Voici une présentation du judaïsme non-duel, de ses sources dans la Torah, la Kabbale et d'autres textes, de ses racines historiques, de sa signification philosophique, de ses liens au bouddhisme et à l'hindouisme et de la manière dont il est vécu dans la pratique.
La non-dualité est souvent associée à l'Orient, à l'hindouisme et au bouddhisme ; selon cette spiritualité, le moi séparé est une illusion : notre véritable moi est Dieu lui-même.
Dans ce remarquable ouvrage, Jay Michaelson veut montrer que la non-dualité est déjà présente dans le judaïsme. En effet, alors que Dieu est généralement considéré comme une entité séparée, certains juifs _ kabbalistes, hassidim et leurs héritiers modernes _ soutiennent que Dieu n'est pas distinct de nous : dans cette vision non duelle, tout manifeste Dieu. La véritable réalité de notre existence est Ein Sof, infinie, et le sentiment que nous avons tous d'un moi séparé est fondamentalement illusoire.
Jay Michaelson nous présente ici les sources juives de la non-dualité dans la Torah d'abord, dans la Kabbale et d'autres textes ensuite. Où est apparue la non-dualité dans l'histoire juive ? Quel est son lien avec les thèmes fondamentaux de Dieu, de la Torah, et d'Israël ? Quelles sont les pratiques juives de la non-dualité ?
A la fois théorique et pratique, ce livre passionnera non seulement les personnes intéressées par le judaïsme, mais aussi tous les chercheurs spirituels désireux de se relier au fondement d'une des traditions les plus anciennes et les plus riches du monde.
Extraits publiés avec l'aimable accord des Éditions Almora :
LA SANCTIFICATION DU MONDE
La terre déborde des Cieux,
Et chaque vulgaire buisson est embrasé par Dieu.
Elizabeth Barrett Browning, Aurora Leigh
Quand quelqu’un me demande qui il est ou qui est Dieu,
je souris en moi- même et je murmure à la Lumière :
« Vous voilà encore en train de faire semblant. »
Adyashanti
Ainsi, alors que la non-dualité efface en fin de compte les images du Divin, elle en englobe encore plus. La non-dualité ne postule pas que « Dieu » est un personnage dans la pièce de théâtre de la vie. Souvenez-vous : Dieu n’existe pas – Dieu est l’existence Elle-même. Et alors, tous les masques reviennent.
Il y a une étape finale au cheminement : la réintégration du monde manifesté, de la multiplicité. De nombreux non-dualistes, y compris des hassidim, ont penché du côté de « l’acosmisme », le point de vue que le monde matériel n’existe tout simplement pas ou, du moins, qu’il n’a aucune importance. De nombreux textes Chabad parlent de bittul b’mitziut, ou de l’annihilation dans ou de l’existence, et, comme nous l’avons déjà vu, R. Aharon insiste sur le fait que Dieu, après la création du monde, est exactement le même, et tout aussi seul, qu’avant la création. À cet égard, le judaïsme non duel n’est pas sans rappeler les nombreux points de vue religieux qui « considèrent que la vie quotidienne est dévalorisée par rapport à une réalité ultime. »
Mais ça ne s’arrête pas là. La non-dualité finit par réintégrer non seulement les masques de Dieu, mais le monde matériel lui-même. Bittul b’mitziut signifie voir à la fois ayin et yesh, tenir simultanément les deux points de vue contradictoires : hibbur shenei hafakhim, la coïncidence des opposés. Ce que l’universitaire Rachel Elior nomme « la descente paradoxale de Dieu » dans la multiplicité : Dieu étant à la fois/et, à la fois ultime et relatif. Car la distinction entre ultime et relatif est, en soi, relative.
