vendredi 29 septembre 2017

• Ce "moi séparé" n'a pas d'existence réelle - Daniel Morin

En redonnant de l’importance au point de départ, ce qui est, et pas ce qui devrait être à la place, Daniel Morin opère un renversement de perspective. Il nous propose de partir tout de suite de l’inconditionnel, de la non discussion à ce qui est déjà là. 
Cette vision inversée de celle qui est généralement proposée nécessite qu’au lieu de partir d’un moi qui voudrait s’améliorer, nous partions de l’évidence que nous sommes  déjà relié au Tout, que rien n’est séparé et que tout se passe en même temps.
L’être humain n’a qu’un seul problème apparent, vouloir autre chose à la place de ce qui est déjà là. Ce qu’on appelle la pratique va consister à voir cette méprise. Chaque fois qu’une personne veut autre chose à la place de ce qui est – ce qui est absolument impossible – cela renforce l’illusion d’un moi fantôme se croyant autonome, ce qui entretient un sentiment de séparation et une grande espérance pour le futur. Le plus important, c’est de mettre en cause l’illusion d’être un moi séparé, un moi qui se croit possesseur de lui-même. Tout le reste en découle naturellement.  

La perspective de Daniel Morin est compatible avec toutes les traditions, que les gens soient athées, catholiques, bouddhistes ou autres. Elle invite à une tranquillité de base inconditionnelle, co-existante avec les conditions impermanentes de  la vie ordinaire. « Voir que la séparation est une illusion ne demande pas de temps. Seule l’évidence peut nous ramener au Mystère et à l’humilité. Rien n’est au-dessus du fait d’être soi-même, c’est-à-dire être un avec ».

Extrait publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias-L'Originel :

Daniel : Au fil de nos rencontres, je me suis aperçu qu’il y a une méprise, une confusion, car nous ne parlons pas du même moi. Quand vous parlez de moi, je sais que vous parlez d’un moi séparé personnel qui veut s’améliorer, aller mieux, qui aurait sa volonté, son libre arbitre, son histoire, etc., celui de la carte d’identité. Alors que je parle d’un moi référence de forme, un moi lieu-dit de conscience, qui n’implique pas le sens de la séparation. Il y a donc apparemment deux sortes de moi. Donc chaque fois qu’on emploiera moi, est-ce qu’on parlera de la même chose ? C’est important de clarifier ce point. 
Le seul point important que je souhaite éclairer, c’est que ce moi séparé dont on parle souvent n’a pas d’existence réelle, ce qui implique que la séparation n’existe pas. Il n’existe pas une seule chose qui ne touche pas à une autre chose et qui n’est pas assujettie par cette chose. Rien n’est séparé. C’est uniquement le mode de la pensée habituelle qui semble séparer les choses.

Question : Le moi n’est qu’une apparence. Est-ce que l’éveil n’est pas simplement réaliser cela ?

Daniel : Je prends le mot éveil au premier degré : ne pas dormir, être pleinement conscient. On parle aussi de réalisation, dans le sens : as-tu bien réalisé que… ? Donc oui, c’est cela.

Q : Cette réalisation se fait-elle graduellement ?

D : Je te propose d’inverser le processus, de partir tout de suite de l’inconditionnel, de la non discussion, de l’absence de moi qui discute. L’amélioration éventuelle se fera d’elle-même. Ce n’est pas quand ta petite personne se sera améliorée dans le temps qu’enfin tu arriveras à comprendre quelque chose ! 
Puisque cette position juste ne demande pas de temps, il n’y a pas de progression. C’est très important, mais ça n’intéresse pas celui qui part de l’entité séparée et qui veut s’améliorer. Dès qu’on parle de progression, on dévalorise la qualité d’ici et maintenant, et on sous entend qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans la vie présente !
Quand tu t’identifies à une entité séparée, tu crois qu’avec de l’entrainement, tu arriveras à un état spécial personnel. Cherches-tu quelque chose de conditionnel ou d’inconditionnel ? En modifiant le conditionné, on n’arrivera jamais à l’inconditionnel. Vouloir s’améliorer dans le temps relève du conditionnel, du relatif, mais toute amélioration restera toujours dans le domaine de l’impermanence. Le Tout et la partie sont inséparables et de même nature.
Bien sûr que pour s’améliorer dans tel ou tel domaine relatif, il faut du temps. Si je suis un peu raide et que je veux devenir plus souple, il va falloir du temps. Mais je ne parle pas de ça ! Je parle de la relation à ce qui est déjà là ! 
La non-discussion n’a pas pour but que le moi séparé obtienne un bénéfice ! C’est simplement la vision que ce qui est, est toujours l’expression de la Totalité, de l’inconnaissable, que ça me plaise ou non. 
La vision de la non séparation, c’est quelque chose d’incroyable. Tout cela n’intéresse pas grand monde, car c’est repris par le personnage qui se demande : Mais qu’est-ce que je peux faire de tout ça ? Hélas, rien pour celui qui veut en faire quelque chose. Bien sûr, cela fait partie intégrante de l’apparence de ce qui est.

