lundi 30 juin 2014

• Retour vers soi - Nicole Montinéri


Souvent, les personnes désireuses de calmer leur esprit tentent d'éviter des situations, de fuir certains phénomènes, créateurs d'agitation et de bruit. Il suffit de réaliser que l'esprit est naturellement paisible, naturellement ouvert, naturellement vide. En cet espace primordiale, aucune accroche n'est possible. Les pensées continuent de s'élever, mais elles ne trouvent plus de points d'ancrage. Elles ne troublent plus l'immensité silencieuse libre du temps.

Il n’y a pas d’autre chemin que celui du retour vers soi. Dans nos sociétés du divertissement, du spectacle des ego, l’être humain a le sentiment que tout devient dérisoire et lui-même, insignifiant.
Pour ne pas perdre le sens de la vie, il nous faut revenir vers l’être authentique qui nous habite, retrouver cette exigence d’essentiel qui demeure en nous malgré notre existence fragmentée.
Qu’est-ce qu’il y a en moi que je n’ai pas encore vu ? Pas encore éclairé, compris, assumé ? Voilà la question que je dois me poser.
Nous devons apprendre à nous recueillir, à retourner dans notre propre fond et à y goûter le silence réparateur. A reconnaître, dans cet espace, l’être intime qui y est caché et à puiser la force qui le fera naître à lui-même. C’est un apprentissage, dont dépendent la qualité de notre conscience, le degré d’intelligence et de sagesse qui s’expriment dans notre façon d’être.

L’être intérieur, le vrai moi, immuable quelque soient les évènements de notre destinée, est notre entière réalité.
Tant que nous ne savons pas qui nous sommes, nous vivons en exil, non seulement en ce monde, mais aussi à l’intérieur de nous-mêmes, coupés de notre être véritable. La connaissance de soi est la condition du bonheur. Ce sentiment de plénitude qui parfois monte en nous est le signe de l’émergence de notre être intérieur, et de notre acquiescement à sa réalité.
C’est ce Je Suis, ce puissant noyau d’énergies qui vit en nous, qu’il s’agit de libérer. « Allez au bout de vous-mêmes, jusque dans les fondements de votre être, sans avoir peur de les ébranler. »
Nicole Montineri nous propose un chemin d’accomplissement jusqu’au dieu en nous.

© Extrait de l'ouvrage publié avec l'aimable autorisation des Éditions Accarias - L'Originel :

Voir

Voir ne peut être que depuis la source de lumière, à la racine de la liberté du Désir divin qui fonde ce monde et le déploie dans notre intériorité. Vides de représentations, nous nous tenons dans la nudité de ce Désir originel, ouverts, libres de fin, au-delà de Ses reflets.
Voir est mû par le Souffle qui émane de la source, de cet œil de l’intérieur qui regarde tout en lui-même.
Voir ce qui est, c’est aussi voir ce qui permet l’existence. Voir est conscience. C’est une perception globale, une connaissance directe, immédiate, qui saisit ce qui est « tout de connaissance » : la conscience pure.
L’œil qui voit de l’intérieur est celui de cette conscience pure : c’est l’œil du cosmos, qui tire son acuité du Vide originel.
Nous limitons la vie aux actions de notre corps et de notre pensée, ou à celles des autres. La vie est aussi au-delà. Elle est partout. Voir cela, c’est déjà répondre à la question : Qui suis-je ?
Tant que nous ne savons pas qui nous sommes, nous ne voyons ni le monde, ni les autres, mais notre seule image.
Qu’est-ce qu’il y a en moi que je n’ai pas encore vu ? Pas encore éclairé, compris, assumé ? Voilà la question que je dois me poser. Car sinon, je ne suis pas seulement en exil dans ce monde, mais aussi à l’intérieur de moi-même, coupé du potentiel d’énergies à accomplir qui est scellé dans le noyau de mon être depuis toujours. Si je suis incapable de déceler en moi ce qui demande à être transmuté en lumière, à être conscientisé, je reste dans la confusion, l’égarement et la souffrance. Pris dans mes propres ténèbres, que je ne reconnais pas, je n’atteins pas à la totalité de mon être, ce Je Suis, fruit de mon entier accomplissement. C’est dans la nuit de mon intériorité, et non dans le poids, que je fais porter aux autres, de ma propre ignorance, que je vais chercher et découvrir cette lumière-connaissance qui déploiera mon espace de conscience et me fera naître à moi-même.
Voir ce qui est obscur à l’intérieur de nous est notre responsabilité, depuis que le Souffle divin fit de nous une « âme vivante ».
Ce qu’est sortir de la confusion : voir à l’horizon… la ligne ne sépare pas la terre et le ciel mais les joint. Ils ne sont pas séparés, ils ne sont pas confondus non plus.
La connaissance totale est voir toute chose dans son unité primordiale. Cette vision est la suprême intelligence. Nous sommes arrivés au centre, l’œil contemple à l’infini tous les espaces. Le voile est percé, qui dissimulait la façon dont la vie est informée.
Voir à partir du centre lumineux de notre être, à égale distance de toutes choses, est le vrai regard.
Voir est le « faire » véritable qui caractérise l’action juste, engendrée dans le silence, en adéquation parfaite à ce qui est, sans interprétation qui colore la réalité selon la satisfaction de désirs. Elle vient d’une profondeur que la pensée n’atteint pas.
Voir est la Réalité même : pas un sujet qui voit l’objet de sa vision, mais un seul champ de conscience, une unité dynamique qui centre l’énergie du vide et éclaire.
Voir, à chaque instant, que toute conscience d’objet a pour support la Conscience indifférenciée, absolue. Voir, c’est la pure Connaissance. Elle vient du cœur, de l’énergie puissante qui y fulgure en lumière. Celui qui demeure en ce centre incarne dans le monde la Conscience absolue. Il ne voit pas par lui-même, bien que son attention soit extrêmement fine, mais est tout entier avec Cela qui voit.
Entre l’Un et le multiple, entre l’Incréé et le créé, une étendue qui les relie, le vide d’où émane le Souffle, donné par cette Mère-matrice qu’est la Conscience.
Ce qui vient du « voir » est le plus caché de nous, le plus intime de notre intériorité, mis en lumière par notre descente vers la source. Ce sont nos profondeurs éclairées qui voient, le féminin en nous. C’est Marie-Madeleine qui, la première, à l’aube, voit celui qu’elle croyait mort. Voit, c’est-à-dire entend sa voix, souffle ressenti, et reconnaît dans cet invisible celui qu’elle aime. Elle ne l’a pas touché, lui, mais a touché ce qui les relie, cette étendue comme un fil d’horizon entre le ciel et la terre, cet entre-deux qui recèle la Présence, ce vide qui lui transmit alors le mystère de la Vie.
Voir est intelligence et sagesse, voir est conscience. Voir n’est pas séparer, c’est englober ce qui est dans une vision unitive de rigueur et de miséricorde. Voir est amour.

