Vivance radicale
La maîtrise véritable, c’est la capacité à rester pleinement présent, quoi que la vie nous apporte, parce que nous avons confiance en qui nous sommes.
Joseph Campbell, le célèbre spécialiste des mythes, remarquait que nous cherchions tous, par des chemins multiples, à donner un sens et un but à notre vie, mais qu’en réalité, ce que nous souhaitions vraiment, c’était nous sentir pleinement vivant et totalement libre. Cette aspiration vient du tréfonds de notre être, et nous savons qu’elle est essentielle et authentique. L’accomplir est l’un des principaux buts de l’humanité; c’est le coeur véritable de la vie spirituelle. Y goûter, c’est s’éveiller d’un long sommeil et ressentir une plénitude telle que, pour la première fois, nous réalisons l’existence d’un sentiment de vacuité qui a toujours été là, en nous. Soudain, sans que la pensée intervienne, nous connaissons les réponses à nos questions les plus profondes, par exemple, pourquoi nous sommes ici.
Très tôt, dans ma carrière d’enseignant de la conscience, j’ai appris qu’il était relativement facile d’amener les gens à un état que je nomme la «vivance radicale», quand l’esprit est silencieux, le corps empli de présence et qu’une toute nouvelle ferveur pour la vie se fait jour. Le secret, ainsi que je l’ai réalisé, ne se trouve pas dans la recherche délibérée d’un état particulier de conscience, mais plutôt dans des activités qui obligent le corps et l’esprit à se trouver au même endroit: le présent. Certains d’entre nous font spontanément l’expérience de ces moments d’éveil, en méditant ou en faisant l’amour. D’autres y ont goûté dans l’exaltation d’une création artistique ou l’euphorie d’une performance athlétique. Mais, quand ces moments particuliers s’achèvent et que nous revenons à notre vie quotidienne, peu d’entre nous savent comment maintenir ce sentiment de centrage et de joie. J’ai beaucoup écrit sur la façon d’atteindre ces états de conscience dans mes livres précédents : Le Papillon noir et Le Deuxième Miracle.
Avec Le Mandala de l’Être, je propose une méthode simple pour répondre à la gageure de conserver cet état d’éveil au quotidien, sans avoir besoin de la présence d’un professeur, d’un environnement sacré ou de l’intense énergie de groupe qui se produit quand plusieurs personnes explorent ensemble la conscience.
J’ai constaté depuis longtemps qu’il m’était toujours plus facile de demeurer présent et ouvert lorsque j’étais en train d’enseigner que lorsque j’étais engagé dans les tâches de la vie quotidienne à la maison. J’ai donc cherché à comprendre ce que mon esprit faisait de différent, aussi bien pour moi que pour ceux que je conseillais. Je savais déjà qu’il n’était pas question de maintenir cet état d’expansion atteint dans nos groupes de travail, mais plutôt de retrouver l’équivalent de cette qualité de relation à nous-même dans notre vie quotidienne. J’ai réalisé que nous avions besoin de compléter les différentes pratiques qui stimulent la présence, comme la méditation ou le travail du mouvement et du souffle, avec un mode spécifique d’auto-investigation qui nous aiderait à comprendre comment notre esprit quitte le présent. Notre corps est évidemment constamment dans le présent. Je me mis à observer attentivement ce que faisait exactement le mental quand il s’éloignait du présent, et remarquai qu’il se rendait immanquablement dans quatre endroits. Cette constatation fut un élément déterminant de mon travail. Le mot «mandala» est issu de l’ancien sanskrit et signifie «cercle». Dans les traditions spirituelles orientales, le mandala est une forme d’art sacré qui représente la totalité du Soi. Les mandalas semblent être des symboles universels, on les retrouve à de nombreuses époques et dans diverses cultures. Dans leurs formes les plus rudimentaires, les mandalas se présentent comme des cercles avec quatre directions primaires orientées autour d’un foyer central fort. Le cercle symbolise la totalité intrinsèque du Soi. Il englobe, naturellement, les tensions fondamentales des forces opposées, comme l’ordre et le chaos, le masculin et le féminin.
