Avant-propos
Le présent ouvrage n’a pas pour but une quelconque remise
en question de l’enseignement de Krishnamurti, mais tente de jeter un regard
sur les répercussions, dans le temps et l’espace, qui ont pu se produire chez
un fervent admirateur inconditionnel, en son temps, de cette nouvelle et
puissante forme de pensée, émanant du personnage.
Il s’agit donc du cheminement d’un disciple de ce maître,
bien que ce dernier réfutât ce terme, qui a fait l’objet de ce livre, dont les
modalités d’exploration pourront surprendre.
Il n’a aucune prétention d’enseigner quoi que ce soit,
mais simplement de décrire ce qui s’est passé à partir de l’écoute subjuguée
d’un auditeur, interpellé par ses conférences, sous la grande tente de Saanen, ainsi que par la lecture de
ses livres.
L’auteur ne revendique nullement de détenir une
quelconque vérité dans un domaine où la subjectivité et les contradictions
foisonnent, d’autant que toutes ces supposées vérités ne sont faites que de
concepts qui, en général, ne font qu’enrichir une mémoire déjà bien chargée de
connaissances.
« Le mot n’est pas la chose », disait
Krishnamurti, et la grande leçon qui apparaît dans une telle exploration réside
dans le fait que cela pointe vers ce qui est, au-delà des mots et des paroles,
plongeant directement dans le néant du non-savoir.
La grande facétie cosmique place les humains dans le
statut paradoxal où il y a épuisement à comprendre ce qui ne peut jamais
l’être, aboutissement très peu satisfaisant car cela annule chercheur et
cherché.
C’est un saut dans l’inconnu où l’on arrive chez soi,
avec la reconnaissance que nous y avons toujours été...
Chapitre I
Si Krishnamurti a été une étape marquante dans l’univers
de l’exploration de l’humain, d’autres enseignements non-dualistes braquent la
projection sur le fait que la personnalité autonome, disposant d’un libre
arbitre présumé, n’est qu’une croyance illusoire, qu’il est très possible de
vérifier directement et sans intermédiaire.
Très souvent, ce point essentiel est noyé dans le magma
des interprétations de la pensée, et le siècle actuel génère des interrogations
qui n’effleuraient pas les esprits des précédents habitants de la planète
Terre.
En étendant l’observation à ce qui s’est passé dans le
monde, d’après ce que nous pouvons en constater, le mammifère humain a toujours
manifesté une forme d’intuition où il sentait que quelque chose devait exister,
comme une puissance supérieure qui dirigeait et soutenait ce gigantesque
déploiement cosmique.
Les noms donnés à cette intuition varient en fonction des
pays et des races ; des groupes d’humains, subjugués par des précurseurs
qui mettaient en forme cette intuition, ont créé des organisations appelées
religions.
D’autres, en nombre plus réduit, ont suivi des
enseignants éclairés à divers niveaux pour entreprendre une recherche plus
spécifique.
Force nous est de constater que ces entreprises n’ont
changé en rien l’état précaire et malheureux de la majorité des
habitants de la Terre.
Qu’en est-il en réalité de cet élan vers l’inconnu, le
sacré, le mysticisme, les croyances, si ce n’est pour remplir un vide abyssal
et exorciser nos peurs les plus profondes avec le léger inconvénient de voir se
traduire ces idéologies en divergences irréconciliables et tueries sans fin,
qui perdurent jusqu’au troisième millénaire.
Le concept de « Dieu » a ainsi pris forme avec
les multiples interprétations qui lui ont été attribuées, selon les pays et les
races, avec le point commun de l’impérieuse nécessité, pour vivre dans
l’épanouissement et la vérité, de suivre des enseignements, des pratiques, et
toute une gamme de comportements dans un jeu magnifique où l’on s’intitule
chercheur spirituel.
Cela peut se poursuivre la vie entière, et pour ceux qui
n’abandonnent pas en cours de route, la tendance majeure qui permet à la pseudo
personnalité de rester aux commandes sans grande difficulté, du fait que
l’avènement de l’éveil signifie la fin de son règne.
Si la voie dualiste propose un but à atteindre, la voie
directe est jalonnée de prises de conscience qui permettent de détecter que les
films qui défilent dans la pensée ne sont pas autre chose que les
conditionnements et les formatages enregistrés à notre insu depuis la plus
tendre enfance.
Ce recul nous amène à nous poser la question : ces
programmes sont-ils réellement nous-même du fait qu’ils sont vus comme des
réactions automatiques qui se projettent vers l’extérieur en toute
inconscience ?
Si nous ne les saisissons pas, nous constatons que les
pensées viennent d’une vacuité pour y retourner comme elles sont venues ;
c’est ce genre de constat qui commence à nous rendre dubitatif sur le fait
qu’il se pourrait que notre identification à la pensée ne soit qu’une croyance
qui ne correspond pas à une réalité, jusqu’alors totalement occultée.
Ce genre de découverte, si elle bouleverse notre vision
de nous-même, est en réalité une avancée considérable car elle pose les jalons
vers la connaissance de notre nature véritable par
expérimentation et
non par des lectures ou discours faits par d’autres, inclus ceux de
Krishnamurti.
C’est là où la notion de voie directe intervient, car il
ne s’agit plus d’aller à la pêche aux savoirs mais d’intimement conscientiser
que nous sommes espace et temps, que ce
qui s’élance à partir des sensations, émotions, pensées, jaillit de cette
vacuité silencieuse et paisible.
Ainsi s’infiltre dans le corps-esprit une forme de
maturité qui remet à sa juste place toutes les croyances, idéologies, opinions
qui ne peuvent plus être prises au sérieux après de telles découvertes ;
nous commençons à nous éveiller du rêve.