Comme nous le verrons au chapitre 8, c’est ainsi que R. Aharon comprend hamshachat Ein Sof, l’extension de la lumière de l’Ein Sof dans le monde matériel : tout continue comme avant sauf que, maintenant, c’est Dieu seul qui agit. C’est ainsi que les sages du Chabad comprennent dirah b’tachtonim, le fait que la demeure de Dieu est « ici-bas ». Et c’est l’inflexion non duelle du shem yichud kudsha brich hu v’shechintei, qui signifie voir l’unicité dans la pluralité, voir le vide dans la forme, voir Dieu dans le monde. Dans toutes ces formulations, le judaïsme non duel est un ré-émerveillement panenthéiste du monde. Ainsi que Rabbi Shlomo de Lutsk le dit dans son introduction au Maggid Dvarav L’Yaakov :
Il est important de savoir que la terre entière est
pleine de la splendeur de Dieu, qu’il n’y a aucun lieu
dépourvu de Lui et que Dieu est présent dans tous les
mondes, etc. Cette idée peut être perceptible en toute
chose, car la force de vie du Créateur est partout.
Sur le plan historique, les universitaires débattent pour savoir s’il y avait plus de hassidim pour-ce-monde, ainsi que Martin Buber le clamait, ou pour-l’autre-monde, ainsi que le soutenait Gershom Scholem : à savoir, s’ils étaient panthéistes ou acosmiques. Mais, sur le plan de l’expérience, voir que « la force de vie du créateur est partout » permet simultanément l’intégration et l’annihilation, la réappréciation et la réévaluation précisément de ces énergies que le monothéisme a cherché à supplanter plus tôt. Comme le dit l’adage zen : « Avant zazen, il y a des montagnes ; pendant zazen, il n’y a plus de montagnes ; après zazen, il y a des montagnes. » Les montagnes reviennent, en tant que montagnes et en tant que vide. Dans la conjonction, se trouve l’affirmation du monde par la non-dualité.
En d’autres mots, Dieu n’est pas aux cieux – lorsque le judaïsme non duel est bien compris, Dieu est ici même, en ce moment même, tel qu’il est, juste peut-être un peu plus lumineux. Le monde tel qu’il apparaît est le jeu érotique de Dieu (kabbale), le filet d’Indra (hindouisme), la danse de Kali (hindouisme encore), le jeu de cache-cache amoureux de l’Amant et du Bien aimé (soufisme). Le caractère identique n’a pas à être privilégié par rapport à la différence : la multiplicité est également une danse du Divin en tant qu’unicité.
C’est « l’unité inférieure » du Tanya, qui voit le monde comme étant Dieu. C’est similaire à la façon dont le mahayana et le vajrayana insistent sur le fait que « rien, dans le samsara, n’est différent du nirvana, rien, dans le nirvana, n’est différent du samsara (…) il n’y a pas la moindre petite différence entre les deux. » Ce n’est pas juste un paradoxe. C’est comprendre que l’existence et la non-existence sont deux façons de voir la même réalité. C’est l’incarnation du spirituel comme étant physique, dans ce que les textes Chabad appellent hit’asqut im hahutzah be ofen shel hitlabshut, la participation au monde extérieur sous la forme d’un habillage, ou même hitlabshut mohin de gadlut be mohin de katnut, l’habillage de la conscience élargie dans la conscience limitée.
La confusion est l’éveil ! L’esprit même dont vous disposez, en ce moment même, est un esprit éveillé – Dieu danse votre danse.
Tenir à la fois ces deux points de vue, le nirvana et le samsara, l’absolu et le relatif, dans une relation dialectique, tel est le but de hitkallelut, l’incorporation de toutes choses dans l’essence infinie, et de hashva’ah, la totale égalité de vue ou l’équanimité.L’un des symboles kabbalistiques de hitkallelut est celui du cercle (iggul) et de la ligne (yosher). Le cercle ne connaît aucune limite, aucune distinction, aucune polarité, aucune dualité. La ligne est ce qui divise, en gauche et en droite, en lumière et en obscurité,
en vrai et en faux, en sacré et en profane, en ultime et en relatif. Le cercle n’a pas d’histoire, pas de temps. Il est l’éternité sacrée du liminal, de l’entre- deux. La ligne est tout ce qui est linéaire, elle est l’orientation, l’histoire – mais elle est aussi l’éthique, la mémoire et le moi. La plupart d’entre nous passons le plus clair de nos existences dans un temps linéaire, et, donc, le travail nécessaire est d’entrer dans le domaine de l’intemporel, de l’éternel
maintenant, dans le cercle sacré. Mais le vrai hitkallelut, c’est le cercle et la ligne combinés. La non- dualité, c’est l’union de l’union et de la dualité.
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