==> Site de Nicole Montinéri ; La Conscience Espace

vendredi 27 juin 2014

• Le chant du singulier - Stephen Jourdain

Stephen Jourdain commence sa production littéraire à partir d'une expérience d'éveil spirituel qu'il dit avoir eue à l'âge de 16 ans. Jean Paulhan lui propose de publier ses textes au début des années 1960 à La Nouvelle Revue française. Bien que son orientation littéraire le classe parmi les auteurs de spiritualité contemporaine (proche de la non-dualité occidentale), il a toujours affiché une distance par rapport à cette catégorie.

UN FILS DU MOMENT par Jean Paulhan
Stephen Jourdain appartient à une famille renommée, qui a donné à notre pays (la France) de bons artistes et de hardis écrivains. Je suppose donc qu'il a été bien élevé – qu'il a fait ses classes – qu'il a lu quelques Anciens et Modernes, choisis de préférence parmi les auteurs anarchistes ou révolutionnaires : ce sont les plus libres, et ceux qui ont su le mieux secouer les préjugés et les partis pris de leur entourage. Ils n'offrent, à vrai dire, qu'un danger : c'est qu'ils conduisent assez vite un jeune homme à l'esprit logique à douter de son doute et se révolter contre sa révolte. Voilà qui peut mener très loin.
Voilà qui mène le plus souvent à supposer que tous les gens, en un certain sens ont raison. Qu'il suffirait, pour s'en apercevoir de distinguer le signe que nous fait chaque objet du monde : de démêler les fils qui relient très bien Marx à Jésus-Christ, Narcisse à Prométhée, ou si l'on aime mieux, les petites bêtes du fond des mares aux planètes et aux nuages. C'est en si bonne voie qu'avançait notre héros lorsqu'est arrivée la catastrophe.

© Extrait de l'ouvrage publié avec l'aimable accord des Éditions Charles Antoni - L'Originel :

Personne n'en saurait imaginer de plus grave ; de plus décisive. Jourdain n'est pas du tout parvenu, comme il l'espérait, à démêler les fils en question. Non, il a été l'un de ces fils, il a même été tous les fils à la fois. Il n'a pas vu la grande Loi du Monde. Plutôt il l'a vue de si près qu'il ne pouvait plus la distinguer. Il s'est fondu en elle. Il est devenu lui-même ce qu'il cherchait. Bref, il a été victime de ce que les Musulmans nomment un instant ; et nous, tantôt un moment, ou bien une nuit, ou encore (de façon beaucoup plus littéraire et prétentieuse) : l'éternité dans l'instant.
 Il n'y a là rien que de banal. Simplement, les instants se sont trouvés dans son cas bien plus nombreux qu'il n'est commun ; se succédant à la fin sans une seule (ou peu s'en faut) solution de continuité ; formant au lieu d'instants, une durée : une sorte de perpétuité. Et nous, naturellement nous nous disions que voilà Stephen Jourdain perdu pour notre monde : incapable désormais de former la moindre pensée qui ne fût aussi la pensée contraire.

