dimanche 13 juillet 2008

• L’acceptation de n’être rien - Jean-Marie

L’acceptation de n’être rien

Jean-Marie

Le basculement me fait pénétrer dans un monde où je me sens mu par la douceur, la tendresse. La joie aussi. La joie la plus grande vient de ce que mon petit moi a enfin ouvert les yeux sur ma présence. Il sait maintenant qu’il est observé. Il ne manifeste plus sa volonté d’être aux commandes. Il lui arrive même parfois de fondre en larmes car il réalise avec quel aveuglement il a mené ma barque pendant 57 ans et, pendant ce temps, j’attendais, sans l’ombre d’un reproche, dans une patience infinie mais avec l’immense espoir d’être aperçu. Et lorsque le moment est arrivé, la joie explose, sans la moindre nuance d’amertume...

Je suis né en 1945 dans une famille catholique tiède. Au début de mes études de médecine, je me suis débarrassé de ce qui me restait de convictions religieuses. Ma raison ne pouvait accepter ce qui m’apparaissait comme les invraisemblances du discours religieux officiel : Jésus-Christ, Fils de Dieu et d’une Vierge, venu sauver de la part de Dieu une Humanité déchue depuis le tout début en raison d’une désobéissance somme toute pas si grave. Ce même Fils de Dieu serait ressuscité puis monté vivant au Paradis, suivi par sa mère, etc. etc.

J’ai donc emboîté le pas à un matérialisme scientifique fort répandu en médecine. Vers 28 ans, j’ai vécu une période fébrile de 2 ans, assailli par le doute que, derrière les apparences matérielles, il y avait peut-être une réalité voilée, invisible aux yeux de la science mais dont certains avaient percé le mystère. A mon tour, je rêvais de le découvrir et de disposer des pouvoirs spirituels associés à cette connaissance. A cette époque, j’ai dévoré des quantités d’auteurs sur la parapsychologie, le magnétisme, le spiritisme, les « phénomènes inexpliqués », l’ésotérisme, l’initiation, l’anthroposophie de Steiner, les Rose-croix, Alice Bailey, la théosophie, etc. Le dernier auteur de cette quête a été Krishnamurti. Celui-ci m’avait laissé une profonde impression de sincérité mais en même temps je ne comprenais pas grand-chose à son discours et ce dont il parlait m’était inaccessible.

Je sentais bien que je ne disposais d’aucun moyen de discerner le vrai du faux dans tout ce fatras de soi-disant connaissances. Cela renforçait l’idée de Krishnamurti de ne faire confiance à aucune autorité extérieure. J’ai donc tout rangé définitivement dans la bibliothèque, y compris Krishnamurti, que j’aimais mais sans le comprendre.

Peu après avoir tourné cette page, je me suis marié et nous avons eu 4 enfants qui ont maintenant entre 16 et 30 ans.

J’ai poursuivi ma vie dans un matérialisme un peu insouciant et non militant, consacrant mes loisirs à découvrir divers domaines comme la géologie, l’électronique, l’artisanat, la généalogie, l’informatique.

A partir de 1998, j’ai commencé à me sentir concerné par l’état économique, politique et écologique de la planète. J’étais à la recherche de moyens de construire un monde meilleur. En 2001, les attentats de New York et Washington m’ont donné un électrochoc et j’ai brusquement réalisé que la souffrance provoquée par les conflits humains était bien plus forte que je ne l’avais imaginée.

Comme si la solution de ces conflits dépendait de moi, j’étais animé d’une volonté puissante de comprendre la situation dont une bonne part reposait sur des sensibilités religieuses différentes. Bien que ne me sentant pas personnellement impliqué dans la religion, j’ai lu quelques livres d’initiation à l’Islam.

Cette étude m’a plongé dans une constatation affligeante : croire à la Vérité de sa religion implique de croire à l’erreur des autres et suivre une religion sans croire qu’on est dans le vrai n’a pas de sens. Une convergence, un véritable œcuménisme semblait dès lors totalement illusoire. Au sein même de la chrétienté, l’histoire montre une tendance à la divergence des sensibilités plutôt qu’à un rassemblement unitaire.

Je cherchais désespérément une issue à cette situation inextricable. Ma recherche amena mes pas à croiser ceux de John Spong, un évêque épiscopalien américain. En quelques jours, j’ai dévoré son dernier livre : « A New Christianity for a New World ». Ce livre démonte les dogmes officiels et montre à quel point ils sont fossilisés et choquants pour notre raison. Au lieu d’être une aide, ils constituent donc un obstacle à la perception d’une réalité au fondement même de la nature humaine. C’est cela qui est à découvrir… sans dogme. A peine un mois après l’électrochoc de New York, j’encaissais donc un deuxième électrochoc : d’un seul coup, Spong avait balayé toutes les objections qui m’avaient fait rejeter la religion aux oubliettes à l’âge de 20 ans. Je récupérais non plus une religion faite de croyances et de dogmes mais un état de nudité et de fraîcheur sur le plan des idées et une attention orientée vers l’essence des choses cachée sous les apparences.

Cet état d’esprit se renforça encore en janvier 2002 à la lecture du livre de Dürckheim : « Le Don de la Grâce ».

