et le désagréable, le beau et le laid, car tant que vous vous situerez comme une entité particulière, votre vision sera fragmentaire, inexacte. En vivant dans une fraction, vous avez un point de vue fractionnel. Faites connaissance avec vous-même, c’est essentiel si vous voulez vivre harmonieusement et surtout ne vous laissez pas emprisonner dans le personnage que votre environnement a inventé de toutes pièces.
Tant que vous croyez être une personne, votre entourage garde cette qualification pour vous. Un objet ne peut voir que des objets. Sur le plan de l’individu, vous voulez constamment vous sécuriser, être aimé, reconnu. Lorsque vous aurez détecté que ce ramassis d’expériences, d’informations est le produit de la mémoire, ce besoin vous quittera et vous vous trouverez naturellement dans un espace non meublé, sans représentations. Vous êtes à ce moment-là dans une immensité, une vastitude sans schéma, vous êtes un avec l’autre ; présence d’amour dans laquelle les personnalités se manifestent. C’est une non-relation qui permet à une véritable relation de s’établir.
Le mythe d’un soi-même est un peu le résultat de notre entourage, c’est la société qui l’a suscité. Vous êtes un individu pour celui qui se prend comme tel. N’adhérez plus à ce fantasme, cela favorisera déjà une prise de conscience. Vous découvrirez un jour avec un immense sourire de soulagement par quelle aberration a pris naissance l’idée chimérique de se croire quelqu’un. Cela n’enlève pas les influences diverses qui ont joué, elles ne disparaissent pas d’un seul coup à ce moment-là, mais une constatation lucide entraîne une vision claire, juste. C’est une ouverture à la grâce. »