Cependant je n'ai pas perdu tout espoir. C'est que Jourdain montre dans sa conduite du bon sens. Il ne s'est livré jusqu'ici à aucune activité extravagante. C'est au contraire : il est allègre et naturel. Il sait inspirer confiance à ceux de ses voisins, auxquels il propose, suivant les principes éprouvés du porte-à-porte, l'achat de bons romans policiers ou de mauvais romans romanesques.
 Mieux encore : il s'est marié. Il a divers enfants, auxquels il a soin de refuser toute éducation ; toute instruction, à plus forte raison. Il vient même d'acheter à bon prix un wagon de première classe où se loger avec femme et enfants.
Tout cela serait peu. Il sait parler de ses instants avec détail et précision. Il n'est jamais fatigué d'en parler, ni moi de l'entendre.
Ce qui m’est arrivé quand j’avais seize ans...

Ce qui m’est arrivé quand j’avais seize ans. En fait il ne m’est rien arrivé du tout. C’est vrai que c’est l’événement le plus colossal que l’on puisse imaginer, on ne peut pas trouver d’adjectif qui soit à la hauteur de la dimension de l’événement mais soyons francs, il ne s’est strictement rien passé, “ce qui a été, a été”, “le rouge, devient rouge”, c’est vrai que c’est un événement inoubliable, “moi, devient moi, suis, devient suis”, inoubliable, mais en fait rien, un non-événement, rien, absolument rien. Celui qui vit cet événement énorme, s’attendrait à ce qu’il y ait des retombées, qui nous permettent de gérer notre vie le moins mal possible :

- que Dieu (dieu, c’est moi) que Dieu-moi nous prodigue ses conseils, infléchisse le cours de nos vies, nous fasse changer d’opinions.

- non, rien, aucune retombée, rien, le fleuve de toutes les choses continue à couler majestueusement, simplement avant il y avait des bouchons, il ne coulait pas très bien, là le torrent dévale majestueusement, mais strictement rien n’ est changé.

Lorsque j’entends (non pas dans les salons, il n’y a plus de salons maintenant, il n’y a pas de salons mais il y a des cénacles) lorsque j’entends dans un de ces cénacles dire : “celui-là il est tout près d’avoir l’éveil” et “celui-là s’en éloigne”, je suis ahuri, parce qu’il ne se passe rien. Si on se représente Ça comme quelque chose, on se trompe gravement dans la conception que l’on a des choses. Si par hasard la chose se produit, cette conception va voler en éclats, comme toutes les autres (ce que je viens d’exprimer, aussi), la place est nette, il ne reste plus rien, même pas ça. Aborder l’Éveil ou la Réalisation suprême comme quelque chose, c’est une erreur très très grave. Il s’agit de s’enfoncer dans l’être - nous sommes dans l’être, mais on est comme à la surface - il s’agit de s’enfoncer dedans, d’être plus. Il faut savoir comment s’enfoncer : C’EST ÊTRE CONSCIENT D’ÊTRE, c’est ça le levier. Si je veux être plus, il faut que je sois plus conscient d’être, c’est la même chose. Être et être conscient d’être, c’est une même chose. Et s’enfoncer dans l’être, ça ne change rien, il faut bien comprendre ça.

Ce dieu-là est, par essence, muet, il ne prodigue aucun conseil, il ne fonctionne pas du tout comme un père bienveillant (il ne fonctionne pas du tout comme un père d’ailleurs), il y a donc un très grand mystère dans tout cela. C’est très difficile d’en parler, c’est très difficile de mettre le doigt sur l’erreur de conception de cette chose. Tout langage est forcément celui de l’erreur. Je parle de “l’autre rivage”, déjà on est arrivé quelque part. Mais ça ne se passe pas comme cela. Pourquoi est-ce que cet événement incommensurable est un non- événement ? Pourquoi est-ce que ça ne change rien ?

Parce que ce n’est pas un objet, ce n’est pas un objet parmi les objets, ce n’est pas une chose parmi les choses, c’est un non-objet, une non-chose. Moi, c’est Dieu, (je veux bien le vocable), au moins la grandeur qui est présente dans cette chose, mais “si Dieu est un objet et si cette Chose est dieu”, cet objet est immédiatement désavoué comme une imposture, c’est un non-objet, c’est un sujet pur, c’est moi.