Un jour, alors que je m’adressais à un groupe en tentant de lui faire partager mon intuition sur les destinations de l’esprit quand il quitte présent, je me suis retrouvé à marcher en rond, délimitant un large cercle sur le sol. Puis j’en traçai un plus petit au centre du premier. Ensuite, j’inscrivis le mot «Présent» sur un bout de papier et le plaçai sur ce petit cercle central. Sur le périmètre du grand cercle, je disposai le mot «Futur» en haut et le mot «Passé» en bas. Puis, je mis le mot «Sujet» à gauche et le mot «Objet» à droite. «Sujet/Objet» est le terme psychologique qui exprime la nature duelle inhérente de notre conscience ordinaire dans laquelle, aussitôt que nous prenons conscience de nous-même en tant que sujet Moi, nous prenons simultanément conscience de l’objet Toi. Moi n’est pas notre être véritable, c’est juste l’ensemble de nos pensées sur nous-même. De même, Toi est l’ensemble de nos pensées sur autrui. Avec ce simple mandala, je pouvais représenter les quatre directions que prend l’esprit lorsqu’il s’évade du présent, le plus souvent à cause d’un sentiment désagréable ou menaçant. J’ai spontanément appelé ce modèle le «Mandala de l’Être». Il s’avère être, pour moi comme pour ceux qui l’ont expérimenté, un outil remarquablement efficace pour déconstruire et comprendre les mécanismes des schémas répétitifs de nos souffrances et conflits émotionnels. En utilisant le modèle du Mandala, nous avons la possibilité de voir que nos réactions et systèmes de défense récurrents proviennent du fait que nous n’avons pas coutume de vivre dans le présent. En outre, la direction qu’emprunte de préférence notre esprit quand il fuit le présent détermine la nature spécifique de notre souffrance. En sachant qu’il n’existe en vérité que quatre endroits où aller quand nous quittons le présent, il nous est toujours possible de retrouver le chemin de notre «chez soi». Le présent devient ainsi notre «point de départ» et non plus notre but.
La faculté de ramener notre esprit au présent nous permet de communiquer à partir de notre nature originelle, authentique et spontanée. Le moment présent devient la base de notre être, parce que c’est là que nous trouvons la sève de notre vie et la vérité de qui nous sommes et pourquoi nous sommes là. En travaillant avec ce modèle, nous commençons à comprendre la relation entre la pensée et l’émotion. Nous apprenons à identifier les différentes pensées, croyances et histoires que nous nous racontons quand notre esprit emprunte tour à tour chacune des quatre directions, et aussi comment chaque histoire se répercute dans notre corps sous forme de tensions et autres sensations physiques. Quand l’esprit est dans le futur, le corps manifeste inquiétude ou espoir; dans le passé, culpabilité, nostalgie ou regrets. Une caractéristique essentielle du Mandala de l’Être est de nous amener à une nouvelle relation à notre corps, pour que nous ayons accès à une véritable compréhension. En mettant en lumière la façon dont «nous nous quittons» dans la vie quotidienne, ce travail ouvre le chemin de conscience qui nous ramène systématiquement au présent. En percevant la variation dans nos sensations quand nous revenons dans «l’ici et maintenant», notre corps commence à identifier la Présence. À mesure que nous comprenons que notre propre conscience peut nous aider à vivre dans le présent, notre réalité émotionnelle se transforme. Ce ne sont plus les émotions dites négatives qui la dominent et nous voyons renaître un sentiment de joie et de liberté qui est notre nature véritable.
