mardi 14 mai 2019

• Voir, sans faire, seulement voir - Franck Terreaux


Mon approche est d’une simplicité confondante, 
elle se résume simplement à ceci : 
là, en cet instant même, ne faites rien, aucun effort, pas même méditer.

Franck Terreaux a vécu un jour une expérience perceptive – comme il aime à l'appeler – qui a remis sa vie au sein de la vie. Après un parcours effréné de chercheur spirituel, cet événement majeur, qui fut en vérité un non-événement, mit un terme définitif à sa recherche. Depuis lors, après l'écriture de deux livres, Franck partage sa découverte avec les nombreuses personnes venues le rencontrer. Les entretiens retranscrits ici sont inspirés de rencontres avec des chercheurs sincères, aspirant à vivre ce " juste avant de toute chose " qu'il cite inlassablement dans ses livres. Ces dialogues rebondissent sur des sujets tels que la non-dualité, la méditation, l'effort, la pratique spirituelle, l'éveil, l'illumination, la conscience...

On retrouve ici Franck Terreaux avec son approche et son ton si particuliers. Tout au long de ces dialogues, il nous invite, non seulement à lire, mais à véritablement ressentir ce qu'il a partagé au travers d'expériences simples et directes. C'est toujours avec beaucoup d'humour et de dérision qu'il nous conte pas à pas l'intégralité de son parcours. L'essentiel étant de voir que ce que nous cherchons est déjà là, avant même l'idée de le chercher... 

Franck Terreaux est accordeur de pianos et vit à Paris. Ses rencontres avec Jean Klein et Marigal furent déterminantes. Il est l’auteur de deux livres : L’art de ne pas faire, Charles Antoni L’Originel, 2011, et L’éveil pour les paresseux, Charles Antoni L’Originel, 2010.

"Voir, sans faire, seulement voir… que si toi tu ne fais aucun effort c’est là et que si c’est là c’est parce que toi tu ne fais aucun effort."

© Extraits publiés avec l'aimable accord des Éditions Almora

– Franck, à l’heure où je vous parle, le mot d’ordre est méditation, conscience de soi ou encore pleine conscience, au milieu de tout ça où se situe votre art de ne rien faire et comment définiriez-vous votre approche ?

– Séverine, vous au moins, vous avez l’art de mettre directement les pieds dans le plat et je vous en remercie car votre question contient à elle seule le cœur même de mon approche. En effet, il semblerait aujourd’hui qu’au sein de la non-dualité, il y ait deux consciences, une qui serait pleine et une autre qui serait vide mais rassurez-vous, ce n’est pas bien grave. (Éclat de rire). Mon approche est d’une simplicité confondante, elle se résume simplement à ceci : là, en cet instant même ne faites rien, aucun effort pas même méditer … Voyez ce que c’est que de ne céder à aucune pratique quelle qu’elle soit, pas même celle qui consisterait à ne rien faire … Si ceci n’est pas seulement lu mais véritablement ressenti, alors il ne vous reste plus qu’à retourner chez vous car sans avoir rien fait tout est parfaitement compris.

– Mais qu’est-ce qui est compris ?

– Il est compris que ce que vous cherchez au travers de la méditation, la conscience de soi, la vigilance, etc., c’est tout simplement de vivre à l’état de veille sans rêves. Encore une fois, si ce n’est pas seulement lu mais véritablement ressenti, il est immédiatement compris que vous n’avez rien à faire pour ça, puisque c’est là quand vous, vous ne faites ni effort ni pratique, rien.

– Franck je dois vous avouer que ce rien à faire me laisse quelque peu perplexe.

– Je vais tenter d’y apporter une réponse extrêmement claire et précise, mais avant d’entrer dans le vif du sujet, j’ai besoin d’en savoir un peu plus sur ce qui motive votre question.

– Si je réclame vos conseils c’est afin de m’aider à refréner cette activité mentale qui pollue ma vie. Pratiquant la méditation depuis plusieurs années, par moments, cette suractivité mentale est absente, c’est alors qu’un retour chez soi s’opère, mais ces moments si précieux sont rares. Ce qui fait votre particularité, c’est que contrairement à d’autres, vous ne proposez aucune méditation. Bien que votre approche semble très séduisante, je dois bien admettre que je ne me retrouve pas plus avancée.