Concrètement on peut comprendre pourquoi cette chose-là ne peut pas peser. Imaginons que cela pèse (je parle d’expérience, on ne peut pas vivre une chose pareille sans la penser), elle-même n’a aucun poids, mais “la pensée de la chose”, a un poids énorme, “l’écho de cette chose” dans une intelligence humaine, a un poids énorme, c’est le poids de Dieu (ce n’est pas négligeable) le poids de l’Être, le poids de Dieu, ce n’est pas rien ! Pourquoi cette chose ne peut pas nous contraindre ?

Si quelque chose nous contraint, c’est un autre forcément, (c’est un objet, c’est “là”, pas ici), cette Chose-là, en tant que me contraignant, m’astreignant à quelque chose, m’astreignant éventuellement à la retrouver si je suis dans l’illusion de l’avoir perdue, ce qui est une illusion assez insensée ! Si je regarde mon lointain passé et si je me reporte à l’instant où cette chose a jailli :

Est-ce que, après cinquante ans, je suis encore à la hauteur ? quelquefois j’ai des complexes, tout de même, c’était plus aigu avant, c’était en tout cas très différent, alors j’ai des complexes (“l’évocation de cette chose”, va avoir un effet contraignant sur moi). L’illusion où est-elle ? Si ça me contraint, si peu que ce soit, c’est que j’ai oublié que c’était moi, cet oubli est fatal, c’est la mort de la Chose. C’est moi (et ce n’est pas moi en général) c’est moi MAINTENANT, à l’intérieur, nous n’existons que maintenant-tout-de-suite, c’est ça le secret.

Pendant plusieurs années, c’est l’aspect purement positif, édificateur de cette chose sur lequel je me suis focalisé (comme autrefois quelqu’un, qui avait la foi se focalisait sur Dieu, c’est du même genre - tout l’individu, dans toutes ses dimensions, se mobilise autour de cette chose-là - on peut imaginer que cette mobilisation n’est pas étrangère à la nature-même de cette chose (la foi en Dieu, crée Dieu) ce sont des relations très subtiles. Cette chose est dès le départ un acte de foi, la mobilisation entière de l’être humain, par cette valeur infinie, crée cette valeur infinie (tout ceci a été très bien décrit par les chrétiens, mais pas dans ces termes).

Au début c’était l’aspect purement positif : Je suis, conscience, conscience infinie, infiniment consciente d’elle-même, je suis, moi (je ne suis jamais tombé dans l’erreur de commettre cet oubli effroyable que je suis ce moi ultime), ce moi ultime, c’est moi, ce n’est pas un autre, c’est moi personnellement. Moi impersonnel, (le qualificatif “universel” serait plus acceptable), “impersonnel”, c’est une aberration, ça ne veut rien dire, si on retire au mot “moi”, sa signification personnelle (et qu’est-ce qui est plus personnel que moi) on l’a tué, on a tué le sens. Moi impersonnel, c’est un contresens. Cette chose, c’est moi, tant que ça prétend être un objet, (un non-moi, un autre), c’est un néant.

Pendant quelques années c’est l’aspect purement positif de cette chose-là qui a induit cette mobilisation absolue de l’être humain, qui se traduisait par un cri muet : “c’est la seule chose qui soit, c’est la seule chose qui vaille”, c’est la toute existence, l’existence absolue de cette chose sur laquelle je me suis focalisé humainement qui a dominé. Après ça, c’est l’inexistence absolue.

Ce que j’appelle Éveil, en tant qu’objet, en tant que “là”, en tant que principe étranger à l’omni-présence de moi, de moi et de ma vie (moi et ma vie terrestre c’est une même chose) c’est une hallucination pure.

Chaque fois que me référant à ce passé glorieux (c’est impressionnant le jaillissement de cette chose-là) je suis un peu sur la défensive, je serais au bord d’avoir des remords : “je ne suis pas aussi aigu, aussi pugnace”, “ça a pris une autre forme”, je suis dans l’hallucination, parce que cette chose, c’est moi. Si ça me contraint, je commerce forcément avec un imposteur. C’est très très important de comprendre ça. Si on change le langage, si on emploie le mot JE, (il faut insister sur JE, très bien) mais JE, c’est moi. Cette chose-là, c’est la culmination de l’existence (c’est l’existence absolue) l’existence absolue fonctionne exactement comme si elle n’existait pas et laisse l’homme qu’elle a investi, absolument libre.