En apprenant à vivre plus régulièrement dans le présent, nous élevons l’énergie de notre conscience. Dans le sens où je l’emploie ici, cette «énergie» est, d’une part, notre capacité à être présent et, d’autre part, ce qui émane de nous lorsque nous le sommes effectivement. Cela demande une énergie considérable de développer le «muscle spirituel» nécessaire pour accueillir, sans nous laisser submerger, les sentiments qui ont si longtemps barricadé notre coeur et assombri notre lumière. Cette énergie ramène notre conscience au présent et nous permet de voir ce qui est, et pas seulement ce que nos peurs et nos désirs familiers nous prédisposent à voir. Quand notre conscience est ancrée dans le présent, nous avons accès à notre potentiel émotionnel supérieur: empathie, compassion et pardon. Nous faisons alors l’expérience d’un sentiment d’unité plus grand et d’un vaste champ de conscience qui transcende notre réalité personnelle limitée. Nous nous approchons de la Source pour boire à une fontaine de vie et d’intelligence où nous percevons la plénitude infuse en chaque instant, et ressentons un sentiment de gratitude, d’émerveillement et de confiance implicite dans la bonté de la vie.
Plus notre esprit s’éloigne du présent, plus nous nous mettons à fonctionner sur un mode émotionnel limité. Un faible niveau d’énergie représente un rétrécissement de la conscience, et nous nous sentons diminué et isolé. Nous devenons dogmatique, inflexible et craintif. Alors, nous nous transformons en victime de la peur, de la colère, de la méfiance, du besoin et autres émotions potentiellement destructrices. Moins disponibles, les prodigieuses profondeurs de notre conscience élargie peuvent même devenir menaçantes. Notre aptitude innée à la joie de vivre disparaît. Au lieu de nous sentir relié à nous-même et d’accueillir la vie avec la totalité de notre être, nous vivons de plus en plus dans un soi factice et rigide, composé pour nous protéger de ce que nous ne voulons pas ressentir. Dans cet état d’esprit, à la fois protecteur et limité, nous devenons un spectateur, le plus souvent critique, et croyons que nous sommes – et que le monde est – ce que nous en pensons. Lorsque nous agissons sur ce mode d’évitement, penser sur nous, les autres et le reste du monde devient notre passe-temps favori, parce que nous ne savons pas ressentir notre profondeur dans l’«instant- Présent», ni goûter la vie directement. À terme, notre esprit finit par adopter une conduite addictive, vivant de plus en plus dissocié de l’immédiateté de notre être. C’est la raison fondamentale pour laquelle nous sommes si insatisfait de nous-même et manquons d’empathie envers les autres.
Extrait de Le mandala de l'Être - Éditions Albin Michel
Au fond de notre cœur, nous savons tous que l’esprit humain est beaucoup plus que ce « moi » qui se sent menacé ou insatisfait en permanence. Intuitivement, nous sentons que nous avons la capacité de nous reconnecter à la source de notre être et de nous sentir pleinement vivants. Essentielle et authentique, cette aspiration est le cœur véritable de la vie spirituelle de l’humanité.
Le Mandala de l’Être est un manuel pour retrouver la sagesse de notre vrai moi, une aide à la découverte de notre identité totale – y compris dans ses aspects les plus obscurs. En effet, il est impossible de ressentir la plénitude en essayant d’éliminer une partie de notre expérience existentielle.
Ce livre représente la synthèse de tout ce que le docteur Richard Moss a appris durant trente ans de pratique psychothérapeutique et d’enseignements autour du monde : comment vivre en individu authentiquement libre, affranchi de l’emprise de la peur.
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2 commentaires:
Merci pour ce texte que je ne connaissais pas. J'ai eu la chance de faire un séminaire d'une semaine avec Richard Moss, il y a quelques années. Un grand monsieur. Il avait déjà parlé du Mandala de l'Etre mais n'avait pas encore écrit de livre à ce sujet.
Beaucoup de chose aujourd'hui sur le moment present,en meme temps nous ne vivons que le moment present,donc la vision du passe est vecue dans le moment present .Juste un petit commentaire.
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