Quand le bruit mental permanent est vu pour ce qu’il est,
un simple déploiement d’énergie auquel nous nous sommes identifiés, la bonne
farce mise en place par le grand architecte est déjouée ; cela peut nous
amener à une joie où nous commençons à comprendre ce que le terme libération
veut dire.
Le fait de commencer à prendre conscience que nous ne
sommes pas propriétaire de nos pensées mais qu’il s’agit du jeu d’une totalité
impersonnelle qui anime les moindres détails des milliards de formes qui
s’incarnent dans l’univers d’instant en instant.
Quand il est vu que ce surgissement de pensées apparaît
et disparaît, ceux qui ont pu être suffisamment attentifs ont pu réaliser qu’il
y avait souvent un silence entre deux pensées.
Lorsque cette vacuité silencieuse s’élargit, « le vide que nous sommes
apparaît dans le néant absolu de notre nature intemporelle ».
Cette audacieuse affirmation se révèle porteuse d’une
simplicité peu admissible par le mental. La vie est tout ce qui est et ce qui
peut être, elle joue simplement le rôle d’un individu qui se croit autonome et
indépendant.
En fait, la source de vie habite le corps à sa conception
et le quittera à la mort.
« Cette
force de vie n’est pas autre chose que notre véritable nature ».
Découverte étonnante, nous sommes force de vie mais
aussi une manifestation de cette force de vie dans le temps et l’espace.
Quelques phrases-clefs définissent très bien ce
mystère :
La forme est vide, le vide est forme
La conscience manifestée est la même que la conscience
non manifestée
Le physicien peut dire :
De
l’énergie indifférenciée émane l’atome et ses composants, base
de tout ce qui existe.
En somme, l’énergie qui anime le vivant est la vie à
l’état pur ; elle manifeste l’univers ainsi que ce grain de poussière qui
s’intitule être humain et
s’oublie dans sa manifestation.
Quand elle se retire d’un corps, celui-ci redevient
poussière ; ce qui, en final, n’a pas grande importance, cette
manifestation particulière n’a aucune existence propre ; la supercherie de
la vie favorise la croyance d’être une entité autonome, disposant d’un libre
arbitre et séparée de la totalité, ce qui dramatise le problème d’une pseudo
personnalité, grugée par son apparence et ses ressentis.
Une fois déjoué le grand malentendu de se croire séparé,
l’identification à une identité fictive cesse, seul subsiste le grand
vide ; il est vu alors que nous sommes un flot d’énergie qui se produit
dans rien.
A la fin du corps, nous retrouvons l’unité d’avant la
naissance, la pseudo identité ayant fusionné avec son origine, il n’y a plus
personne pour mourir.
Si le rien que nous sommes n’est pas reconnu nous partons
avec la croyance qu’il y a quelqu’un
qui meurt.
D’une façon comme d’une autre, la manière dont nous
allons quitter le Monde n’est pas de notre fait et ne représente pas un but à
atteindre, surtout lorsque la présomption d’être quelqu’un qui possède la vie
est tombée.
La compréhension est tout, quoi qu’il se passe, c’est
l’affaire d’une conscience qui s’est fractionnée en deux ; la seule
alternative, pour l’humain, réside dans l’intégration de cette compréhension,
là où explose tous les concepts dans le grand silence de l’unité retrouvée.
Du fait que nos décisions apparentes font partie d’une
programmation qui nous échappe, pour la bonne raison que le parcours de chacun
est déjà joué dans le grand ordinateur central, alors que nous croyons dur
comme fer que nous avons choix et libre arbitre.
Cela peut être très frustrant, mais le contraire peut se
produire ; les choses sont ce qu’elles sont et il ne peut en être
autrement ; tout se passe dans le silence qui connaît tout ce qui arrive
dans le théâtre des apparences.
Quels sont les signaux qui peuvent nous faire réaliser
que nous sommes prisonniers d’un déterminisme aussi radical ?
Certaines modalités de nos existences courantes pourront
peut-être nous aider à décrypter le mystère.
Tout au long de ce parcours de vie, il nous est possible
de constater que nous fréquentons trois états bien définis : l’état de
veille, l’état de rêve et le sommeil profond.
Successivement, ces trois états apparaissent et
disparaissent mais la conscience impersonnelle sous-tend ces états dont elle
est le substrat permanent.
Qui suis-je alors ? Ces trois états permanents qui
se succèdent tout au long de la vie, ou l’énergie impersonnelle d’où surgissent
ces trois états ?
L’aperçu le plus significatif qu’il nous est possible de
vivre réside dans le sommeil profond ; cette phase est comme une plongée
dans sa propre Source ; la pseudo personnalité disparaît. Nous la
retrouvons à chaque réveil, en quelque sorte, on pourrait dire : le Monde
existe parce qu’il y a quelqu’un pour le voir.
Lorsque l’état de veille est recouvré, l’individu reprend
ses films et scénarios à l’endroit où ils en étaient. C’est comme l’histoire
d’une vie où l’humain devient l’intermittent du grand spectacle de l’univers en
mouvement pour quelques fractions de secondes par rapport à l’éternité.
Les découvertes qui peuvent nous apporter une vision
objective des trois états, c’est que le déroulement dans le temps et l’espace
obéit à une loi subtile, très révolutionnaire pour le mental contemporain.
La source de vie et ses innombrables manifestations,
inclus l’humain, sont unifiées dans l’énergie intemporelle qui anime, d’instant
en instant, toutes les situations que vivent les habitants de la planète,
humains, animaux, monde végétal et minéral.
Cela mérite un approfondissement réaliste.
Ouvrage publié aux Éditions Charles Antoni-L'Originel