S’il n’était pas libre, ce ne serait pas moi, ce serait un autre, ce serait un objet (l’Éveil-objet, c’est une hallucination, l’Éveil qu’on peut désigner, c’est une hallucination, donc en vérité je ne parle pas de l’Éveil), je désigne quelque chose, par la force des choses je désigne quelque chose, impossible de parler sans désigner, sans mettre “là-bas”, je désigne donc un imposteur.
Il est impossible de parler de cette chose, nul n’en a jamais parlé (même le maître le plus fin, le plus authentique) nul n’a jamais parlé de cette chose, nul n’a jamais pensé cette chose et nul ne l’a jamais aimée non plus (c’est ni un objet de parole, ni un objet d’amour, ni un objet de pensée, ce n’est pas un objet du tout) c’est moi. Ce que je suis en train de dire là, fait la différence entre l’approche de cette Chose (à mon avis il n’y a pas d’approche de cette Chose) entre ce qui peut apparaître comme étant l’approche de cette Chose et cette chose elle-même. Il faut que la pleine réalisation de ce que cette chose, est moi, (de ce qu’autrefois on aurait appelé “dieu” est moi) au sens le plus personnel et le plus simple du terme, il faut mettre dans le mot moi ce qu’on y mettait quand on avait quatre ans et qu’on se battait avec un petit copain ou qu’on jouait à la marelle, c’est très simple moi : il y a quelqu’un qui prononce mon prénom derrière moi, je me retourne, c’est moi. La raison profonde de ce geste (des esprits qui compliquent tout, verraient dans ce geste un tropisme, la mécanicité, ce sont des conneries) on prononce mon prénom derrière, je me retourne, quelle est la chose en moi qui est à l’origine de ce mouvement ?

C’est moi, c’est cette intuition fondamentale, la plus fondamentale de toutes, de laquelle nous ne sommes d’ailleurs jamais sortis (on ne peut pas sortir de moi) c’est moi. Nous sommes tous porteurs de cette évidence himalayenne, moi, et on ne la rencontre pas, c’est extraordinaire ! Quand on est petit, on est sensible à cette évidence (on n’a pas encore appris “que le moi était impersonnel”, “qu’il fallait chercher la neutralité, l’impersonnalité”, toutes ces conneries qui proviennent des déviances élitistes de Gurdjieff, (je ne parle pas de Gurdjieff lui-même) quand on est petit c’est simple, c’est moi (ce n’est pas reconnu humainement, intellectuellement) c’est là à l’état naturel, ça passe, ça filtre, ça nous emplit, mais en même temps, l’être humain que nous sommes, ne l’a pas réitéré - il ne s’est pas tourné vers cette évidence elle-même - et c’est au moment où l’être humain terrestre que nous sommes, (le connard de base), pour lequel j’ai une tendresse sans fin, il est sain et sacré, (le plouc) ça ne devrait pas surprendre, parce que toutes les histoires que je suis en train de raconter sont une apologie du plouc. Le type, il a tout compris, il est transformé, c’est visible, il est devenu une masse d’or, scintillante et à la fin de sa vie qu’est-ce qu’il fait ? Il traie ses vaches comme si rien ne s’était passé, il est redevenu, “plouc”, donc le destin de cet or spirituel, c’est de revenir à l’état de simplicité, il a enfin compris qu’il n’y avait pas de retombée, “parfait, je suis libre de traire mes vaches.

 Préface
Le désert croît et la langue se meurt, en même temps qu’il nous est demandé de survivre. De crise, il s’agit bien, mais comme le souligne René Guénon rappelant l’étymologie latine et grecque du terme, elle n’est pas seulement ce moment paroxystique de l’histoire d’une société ou d’une civilisation, comparable à la manifestation violente d’une maladie, c’est le moment où l’on doit décider, parce qu’il nous faut juger, c’est le moment où jamais, en quelque sorte. D’où cette nécessité de devoir envisager quelques solutions, comparables à des thérapeutiques. Ainsi s’avère l’opportunité d’un passage au crible. Charles Antoni propose de chapitre en chapitre, un retour à la Grande Tradition contre, ce qu’il appelle « l’horizontalité culturelle ».

Alors il s’agira d’entrevoir en soi « l’homme véritable » qui fait la différence d’avec « l’homme ordinaire » englué dans les méandres d’une vie faite de préoccupations subalternes, sous peine de croire qu’une civilisation ne pourrait pas mourir comme pourtant ce fut déjà le cas dans l’Histoire de l’humanité. D’où la possibilité de distinguer ce qu’il appelle la « véritable culture » contre la somme si quantitative de ce qui est proposé. Halte donc à l’hyper-consommation culturelle ,qui n’a rien à voir avec l’élévation aux grandes oeuvres. Et au-delà d’elles, est rendue possible un véritable accès à soi.