Q : Est-ce que c’est difficile d’avoir cette vision ?

D : Non ! Regarde, là, tu vas subtilement utiliser le temps pour éviter l’évidence. Voilà ce que je te propose : tout au long de cette journée, tu ne me parleras pas de ton passé, tu enlèveras tous les si, et tous les quand, ok ? Nous verrons alors quel est ton problème… L’évidence est toujours fraiche ! La non séparation est évidente : nomme-moi une chose qui ne soit pas influencée par autre chose, et qui ne touche pas autre chose. Ça remet en cause le sens de la séparation, sans passer par les cogitations !

Question : Daniel, n’est-ce pas une erreur de vouloir progresser vers un certain but ?

Daniel : Ce n’est pas une erreur puisque c’est, mais ça ne mène à rien d’autre que ce qui est déjà là et sur lequel tu n’as absolument aucun pouvoir. Qui veut progresser ? Et pour quoi ? La nature même du relatif, c’est le changement, c’est-à-dire qu’une chose n’est déjà plus ce qu’elle était. L’idée de progression implique un changement linéaire vers une amélioration définie, un but à atteindre. Mon propos n’est pas d’atteindre un but plus tard, mais de constater qu’il n’y a rien d’autre que ce qui est déjà là, ce qui enlève toute attente futuriste d’une délivrance personnelle. Il n’y a pas d’autre but que de constater que ce qui est là est l’exacte expression de la Totalité. 

Q : Mais le futur existe, du point de vue de la physique.

D : Le futur, c’est une pensée du présent, même du point de vue de la physique. Je te défie de vivre dans le passé ou de vivre dans le futur. Tu ne peux pas avoir de problème en-dehors du problème présent. Quand les gens disent qu’ils ont un problème dans leur passé, ils parlent d’un passé mémorisé qui les influence toujours au présent. 

Q : Là, tu parles au niveau de l’être, de l’absolu. Mais dans le relatif, il y a du temps ?

D : Bien sûr, ne serait-ce que pour pouvoir prendre le train ! 

Q : Mais ça sert à quoi alors de savoir qu’il n’y a pas de temps ?

D : Je ne vous dis pas que cela sert à quelque chose ou à quelqu’un, je vous dis simplement que vous êtes toujours en relation, maintenant, et que votre seul problème, c’est de vouloir autre chose à la place de ce qui a été, de ce qui est, ou encore plus tordu, de vouloir une certitude sur le plus tard. 

Q : Si j’étais convaincu que tout se passe en même temps, je ne voudrais pas autre chose à la place de ce qui est ?

D : Bien sûr, tu vivrais dans ce qui est. Ton seul problème, c’est le si que tu mets devant ta phrase ! Ce qui est là ne peut pas être autrement que ce que tu vois, conçois, etc. Ce n’est pas possible.

Q : Je le comprends, mais il y a quelque chose en moi qui ne change pas.

D : Ce n’est pas que ça ne change pas, c’est que la demande d’impossibilité se répète d’une façon mécanique et parfois inconsciente. Au nom de quoi devrais-tu réaliser ton idéal personnel ? Tel que tu es, tu fais partie du programme. Un orchestre n’est pas fait que de premiers violons !  

Q : Il y a des écrits, des enseignements qui parlent d’une complétude…

D : Tu voudrais une complétude personnelle qui dure, mais dans le monde manifesté, qu’est-ce qui est permanent ? Y a-t-il une chose qui ne change pas dans le monde tel qu’on le vit ? Personne ne peut saisir l’expérience du permanent. Personne. Il peut y avoir une compréhension intuitive du permanent mais pas de saisie du permanent. 
La complétude dont parlent les enseignements n’a rien à voir avec le quantitatif, ce n’est pas l’inverse du manque, puisqu’on ne peut rien lui enlever, rien lui rajouter. Cette complétude, c’est l’absence du questionneur, l’absence de celui qui veut la complétude, ce qui va générer de ce fait un sentiment stable tout à fait compatible avec le monde de l’impermanence, du mouvement, du manque. 
On ne peut expérimenter que l’impermanence ou le relatif, qui est une vision partielle de l’absolu mais de même nature. En tant qu’individu, il n’y a pas d’autre but possible que celui de vivre le relatif à 100%, tel qu’il apparaît. 

Q : Donc vivre le relatif à 100%, ça veut dire que rien n’est jamais construit, il n’y a pas de fixation.

D : Absolument, tout est changement, c’est l’impermanence.

Q : Est-ce que ça exige une attention totale ?

D : Non, une détente ! Tant que ça reste une compréhension intellectuelle, ça ne te sauvera pas. Il faut que tu vives et revives l’exercice de l’évidence pour être convaincu. Il faut que ça devienne une certitude. Seule la certitude libère du doute.

==> Voir aussi cette page de mon ami Eric : Phytospiritualité