Voilà un peu l’atmosphère dans laquelle je baignais quand, début mars 2002, quelque chose a basculé en moi, entraînant un renouvellement complet de ma perception du monde et de moi-même.

C’était une après-midi comme une autre. J’étais assis à mon bureau, le regard distraitement tourné vers la fenêtre. Le souvenir d’un magnifique endroit au sommet d’un ancien volcan me revenait à l’esprit et m’entraînait dans la rêverie.

Tout à coup, j’eu la sensation d’être comme aspiré à une grande hauteur d’où la nature, les hommes, la terre m’apparaissaient dans une paix et une harmonie insoupçonnée. Moi-même, j’avais l’impression d’avoir été extrait d’une sorte de sphère close mais fissurée que, de là-haut, j’identifiais immédiatement comme étant ma personnalité, mon petit moi, ce qui avait constitué jusque-là mon univers, mon horizon.

La sensation n’a probablement duré que quelques secondes mais au décours s’est présenté le choix de réintégrer ma personnalité ou de rester en-dehors de la sphère, ce qui impliquait l’acceptation de n’être rien, aussi bien à mes yeux qu’aux yeux des autres. J’ai choisi de laisser la sphère vide. Il m’est resté un sentiment de légèreté, de joie et de paix que je n’avais jamais connu. Le soir, dans le train, j’avais envie de secouer les gens en leur disant : « mais enfin, regardez par la fenêtre, ce n’est pas possible que vous ne voyez pas la magnificence ». En même temps, je savais bien que le matin même je ne la voyais pas non plus.

Le lendemain matin, grande surprise. Depuis des années, j’étais en conflit avec deux de mes chefs. L’atmosphère au travail était tellement lourde et tendue que chaque matin c’était un calvaire d’aller travailler. Je me souvenais régulièrement d’une phrase que mon grand-père répétait souvent : « La vie est une tartine de merde dont il faut manger un morceau chaque jour ». Or, ce matin-là, la tartine avait disparu. Aucun fardeau sur les épaules. Plus de traces d’agressivité envers mes chefs.

Après quelques jours, je me suis senti obligé de parler à ma femme de ce qu’il m’arrivait car mon changement intérieur aspirait à pouvoir s’exprimer librement dans mon comportement. Le problème, c’est que je ne savais pas quoi lui dire. Je ne comprenais pas moi-même ce qui s’était passé. La seule chose dont j’avais à peu près conscience c’est que je n’avais pas réintégré mon petit moi et que j’avais la sensation d’une absence de limites autour de moi. Je lui ai donc dit que j’avais quitté mon petit moi, que j’étais entré dans mon grand moi, que j’étais en paix et débarrassé de tout conflit. Elle n’était pas rassurée et me regardait un peu comme un extra-terrestre, ne sachant pas si j’étais au bord de la folie, au seuil de la mort, sur le point de la quitter ou en passe de devenir prophète. Mon sourire et ma sérénité ont cependant fini par l’apaiser.

Dans les mois et les années qui ont suivi, j’ai eu beaucoup de joie à découvrir derrière des mots toujours différents toute une série d’auteurs parlant de cette profondeur qui forme la véritable identité humaine et qui est identique chez chacun. J’ai évidemment retrouvé un Krishnamurti bien plus clair qu’avant. Mais il y en a bien d’autres : Dürkheim, Tolle, De Mello, Thomas Merton, Arnaud Desjardins, Maître Eckhart, Aurobindo, etc… et bien sûr Jésus.

Je n’ai pas fait que lire et réfléchir, j’ai aussi essayé de laisser ce « Grand Moi » s’exprimer à travers mon petit moi en lui opposant le moins d’obstacle possible. En particulier envers mon épouse. Mariés depuis 1975, notre relation avait glissé vers une sorte de semi indifférence teintée de bienveillance. Chacun se rendait compte que l’autre ne correspondait pas au « partenaire idéal » mais qu’il y avait pire. Mon basculement intérieur m’avait libéré de cette image de partenaire idéal. Je n’étais plus en attente ou en manque de cette image. J’étais donc capable d’accepter mon épouse telle qu’elle était, sans la comparer à une image idéale. Deux ans après moi, son ego s’est à son tour effondré. Une nouvelle relation a pu commencer à se mettre en place, non plus basée sur un besoin que chacun tente de combler par l’autre mais sur le don et l’accueil gratuit.

Vu sur ce nouveau blog (Ce qui est - partager autour de l'éveil) plein de promesses et de beaux échanges. Merci à Pascal Amoyel de m'avoir mis sur la piste, que dis-je, la "partition" !...

1 commentaire:

philippe a dit…

immense plaisir que de vous lire... Le petit cadeau de la journée ! Chercher, trouver ma voie... ... Un reve !!! 40 ans "le nez dans le guidon" et puis l'implosion ; qui suis je, ou vais je ? Le doute, la peur..; ça fait 5 ans aujourd'hui que cet état de conscience rend chaque souffle de ma vie, douloureux et épuisant. 2 ans que je travaille, cherche et explore dans la spiritualité, l'hummanité et la fraternité, la flamme qui m'apportera la réconciliation, et la sérénité. Vos mots sont encourageants, merci pour ça.