Le chemin que propose Silvia Ostertag nous mène à
faire l’expérience de la réalité de l’être et à une transformation de
nous-mêmes, de notre quotidien et de notre action dans le monde.
Elle explore tous les aspects de ce processus de
transformation d’un être jusqu’à la réalisation de l’unité avec tout ce qui
existe.
Elle témoigne avec une grande sincérité des
obstacles, étapes, et expériences qu’elle a elle-même vécus dans son
cheminement personnel et illustre avec clarté et sagesse les grands thèmes de
la quête spirituelle.
Ses indications sont précieuses sur l’intégration
de la voie au quotidien, sur la sortie des automatismes, sur la nécessaire
vigilance du regard, la prise de conscience du sens de notre existence, la
nécessité de se sentir responsable.
Ce dont il s’agit dans le zen : par
l’exercice du silence, arriver complètement en soi-même – « être
complètement là ». Cette expérience est l’expérience du Maintenant :
expérience possible seulement si notre vigilance est en contact avec l’instant
réel, l’instant présent.
« L’esprit du quotidien est le chemin. » Il s’agit
de vivre la pure présence. La réalité absolue n’est pas séparée d’un iota de l’esprit ordinaire.
« Marcher est zen, être assis
est zen ». L’auteur insiste sur le caractère universel de la
pratique : « L’exercice même, bien qu’issu du bouddhisme zen, n’est
pas pour moi une pratique liée au bouddhisme. C’est une pratique universelle,
humaine… »
Qu’elle parle de l’éveil, de l’illumination,
source de tant de fantasmes et de représentations illusoires, qu’elle aborde
les émotions, ou encore la pratique méditative, Silvia Ostertag trouve des
exemples concrets, des images révélatrices, qui pointent toujours l’essentiel ;
cet essentiel est l’âme, le cœur, le souffle… l’essence de la vie quotidienne.
Extrait de l'ouvrage
M : Vous venez d’employer le terme « s’éveiller ». C’est d’ailleurs la traduction littérale de buddha - l’éveillé, et non pas l’illuminé.
M : Vous venez d’employer le terme « s’éveiller ». C’est d’ailleurs la traduction littérale de buddha - l’éveillé, et non pas l’illuminé.
S : Oui, c’est ça. S’éveiller est
également pour moi une expression adéquate. Car dans une telle expérience,
c’est comme quand on se réveille après un rêve. Tout à coup, on voit la
réalité. Ce qui est spécial dans ce vécu, ce n’est pas que l’on fasse l’expérience
de quelque chose de plus clair, ou plus beau, ou plus grand que ce que l’on a
vu et entendu jusqu’alors. Cela signifie que l’on perçoit autrement la réalité,
qui est comme elle a toujours été. On fait l’expérience, par exemple, qu’un
merle est posé sur une branche. C’est cela que l’on peut vivre dans
l’illumination. Et tout à coup, on est tellement saisi par ce tableau assez
quotidien, que l’on ne peut pas du tout le décrire avec les termes et
qualificatifs habituels à notre disposition jusque-là. Ce que l’on pourrait
dire, c’est que l’on a enfin vu le véritable merle, le merle. Comme
si l’on n’avait encore jamais vu un merle jusque-là, alors qu’on a vu déjà
beaucoup de merles. On pourrait dire aussi – après coup – que l’on a enfin fait
l’expérience de soi-même; bien que l’on vienne de voir un merle. Comme s’il n’y
avait pas de séparation entre celui qui regarde et ce que le regard est en
train de rencontrer. Comme s’il n’y avait pas de séparation entre moi et le
merle ; comme si je me reconnaissais moi-même dans ce merle sur
la branche. Comme si j’étais assise depuis toujours sur cette branche, tout en
sachant en même temps et pertinemment que je suis assise sur ce muret et que je
regarde la branche là-bas, avec le merle. Mais, d’une manière difficilement
explicable, mon « être-assise-sur-le-muret » est tout à fait le même
que le merle sur la branche. Et si par hasard, le son d’un moteur venant de la
rue me parvenait dans un tel moment, ce son ne serait également rien d’autre
