Akhilandamma est née en 1871 non loin de Tiruvannamalai. Mariée à l'âge de cinq ans, comme le prescrit la tradition, elle aurait dû quitter son domicile à la puberté pour vivre chez son mari. Ce dernier est décédé alors qu'elle n'avait que sept ans et les circonstances sociales en vigueur à cette époque faisaient qu'il lui était impossible de se remarier. Quand elle eut grandi, elle décida donc de vouer sa vie au service des sadhu. Elle a rencontré Bhagavan [nom qu'utilisent les disciples de Ramana Maharshi pour le désigner et qui signifie : béni, saint ou seigneur] pour la première fois en 1896. A partir de 1903, elle lui rendait visite fréquemment et lui apportait régulièrement de la nourriture sous forme de prasad [offrande à un temple ou à une divinité dont une portion est rendue à la personne qui l'a apportée] que Bhagavan acceptait avec grâce.
" Un jour, alors qu'il était à Skandashram [un petit ashram construit sur la colline sacrée Arunachala où vécut Ramana Maharshi de 1916 à 1922], je suis montée sur la colline avec toute la nourriture nécessaire à la bhiksha [nourriture servant d'offrande pour tous ceux présents]. Ne voyant pas Bhagavan je demandai à Akhanadanandar, également connu sous le nom d'Appadurai Swami, où se trouvait Bhagavan.
Il me répondit : " Aujourd'hui c'est le jour où l'on rase Bhagavan. Donc, attendez s'il vous plaît. "
Il ajouta que comme c'était la pleine lune, il était de bon augure de demander une upadesha [enseignement verbal] à une grande âme, avant de faire la suggestion suivante : " Quand Bhagavan viendra, veuillez lui demander de vous transmettre quelque upadesha de ses gracieuses paroles. "
Par nature, je n'ai pas plus tendance à nourrir le désir de faire une telle requête qu'à en être capable. Voir Bhagavan, penser à lui et le servir suffisaient largement à mon bonheur. De plus, n'ayant reçu aucune instruction, je ne me sentais pas qualifiée pour lui demander quoi que ce soit. Quand bien même je lui poserais une question, je ressentais de l'appréhension quant à ma capacité à comprendre sa réponse. Cependant, pour une raison ou une autre, ce jour-là, j'eus envie de donner suite à ce que m'avait suggéré Akhanadanandar.
Une fois rasé, Bhagavan vint s'asseoir auprès de nous. Il n'avait pas encore pris son bain.
Pendant qu'il était assis là, je m'approchai de lui, m'inclinai, me relevai et m‘adressai à lui : " Bhagavan, ayez l'obligeance de me dire quelque chose. "
Bhagavan me fixa du regard et demanda : " De quoi dois-je vous parler ? "
J'était à la fois perplexe et déconcertée. Un mélange de peur et de dévotion ajoutées à l'enthousiasme d'entendre les gracieuses paroles de Bhagavan m'envahit, me rendant incapable de parler. Je restais là debout complètement muette.
Bhagavan comprit mon embarras. Personne ne peut lui cacher quoi que ce soit. D'un simple regard, il peut comprendre l'état d'esprit de quiconque s'approche de lui.
Dans le cas présent, il me regarda gracieusement et dit : " Soyez sans vous quitter ".
Je ne compris pas le sens de cette upadesha de haut niveau et je n'avais pas la moindre idée de la façon dont elle se pratique, mais dès que les mots quittèrent la bouche de Bhagavan, je ressentis une immense satisfaction et une effusion sans pareil dans mon esprit. Ces mots de grâce s'élevèrent en moi tels le flux des marées. Le sentiment qu'ils produisirent me donna une joie indescriptible. Je me tins là enchantée de l'impression qu'avait amenée cette seule phrase. Encore aujourd'hui, le son de cette upadesha résonne dans mes oreilles et m'envahit d'une paix immense. Est-il jamais possible de décrire la grâce de Bhagavan ?
Qu'est-ce qui a été dit ? Comment être sans me quitter moi-même ? En quoi consiste l'état de quitter ? Que signifie " moi-même " ? Laissons aux enseignants spirituels, aux vedantins, le soin d'expliquer toutes ces choses. En ce qui me concerne, elles sont incompréhensibles. De plus, je n'ai aucun désir de les saisir. Le bonheur que l'on peut atteindre non seulement en comprenant cette phrase, mais aussi en la mettant en pratique, ce même bonheur, Bhagavan me l'a donné au moment même où les mots sortaient de sa bouche. Il ne me fut pas nécessaire de les appréhender parce que je fis immédiatement l'expérience de l'état vers lequel pointaient les mots sans même en comprendre le sens. Cette expérience immédiate, cette parfaite satisfaction, furent pour moi le fruit de cette upadesha. J'ai été en mesure de comprendre à travers cette expérience qu'en la présence bienveillante de Bhagavan, une seule gracieuse expression peut produire à la fois le fruit et l'accomplissement de toutes les pratiques spirituelles comme shravana [entendre], manana [penser ou réfléchir] and nididhyasana [contempler ou demeurer].
Après avoir donné cette instruction Bhagavan resta assis là pendant très longtemps ; je demeurai également debout devant lui. Cela me paraissait avoir une grande signification. Laquelle est, qu'après avoir donné l'upadesha à travers les mots : " Soyez sans vous quitter ", Bhagavan donna une illustration pratique de comment faire en demeurant lui-même dans cet état. "
Un détour incontournable : Un Océan de Nectar