S’il s’agit de sauver le monde, ce ne sera sans doute que ce monde intérieur par une « âme instruite et cultivée » selon la proposition des Anciens… Si un combat s’impose encore, ce sera seulement celui de l’Être, assorti d’un retranchement avéré dans sa tour d’ivoire. Cette tour imprenable, qui, contre vents et marées, demeure dans sa solidité solitaire.

Et la « recherche » pourra continuer au profit d’une sérénité envers et contre tout, et notamment contre cette « peur » entretenue par le contexte de crise sur tous les plans, y compris celui du langage puisque l’on assiste à une fuite des mots qui ont cessé d’enrichir l’esprit. Devant cet appauvrissement programmé sous couvert de consommation d’objets inutiles une mutation est-elle possible ? Oui, mais sous de belles conditions, celles qui mettent en jeu ce travail interne, individuel, condition sine qua non de tout changement remarquable et qui vaudrait révolution .
Quelle solution encore ? « Devenir un maître en stratégie » lorsque la Nature et ses sursauts provoquent cette explosion humaine à venir, assortie d’angoisse. Ainsi cette survie qualitative se fera donc dans l’Ici et Maintenant, dont le lieu privilégié est ce monde intérieur inattaquable, dans une présence à soi. Être alors au fait de la situation en étant au fait de soi-même.

D’où le sens de la formule ultime de cet ouvrage :

« L’instant présent est ce qui nous reste.»

Paule ORSONI / Philosophe

Mutation

Je crois qu’il faut faire avec son temps. Autant se servir des moyens mis à notre disposition par ces temps d’obscurantisme. L’avion m’a permis de faire des voyages lointains, que bien des gens comme René Guénon ne pouvaient même pas imaginer. Se servir, sans être asservi. Les événements vont à un rythme extrêmement accéléré et c’est à nous de ne pas nous laisser dépasser.

Peut-on savoir où ce monde fou nous conduit ? Dans tous les cas, c’est à nous de chercher à l’appréhender et ne pas se laisser engloutir. On n’est sans doute pas très loin d’une nouvelle arche de Noé. Il faut s’y préparer et ne pas fermer les yeux. Comme le dit la tradition Indoue, nous sommes à la fin d’un cycle, celui du Kali-yuga.

Contrairement à ce que peuvent penser les humains, il est fort possible que peu de choses dépendent de nous. Nous ne sommes peut-être que des marionnettes manipulées par des forces qui nous dépassent. Dans tous les cas, que ce soit en dehors de nos compétences, ou tout simplement par le jeu du pouvoir de certaines formes de pensées, qu’elles soient politiques, économiques, sociales etc, il nous faut nous préparer au combat et tel le samouraï, pratiquer un entraînement qui nous donnera la lucidité nécessaire pour affronter ces temps de très grande dépression.

Comme tout le monde le sait, nous ne sommes qu’au début de ce qui inévitablement nous attend. Nous devons regarder cela comme un fait et surtout ne pas se bander les yeux. Ce temps de récession est, non seulement inévitable mais également, sans doute, la chance qui nous est offerte pour tout balayer de ces vieux concepts surannés de profit, de consommation, de toujours plus.

Il est à jamais question de cette éternelle lutte entre le paraître et l’être. En tant qu’individu nous n’avons cessé de penser que l’avoir nous conduirait à un plus grand état de bien être. Il n’en est peut être pas ainsi : se coucher de bonne heure, se lever de bonne heure, c’est aller de bonheur en bonheur, voilà où se situe la véritable apathéia des anciens Grecs.

Pour revenir à ce monde en pleine mutation où s’abolissent les frontières, les nations n’étant plus que de vagues nébuleuses, où seul survivra le principe économique, il nous faudra faire preuve d’une grande mise à distance face à tous les événements qui ne vont pas cesser de nous surprendre. Je propose donc en premier lieu une grande lucidité face à l’événementiel et une plus grande froideur devant toutes les manifestations qui ne vont cesser de déferler à la vitesse grand V.

Cette récession peut être la chance qui nous est offerte pour nous réveiller du rêve dans lequel nous nous étions depuis si longtemps assoupis. Sortir de ce rêve qui n’est en réalité qu’un cauchemar, où chacun de nous continue de se la jouer. Comme le disait Calderon : La vie est un songe et aussi reprendre le thème cher de la Baghavad-Gita, de la tradition Hindoue, où il nous est montré que tout n’est qu’illusion. Nous vivons, souffrons, mourons, et au final que reste-il ?