que le merle sur la branche. Et si alors on tourne la tête et que le regard
rencontre un tournesol ou l’encadrement d’une porte, on voit à nouveau cela,
qui s’était montré en tant que merle sur la branche. Pour autant, on ne
confondra pas un tournesol ou l’encadrement de la porte avec un merle. On n’a
pas de trouble de perception de la réalité. On est tout à fait éveillé à
la réalité. On voit à nouveau ou encore – toujours encore on voit ce Un. Comme
si ici cela était un merle et là un tournesol et maintenant
l’encadrement de la porte puis le bord de la table. Et en même temps, on sait
que cela c’est moi. Pour moi, c’est comme si je me voyais moi-même,
encore et encore, toujours et toujours, toujours encore comme dans un
miroir : seulement moi. Comme si j’étais un avec tout ce qui est et qui
était, un dans une seule et unique présence, qui elle n’est pas palpable mais
qui emplit tout, temps et espace, de sa pure présence. Tout est en ordre, aussi
naïf que cela puisse paraître, tout va bien. C’est une ébauche possible de
l’éveil. Si quelqu’un a déjà été, ne serait-ce que très légèrement, touché par
un tel vécu, cette description ne lui semblera pas être une pure absurdité mais
quelque chose résonnera en lui et lui rappellera comment cette réalité peut se
montrer.
M : Cela fait donc cet effet, le
« sommet ». Mais ce « nouveau regard » ne doit pas toujours
être lié à une perception sensorielle, telle que la vue du merle, n’est-ce
pas ?
S : Non. Cela peut aussi nous
arriver quand on entend une phrase qui parle de l’essentiel, comme par exemple
la première ligne du texte « le zen17 » de Daio Kokushi : « Il y a
une réalité qui précède le ciel et la terre. » Mais au fond, il n’y a
besoin ni d’un merle, ni d’un bruit, ni d’une phrase de sagesse. Il n’y a
absolument pas besoin d’un déclencheur particulier. Il se pourrait aussi qu’en
pleine assise en silence quelqu’un vive quelque chose, que l’on peut
nommer « éveil », que cela s’ouvre à lui, subitement,
au milieu du silence.
M : C’est un point important. Dans
un premier temps, le chemin de l’exercice nous permet de nous approcher du
silence et quand on se familiarise peu à peu avec l’ouverture au silence, c’est
déjà très bénéfique de pouvoir, en quelque sorte, l’entendre et d’amener ainsi
clarté et présence dans sa vie - dans le quotidien aussi, toujours à nouveau.
Puis, vous dites : « Dans le silence, Cela peut s’ouvrir à
lui. » Y a-t-il alors encore une différence entre silence et éveil ?
S : Oui et non. Avant de s’éveiller,
le vécu du silence n’est que vécu du silence et c’est différent de l’éveil.
Dans l’éveil, le vécu du silence est en même temps l’expérience de l’essence,
pour employer cette expression qui veut désigner ce qui est innommable.
Regardant en arrière à partir de là, le silence était, depuis toujours,
précisément cette essence et chaque vécu était déjà cela, seulement on ne
l’avait pas reconnu. Aussi longtemps que l’on ne reconnaît pas cela, le
silence est quelque chose d’autre qu’un bruit. Mais si la toux d’un voisin
résonne dans le silence de celui qui est en train de s’éveiller, c’est comme si
on lui offrait, avec le toussotement, une nouvelle paire d’oreilles qui
entendent… l’essentiel : toux, toux, toux. Et ceci n’est rien d’autre que
le silence.
M : Revenons encore une fois sur
fait que le silence lui-même peut se montrer à nous en tant qu’essence. Comment
cela se passe-t-il ?
S : Je ne le sais pas. L’essence
nous touche comme la foudre dans un ciel serein ou parfois comme une brise
légère. Dieu soit loué, on ne peut pas savoir comment cela se passe. Cela
pourrait toucher quelqu’un qui s’assied dans le silence pour la toute première
fois. Mais je sais bien que votre question ne vise pas la
« faisabilité » de l’éveil, mais…
M : … exactement, je souhaiterais
surtout que l’on regarde de façon plus nuancée la disposition intérieure qui a
à voir avec l’éveil ou qui précède l’éveil.
