lundi 8 juin 2009

• Voie graduelle, voie subite... telle n'est pas la question !


La méditation est un chemin long et difficile que l'on nomme “le chemin de la fourmi” (Pilpilya marg) dans la philosophie du Védanta.
Le chemin de la connaissance ou la voie directe est appelé le chemin de l'oiseau (Vihanga marg).
Une fourmi peut mourir en chemin avant d'atteindre la cime de l'arbre alors que l'oiseau vole de branche en branche avec tant d'aisance !
Siddharameshvar Maharaj

Il existe une très ancienne dispute au sein des écoles spirituelles et philosophiques chinoises à propos de la notion d'éveil [1]. En effet, le débat entre ces différentes écoles spirituelles concerne le paradigme subit ou graduel et tente de déterminer si une personne peut parvenir à faire l'expérience d'une illumination permettant le dévoilement d'une conscience plus haute de façon subite ou bien si cela exige un cheminement graduel impliquant une certaine pédagogie de l'éveil ?

Ce questionnement est au cœur des querelles d'écoles et semble placer celui qui tente de répondre à cette question au sein d'un paradoxe difficile à résoudre. L'éveil dans son sens spirituel absolu, signifie posséder un esprit et un corps dégagés de toutes pensées. En ce sens, les notions de subitisme et de gradualisme sont de fausses notions comme tous les autres produits de la pensée conceptuelle.

Cependant, la discussion entre le subitisme et le gradualisme semble porter sur la façon de parvenir à la réalisation de soi. Pour le gradualisme, il s'agit d'accumuler ce qui est nécessaire à cette réalisation : le travail fourni, les efforts et acquisitions volontaires. A l'inverse, le subitisme est rapide, il y a perception directe du réel et cet éveil balaye d'un seul coup les fausses notions de la pensée. Dans cet instant de perception directe du réel, il y a transcendance de la dualité et identification au phénoménal. Il ne s'agit pas ici d'accumuler par l'action, mais au contraire de perdre dans le non-agir, d'être attentif et de voir ce qui est au delà de la réalité construite.

Les représentants de l'école dite "du Sud" ou "subitiste", fondée par Huineng, (sixième et dernier patriarche du Chan -zen en japonais-), pensent que l'éveil se produit d'un seul coup grâce à une compréhension et une perception soudaine du réel, tandis que les représentants de l'école dite "du Nord" (principalement représentée par Shenxiu, rival de Huineng) pensent que l'éveil ne s'obtient qu'après un long chemin d'efforts et de travail sur soi.

Nous ne trancherons pas ce débat, car le paradoxe est peut-être que les deux propositions sont à la fois vraies et fausses :
• vraies parce que l'attention ne peut se développer sans une certaine discipline de l'esprit, sauf, peut être pour certaines personnes possédant ce don d'une façon innée, et qu'effectivement, la perception directe du réel, si elle se produit subitement, reste le résultat d'un travail intérieur qui prend du temps;
• vraies aussi dans le sens où, suite à un choc émotionnel important ou un flash existentiel provoquant une rupture radicale dans la conscience de l'individu, il accède soudainement à cette perception directe du réel puis tente de comprendre et de reproduire cette expérience par ses efforts continuels ;
• vraies encore, peut être, lorsqu'un individu chemine vers une meilleure connaissance de lui-même par des efforts et des acquisitions volontaires qui l'ouvrent progressivement à l'éveil du réel ;
• et fausses dans la mesure où les notions mêmes d'éveil de la conscience et de réalisation de soi sont au-delà de toutes pensées conceptuelles de la réalité.

Source : Revue 3eme millénaire (printemps 2009)

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[1] "Volonté d'orthodoxie dans le bouddhisme chinois" (ed. du CNRS)

Vu sur le mystère d'être : dialogue sur l'éveil

Voir aussi en complément ce texte sur la "voie de la fourmi" et la "voie de l'oiseau".

9 commentaires:

vincent a dit…

vieux débat....qui en réalitè pour moi n'a pas lieu d'être! Car cela demeure un"concept" celui de temps et d'espace à partir de ce que chacun pense ou imagine,à travers "l'habitude et la force" investis dans l'identification à son parcours, son histoire, son intimité avec les choses!
tant que l'identification demeure, et bien il y a "deux" donc moi dans un corps, un lieu, un temps donné, le monde, les autres etc.....
90% ou rien c'est pareil, subite ou graduelle ce sont vraiment des concepts, une vue "intellectuelle" un questionnement qui me fait penser à:
la barque coule, il y a un trou, le bâteau prend l'eau et je me mets à cogiter sur: qui a pu faire cela, comment s'appelle -til, comment l'a t-il fait etc......au lieu tout simplement boucher le trou en tant "qu'acte" vivant, ici est maintenant!(ce n'est qu'un exemple parmi mille autres)
Faire ce qu'il y a à faire selon le scénario qui nous fait agir en demeurant "ce regard" sans se prendre dans le filet du concept et s'identifier à eux qui surgissent en "nous"! Nous sommes "le vivant" qui "lui" n'est ni subite, ni graduel...il est c'est tout!

Anonyme a dit…

(le bon lien : http://meditation-pratique.blogspot.com/2009/06/dialogue-sur-levei-liste-des-sujets.html)

Un autre texte qui parle de ça :

http://meditation-pratique.blogspot.com/2009/05/dialogue-sur-leveil.html

sunyata a dit…

bonjour

je ne connais personne qui se soit éveillé sans pratique et personne qui se soit éveillé grâce à la pratique.