Il n’est que d’observer tous ces partis politiques qui s’entredévorent où chacun nous fait croire au bien-fondé de sa théorie pour parvenir à ses fins, et qui ne sont en réalité que l’accès au podium du pouvoir. Pouvoir et profit sont les deux faces de cette médaille politique.


mardi 10 juin 2014

• Du Soi au Soi - Leo Hartong



« Ce qui est communiqué ici est simple et immédiat. Il s’agit de qui - ou de ce que - vous êtes véritablement en cet instant même. » Paradoxalement il s’agit aussi d’un mystère subtil. Nous pouvons donner à cette subtilité des noms tels que Pure Conscience, Essence, Tao, Dieu ou simplement CELA.
CELA, Ce Sujet Ultime est l’Identité Vraie, « votre » Visage Originel ou Pure Conscience. CELA est ce que vous êtes, et non ce que vous pensez être.
Le problème à la racine de tous les problèmes est le sentiment d’être une entité séparée et l’identification en tant que corps-mental. Avec l’éveil survient la reconnaissance qu’il n’est pas de personnage séparé à éveiller. 
Nous sommes loin ici du « développement personnel » : Ce dont il est question est voir à travers la personne, de la démasquer en tant qu’illusion, et non de lui fournir des méthodes.
« Détendez-vous dans le voir » conseille l’auteur car « Il n’y a aucune chance que la pensée puisse vous emmener au-delà de la pensée. »
Tous ceux qui résonnent profondément au message de la non dualité se retrouveront dans ces pages qui répondent sans concession à nombres de leurs interrogations les plus intimes. Par sa simplicité et sa cohérence il passionnera aussi les nouveaux venus à cette aperception particulière de la nature des choses.
Avec une infinie patience il démonte de façon irréfutable les constructions mentales qui entravent l’advenue de la paix en ceux qui, habité par une recherche d’absolu, s’égarent encore parfois dans les méandres des mots.
La vision qui habite Leo Hartong entraîne doucement mais irrévocablement le lecteur vers un lâcher prise définitif. 

Extrait de l'ouvrage, publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias L'Originel

1. La migraine de Dieu


Question : Prétendez-vous que savoir que toute douleur et toute souffrance sont universelles nous en libère ? Douleur et souffrance n’en continuent-elles pas moins à exister, qu’elles soient considérées à partir du microcosme ou du macrocosme ? Est-ce une migraine de Dieu ?

Réponse : Au niveau relatif du jeu, l’expérience de la vie a lieu à travers des polarités opposées telles que plaisir/souffrance, bien/mal, haut/bas, allumé/éteint et ainsi de suite. Ces polarités contraires sont connues à partir de — et générées par — la perspective d’un apparent individu séparé. Tout l’apparent pouvoir de choix et d’action de ce personnage illusoire vise à s’éloigner du pôle négatif et à se rapprocher du pôle positif ou pôle de plaisir.
La fin de la souffrance ne se trouve pas dans l’éradication de l’un des pôles au profit de l’autre, mais la véritable nature de la souffrance pourrait devenir claire en se demandant : qui est ce qui souffre ?
La libération peut advenir à travers la réalisation qu’il n’est en fait aucune séparation nulle part et pas d’individu pour endurer la souffrance. Dans cette reconnaissance, le feu continue à brûler, le vent à souffler, la pluie à tomber et le soleil à briller, pour tous…et pour personne.
Ce n’est pas tant qu’il y a libération de la souffrance mais plutôt réalisation qu’il n’est personne pour être libéré. Cette perspective est mise en exergue dans la citation suivante attribuée au Bouddha :

Il y a agissement, mais sans pour autant entraîner l’existence d’un agissant individuel, autonome et séparé.
La souffrance existe, mais sans personne pour souffrir.

La souffrance est « contenu ». La Conscience est « contenant ».  La Conscience est ce en quoi tout se lève et se dissout. Elle demeure non affectée, exactement comme le miroir demeure vide, indépendamment de ce qui semble apparaître en lui. Reconnaissez que vous êtes la Conscience témoin non affectée pour laquelle la personne et ses expériences — bonnes et mauvaises — sont des objets constatés. ici le centre de gravité passe du contenu au contenant. Ce contenant  est vide et merveilleux et il ne souffre pas. C’est la paix antérieure aux divisions bon/mauvais, souffrance/plaisir, yin/yang générées par l’esprit. Vous êtes cette Paix.

Vous êtes la Conscience immuable en laquelle toute activité a lieu.
Demeurez toujours en paix. Vous êtes Être éternel, illimité et sans partage.
Restez simplement tranquille. Tout est bien. Tenez-vous coi, ici, en cet  instant.
Vous êtes Joie, vous êtes Paix, vous êtes Liberté.
N’entretenez pas la notion que vous êtes en difficulté.
Soyez bienveillant envers vous.
Ouvrez-vous à votre Cœur et simplement Soyez.
Papaji

2. Comment aborder les approches opposées ?


Question : Certains enseignants advaïtins affirment : « Reconnaissez qui vous êtes réellement, exercez-vous à cette reconnaissance et stabilisez-vous en elle ». D’autres disent qu’il n’y a rien à gagner, qu’il n’est point de vous ; qu’il y a simplement ceci !