S : Je vois ce que vous voulez dire
et je ne sais pas si je peux en dire quelque chose, car cela se passe de façon
différente à chaque fois et pour chaque pratiquant. Mais si on met de côté les
autres possibilités et si on cherche à décrire uniquement quelque chose de
général, je vais essayer de le dire ainsi : Une personne est assise là, elle
respire et écoute le silence. Elle s’aperçoit du silence, comme si celui-ci
était autour d’elle. Elle là, le silence autour d’elle. Elle écoute
attentivement en sa direction. Puis, elle ressent peut-être que le silence est
aussi en elle-même, ou seulement en elle-même. Elle là, le silence en
elle. Elle écoute attentivement et observe ce qui se passe avec le silence et avec
elle-même. Si elle arrive alors à lâcher progressivement l’observation, sans
somnoler, bien qu’elle soit clairement éveillée et présente à ce qui se passe,
ce n’est qu’après qu’elle pourra dire comment c’était à ce moment-là avec le
silence. Et puis il se peut aussi qu’en elle tout devienne encore de
plus en plus silencieux, et cela n’a rien à voir avec l’absence de bruit. Comme
si le silence remplissait complètement l’espace et la personne elle-même,
jusqu’à ce qu’à un moment il n’y ait plus que silence, un silence pur et
naturel, chargé d’aucun « goût mystique », de sorte que l’on s’oublie
soi-même dans ce silence, en étant clairement éveillé. Quand c’est ainsi,
souvent, on oublie tout à fait le temps aussi, et l’on est surpris alors de réaliser
qu’au lieu de cinq minutes ressenties, une demi-heure est déjà passée. Ce
silence que l’on peut comparer à une étendue sans limites ou avec rien d’autre
que de l’ouverture ou du vide, ce silence, aussi paradoxal que cela puisse
paraître, devient subitement et sans cassure : juste ça ! Tout
d’un coup, il est lui-même : juste maintenant. Le
« non-temps » est juste maintenant. Rien
d’autre que le toujours-silence ou le vide ou le rien lui-même ne constitue ce
maintenant. Le silence devient événement, il est un fait, un tangible là.
Si quelqu’un demandait à ce moment-là : « Et qu’est-ce qui se passe
pour toi ? » On ne pourrait que répondre : « Je suis
ce “là”. » Je veux dire que c’est également ainsi que le silence lui-même
peut être le déclencheur de l’éveil au silence même. Et bien sûr, quand cela
arrive ainsi, tout ce qui surgit juste après dans notre perception n’est encore
une fois rien d’autre que ce fait unique, un avec le silence, un avec moi-même.
M : Alors, le sens ultime de cette
expérience est que l’absolu n’est pas vécu comme au-delà du monde, qui en
serait séparé, mais que l’absolu est complètement dans ce monde, à l’intérieur
de ce monde. Ou même, d’une façon mystérieuse, qu’il est ce monde. Ceci rend
totalement nul le cliché que la méditation serait sans lien avec le monde.
S : Oui. Comme il est dit dans le
sutra du cœur18 : « La forme n’est pas différente du vide, le vide
n’est pas différent de la forme. » Tout le reste est illusion. Et
comme le dit le deuxième des quatre grands vœux : « Aussi inépuisables
que soient les illusions (les pensées et les émotions trompeuses), je forme le
vœu de les abandonner.» C’est de cela qu’il s’agit. La fixation sur la forme se
dissout dans l’expérience du vaste, l’expérience du vaste se renverse en
quelque sorte, dans la compréhension que la forme n’est rien d’autre que
le vaste, que le vaste n’est rien d’autre que celui qui est assis là et qui est
juste en train d’entrevoir ceci. C’est cela que l’on nomme connaissance de soi
ou vision de l’être essentiel.
© Publié avec l'accord des Éditions Accarias l'Originel
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