SUNYATA

patrice a dit…

très bien résumé. c'est une question qui ne tracasse en fait que ceux qui regardent la voie sans s'y engager, qui ne font qu'en parler. Car une fois en chemin, la moindre des choses (et en même temps le plus important) est de savoir où l'on en est, et plus précisément: est ce l'éveil ou l'état ordinaire???
Mais ce débat eut également lieu au Tibet, au "concile de lhassa", entre Hashang Mahayana, maître chinois tenant d'une voie de l'immédiateté, et kamalashila, partisan de la voie pregressive, et qui finit par l'emporter.
Lorsque Papaji donne son credo: "pas d'enseignement, pas d'enseignant, pas de disciple", il prône l'immédiateté mais cela ne l'empêchait pas d'échanger avec ceux qui venaient le rencontrer. Les maîtres dzogchen que j'ai interrogés répondent: oui pour quelques rares individus, ce peut être immédiat et définitif, mais si ce n'est pas le cas, il faut bien s'atteler à parcourir la voie. Même dans le dzogchen, on a base (ou vue), voie et résultat, les trois.

Patrice a dit…

Tout à fait.
Pour reprendre l'histoire du concile de Lhassa (qui, plus vraisemblablement, eut lieu à Samyé, vers 780), ce sont les partisans de Kamalashila qui, extérieurement, l'ont emporté. Intérieurement, c'est Hashang Mahayana qui donna un nouveau souffle au Dzogchen que beaucoup à cette époque pratiquaient en secret. Et secrètement, cela n'avait en fait pas tellement d'importance !
Lire à ce sujet l'excellente étude de Guilaine Mala : "Empreinte du Tch'an chez les mystiques tibétains" in Tch'an (Zen) : Racines et floraisons, Paris, Les Deux Océans, Hermès, Nouvelle série 4, 1985.

presence a dit…

progressivité et immédiateté .. je trouve que c'est la meme chose , je compare cela a un eclair , l'eclair est immédiat spontané , mais l'eclair-age est progressif .. est a lieus dans l'espace-temps .. c'est comme un halogene .. la lumiere est instantanté .. est immédiate .. mais parce qu'il ya un rehostat .. c'est progressif ..

si notre identité se situe .. apres le réhostat .. il s'agit d'expérience .. et l'eveil est progressif .. dans l'approche direct l'accent et l'identification est mis avant le réostat .. et ce n'est pas une expérience ..

je trouve donc que dans se debat ce qu'il faut se rapeller c'est que l'approche-direct est le but de l'approche-progressive mais comme l'approche-direct ou le but est simplement maintenant .... suivre une approche progressive pour y aller .. c'est s'en eloigner ... mais quand on se rapel le but de cette eloignement tout s'eclair .. et nous demeurons dans l'aproche direct ..

Anonyme a dit…

Merci à vous qui avez laissé ici un commentaire.

Je trouve qu'ils ont bien de la chance, ceux d'entre vous qui regardez tout cela de loin ou de haut, comme un "concept" inutile ou une "chose entendue" sur laquelle il n'y a pas à revenir ...
:-)

A l'adolescence, l'irruption de l'inouï m'est tombée dessus sans aucune préparation préalable et sans que j'ai jamais, vraiment jamais, entendu parler de quoi que ce soit de cet ordre.

Après ..., après ..., je n'ai pas pu ni su gérer l'après, justement. Cette "expérience" qui ne s'inscrivait dans aucun mot adéquat et dans rien de reconnaissable fut à l'origine d'un drame personnel psychologique et familial qui mina de l'intérieur 40 ans de ma vie (j'en aurai bientôt 70), faute de pouvoir, à l'époque, m'en expliquer avec un entourage suffisamment ouvert, tolérant, averti.

Bon d'accord, maintenant, je peux faire "une lecture" relativement détachée de tout cela, et surtout en faire mon chemin, mais je voudrais juste souligner ici l'importance cruciale qu'il y a pour certains à trouver une oreille attentive et avisée, pas trop blindée de certitudes ni de jugements a-priori pour accompagner (éclairer - situer) pareil bouleversement, irréversible, lorsqu'il se présente.

Pardonnez moi si je suis hors sujet.

Un grand merci à Patrice pour ce blog.

mali

Patrice a dit…

Merci à vous Mali. Nous sommes tous, j'en suis persuadé, très touchés par votre témoignage. C'est justement l'objet de ce blog, sans prétention, de pointer un doigt en direction de la lune de la "vérité", tout en laissant celle-ci la plus ouverte possible.
J'exprime le souhait que tous ces textes mis en ligne depuis bientôt deux ans vous apportent quelques réponses et réconforts...
Bien à vous.

Anonyme a dit…

Patrice, oui, cet espace dédié qu'est votre blog m'a aidée (et, je souhaite ardemment qu'il en aide bien d'autres aussi). Après avoir "risqué" un commentaire la nuit dernière, un texte m'a littéralement réveillée ce matin - que je ne peux m'empêcher de tenir pour signe et suite tangibles de ma visite.

***

horizon sans repère ni ponctuation
au ciel ni oiseau ni nuage
au sol pas d’herbe pas d’arbre aucune trace
plateaux de l’étrange

"Vacarme-de-silence" me chuchote à tout rompre sa petite musique à l’oreille
le cours des choses suit le cours des choses
transparence muette
laisse aller le cours des choses
sans interférer
fût-ce d’un battement de cil.

horizon sans repère ni ponctuation
au ciel ni oiseau ni nuage
au sol pas d’herbe pas d’arbre
aucune trace
plateaux de l’étrange

***

Aucune nécessité de le publier sur le blog (*). Je vous l'offre en manière de reconnaissance perso et parce qu'il vous revient de plein droit.

mali

(*) surtout si je l'ai envoyé deux fois par erreur : je ne suis pas très habile pour manoeuvrer un ordinateur, animal aussi diabolique que merveilleux.