La première approche m’offre une méthode pour gérer mes émotions, mes frustrations et ma croyance erronée d’être une personne ; bien que j’apprécie la deuxième proposition, elle ne m’offre aucune méthode pour atteindre une stabilisation en Ce que je suis réellement.

Avez-vous des suggestions sur la manière de traiter ces approches opposées ?

Réponse : Les méthodes ayant trait à la gestion des émotions sont une bonne chose mais relèvent du domaine de la psychologie et n’ont rien à voir, ou si peu, avec la vision claire. Elles tendent à réconforter et à ajuster la personne. Ce dont il est question ici est de voir à travers la personne, de la démasquer en tant qu’illusion, pas de lui fournir des méthodes. La personne travaillant sur elle-même a autant de chances de réussir à voir au travers d’elle-même qu’un piège réglé pour s’attraper lui-même.

Le problème avec la tentative d’y parvenir est que cela implique automatiquement de ne pas y être. Cela conforte la notion d’un « vous » séparé devant arriver quelque part plus tard. Et ce faisant, cela conserve en vie et bonne santé l’illusion de la séparation et du temps. En vérité, il n’est aucun personnage séparé pour atteindre un futur état intemporel.

Ce dont il s’agit ici, c’est la reconnaissance de ce qu’est véritablement ce qui vit, pense, voit et respire, à travers et en tant que la personne apparente. C’est la Substance Une, telle qu’en elle-même, simplement CECI… Présence Conscience. Le « petit vous » ne peut s’y stabiliser mais VOUS êtes Cela.

Réponse de l’intervenant : C’est tellement fascinant — tout est écran de fumée et jeu de miroirs ! Ashtavakra affirme : « Le monde est un spectacle de magie » — et c’est bien vrai. Pour en revenir au sujet : la réponse de l’auteur affirme que les émotions n’ont rien ou si peu à voir avec la vision claire — mais y a-t-il quoique ce soit qui ait à voir avec la vision claire ? Il est clair que non. Car qu’y a-t-il à voir ? Et qui est là pour « le » voir ??

Nos mots nous font trébucher à tous coups, neti, neti, neti. Des questions ? Peut-être, mais de réponses ? Point.

Dattatreya (Avadhut Gita) dit que tout cela n’est que bavardage. Mais comme nous aimons nos bavardages !

Réponse : Oui, toutes nos questions, réponses et commentaires sont faits de mots par nature. Personne ne tentera de boire le mot « eau », mais lorsqu’il s’agit d’évoquer CECI il est parfois oublié que les mots ne sont que de simples symboles. En tant que tels ils pointent EN DIRECTION DE, mais ne peuvent jamais contenir CELA qui contient les mots. Ceci dit, j’aime beaucoup les paroles d’Ashtavakra et de Dattatreya.

Alors des mots encore :

Ce que j’ai dit n’est pas tant que les émotions n’ont rien à voir avec ce vers quoi nous pointons ici, mais que des méthodes pour travailler sur les émotions ont très peu ou rien du tout à voir avec ; que ces méthodes reviennent à à travailler sur la personne au lieu de voir à travers la personne.

En fin de compte, il n’est que CECI qui ne peut être saisi en mots ; Cela simplement est/n’est pas — incluant personnages apparents et émotions. Si les mots n’ont aucun sens, on peut toujours remarquer l’espace entre eux, ou l’arrière-plan sur lequel ils s’inscrivent.

Réponse de l’intervenant : Eh bien, Il y a peut-être des réponses après tout — la vôtre était excellente et je vous en remercie. En fait, elles sont et ne sont pas — tout est au mieux dans le meilleur des mondes !

J’aime cette idée de voir « à travers » cette personne que généralement je pense que je suis — en fait que je pense « toujours » que je suis dès que je pense. Il semble que je ne puisse voir « au travers » que lorsque que je cesse de penser. CESSER DE PENSER ! C’est comme l’espace entre deux mots ou l’espace entre inhalation et expiration.

Je Suis
« Je suis le support de l’univers, le père, la mère et le grand-père. Je suis l’objet du savoir, la syllabe sacrée OM et les Védas. Je suis le but, le support, le Seigneur, le témoin, la demeure, le refuge, l’ami, l’origine, la dissolution, la fondation, le substrat et l’ immuable semence ».

La Bhagavad-Gita traduite par Dr. Ramanada Prasad.