– Je vous l’accorde à 100 %, mais avant toute chose ce qui m’intéresse c’est ce retour chez soi, pourriez-vous m’en dire un peu plus ?

– Comment dire … Si je m’interroge, je m’aperçois que je ne peux pas véritablement en parler mis à part dire qu’il n’y a rien à en dire … C’est simplement être là et c’est tout. C’est être, sans éprouver le besoin de rajouter quoi que ce soit. Aucune pensée, aucun mot n’est là pour le qualifier, pour en faire un quelque chose.

Ce retour peut se produire lors de séances de méditations ou survenir de façon totalement imprévisible et ceci sans raison particulière, car je vous avouerais que ce que l’on nomme généralement spiritualité n’a rien à voir là-dedans. Vous me demandez d’en parler ? Que pourrais-je vous répondre sinon de vous dire que c’est totalement simple, totalement immédiat et totalement évident.

– C’est absolument parfait ; dans ce cas qu’y aurait-il à rajouter?

– Je suis entièrement d’accord avec vous, seulement ces moments ne durent pas, j’ai l’impression de passer tout mon temps à rêvasser, de vivre en permanence dans l’imaginaire et de passer ainsi à côté du bonheur que la vie nous apporte. On vit avec l’impression d’être constamment dans l’expectative alors que ce qui est là dans l’instant nous tend irrésistiblement les bras.

– Avez-vous effectué certaines démarches afin de vous libérer de ce mental si envahissant ?

– J’ai beaucoup pratiqué les enseignements de Nisargadatta Maharaj et Ramana Maharshi et ceux d’Eckhart Tolle avec beaucoup d’application je dois dire … Ce qui est paradoxal c’est que même si l’un et l’autre préconisent une démarche méditative particulière, il semblerait que les deux premiers soient d’accord pour dire, eux aussi, qu’il n’y a rien à faire, sinon rester tranquille.

– Tout à fait, mais vous me parlez de pratiques, ces pratiques en quoi consistaient-elles ?

– Concernant l’enseignement de Maharaj, il consistait à rester vigilant en portant son attention sur le sentiment « je suis » et faire en sorte de s’en souvenir constamment. Concernant Maharshi, je m’exerçais à parvenir à un état sans pensées, quant à Tolle, c’était tenter de vivre dans le moment présent.

– Si je comprends bien, vous avez rassemblé trois approches en une : savoir que vous êtes, la suppression des pensées et le ici et maintenant. Et alors, y êtes-vous parvenue ?

– Évidemment non, sinon je ne serais pas ici.

– Cependant à vous écouter, il y avait chez vous, me semble-t-il, une très forte détermination.

– Tout porte à croire que cela ne suffise pas. Essayez de garder à l’esprit le sentiment « je suis » ; cela tient une minute ou deux, puis les pensées reviennent à la charge. Quant à les supprimer, c’est une sacrée autre paire de manches.

– Ce sentiment « je suis », Maharaj préconisait de le ressentir et non pas d’y penser. Si je ne fais que d’y penser, j’ouvre la porte au mental qui va aussitôt remplacer la pensée « je suis » par une autre pensée. Et bien entendu, tout ça étant évidemment perpétré par un moi, c’est pour cette unique raison que vous échouez dans chacune de vos tentatives.

– Si je vous ai bien comprise, tant que le moi chercheur s’en mêle, aucune issue n’est possible, surtout pas une issue visant l’annihilation de ce moi chercheur.

– En effet, votre pratique le renforce chaque jour d’avantage. C’est quelque chose que je remarque très souvent parmi les gens que je rencontre. Dès que j’entends dire : je l’oublie tout le temps, là je sais qu’ils ont pratiqué ce que j’appelle le « j’y pense donc j’y suis ». Autrement dit, c’est uniquement là quand ils y pensent.

Voir aussi ce lien sur le blog Éveil et Philosophie de José le Roy.