Marc Marciszewer est un voyageur qui a parcouru de nombreux pays (Inde, Pakistan, Afghanistan...) pour trouver le chemin jusqu'à sa propre demeure : le Soi ultime. Les histoires relatées ici se déroulent entre 1974 et 1995, mais leur substance est atemporelle. Marc est un baroudeur de terres et de textes, de pays et de rencontres, de mœurs et de maîtres. Son texte nous invite aussi à un voyage vers notre propre Être intérieur. Ce sont des récits, des nouvelles, des réflexions, des méditations guidées, des histoires... On y rencontre certaines figures de la sagesse non duelle et de la poésie (entre autres, Jean Klein, Nisargadatta Maharaj, Neem Karoli Baba, Krishna Menon Atmananda, UG Krishnamurti, Arun Kolatkar).
Selon le niveau de lecture, on peut penser que l'Inde est ici au cœur du texte, ou bien le narrateur et ses rencontres ; on peut aussi y voir l'allégorie de la joie et de la douleur d'une recherche spirituelle buissonnière et du grand soulagement qui survient lorsque ce qui était depuis toujours évident se révèle enfin, mettant un terme à la fausse identification avec le personnage qu'on pensait être.
Ce livre célèbre une spiritualité ordinaire et quotidienne qui emprunte tous les chemins illusoires qui se présentent avant de réaliser qu'il ne peut y avoir aucun chemin (vers le Soi) parce que le Soi est toujours déjà là.
Marc est né à Paris dans les années 1950. Il embrasse la contre-culture beatnik à travers sa poésie, sa spiritualité et son mode de vie, avant de partir longuement au Maroc et en Israël, puis de passer dix années essentiellement en Inde, entre pratique assidue du Vipassana et l'enseignement de Krishnamurti. De retour en France, il découvre l'enseignement de Jean Klein, il suit des études de philosophie et de sciences de l'éducation. Pendant trente ans, il a également formé des sophrologues à son approche non duelle qu'il a baptisée " sophrologie de l'écoute ". Il a déjà publié Vivre en éveil, le processus transformateur (Alzieu éditeur, 1998), Le corps est conscience : aux sources de la sophrologie non duelle (Accarias-L'Originel, 2018), Maha Satipatthana - Se fondre dans l'être (Lanore, 2019) et a traduit plusieurs livres de Ramesh Balsekar ou de Tim Freke.
© Extraits publiés avec l'aimable accord des Éditions Almora :
Marc n’était pas venu en Inde pour se défoncer, même si c’est ce qu’il faisait, en apparence du moins. Il ne rencontrait que des défoncés, et quand par hasard il tombait sur un adepte du yoga ou de la méditation, il le trouvait souvent tellement ennuyeux et creux qu’il retournait à ses compagnons de défonce. Eux au moins étaient vivants et non conformistes. Il avait beau se défoncer, il considérait cela comme une aventure spirituelle (et c’était bien avant que le
tantrisme ne devienne populaire, à la mode… et totalement dévoyé), et d’ailleurs, il lisait des livres spirituels, notamment la Bhagavad Gîta. Il en avait déniché un exemplaire de poche, en anglais, qu’il traînait toujours avec lui. Et bien sûr, il lisait et relisait le Siddharta de Hermann Hesse, son livre préféré depuis ses douze ans. Il ne le lisait plus du tout comme la première fois, désormais, il avait une petite expérience de vie qui conférait d’autres sens à ce merveilleux petit livre initiatique.
Un jour, il en eut vraiment assez de la défonce, ça ne servait plus à rien en tant que véhicule spirituel. Il en avait fait le tour, s’il continuait à présent, ce serait uniquement pour être dans un état de conscience altérée ou un autre, et il risquait de devenir accro, ce qu’il ne voulait pas du tout.
Stop, se dit-il. Il prit son sac, sa guitare, et il partit sans un mot à personne, vers la gare routière, où il sauta dans le premier bus qui partait, sans se soucier d’où il allait. Magie de l’Inde des seventies.
Quand on s’en remet à la vie, à la Vie plutôt, on n’est jamais déçu !
Le bus roula toute la nuit, et au petit matin, il s’arrêta au cœur d’un village. Marc décida de descendre là, et de
poursuivre à pied… ou de rester un moment, il verrait bien. Il était ouvert à tout, sauf à la défonce et à la délinquance.
Le village était très paisible, de jolies petites maisons blanches, quelques huttes en paille, des animaux et des humains qui semblaient insouciants tout en vaquant à leurs activités quotidiennes. Marc se rendit dans une tchaï-shop au bord du fleuve, et il y resta longtemps, observant toutes les scènes et les paysages. Il n’avait plus du tout l’impression d’être au xxe siècle, mais dans une sorte d’atemporalité vivante. Les femmes étaient belles et joyeuses, elles se lançaient des blagues qui finissaient en rires, alors qu’elles marchaient en groupes ou qu’elles lavaient le linge dans l’eau du fleuve. Les hommes avaient belle allure dans leurs vêtements blancs qui étincelaient sous le soleil, et les vieillards étaient assis sous un grand arbre, soit en silence les yeux fermés, soit en bavardant entre eux. À côté du grand arbre, il y avait un petit temple consacré à Shiva, et quelques prêtres et des renonçants y étaient rassemblés. Des paons braillaient en faisant la roue, des singes sautaient d’un toit à l’autre, des vaches se promenaient très lentement parmi les humains, des chiens jappaient, et Marc aperçut dans la rigole près de la Tchaï-shop un petit serpent qui glissait sans sembler se soucier des humains et des animaux.
Soudain, Marc sentit ses oreilles bourdonner très fort, ses yeux ne parvenaient plus à accommoder, il pensa qu’il était en train de s’évanouir, ça lui était déjà arrivé plusieurs fois depuis l’enfance, mais au lieu de cela, il disparut littéralement de la scène, et en une micro seconde, la totalité de son environnement se déployait en lui, mieux, ou pire : la totalité était lui-même. Il n’y avait plus la moindre séparation entre lui et le reste, et ses sens paraissaient décuplés : les sons, les odeurs, les saveurs, le toucher, la vision, tout était d’une intensité encore plus grande que sous acide…
sa pensée s’immobilisa, et le sentiment d’être Marc s’envola totalement.
Il ne sait combien de temps cela dura, mais quand il reprit conscience, des Indiens s’occupaient de lui, une femme lui faisait boire de l’eau, un homme lui humidifiait le front avec un linge mouillé, et un vieillard à grande barbe blanche et au regard très doux lui chuchotait des mots qu’il ne comprenait pas, sauf Moksha et Nirvana.
Il s’était donc bien évanoui, se dit-il. Mais il réalisa que quelque chose avait changé dans sa perception : il n’était plus au centre, en tant que Marc, mais Marc lui-même faisait partie de ce regard panoramique qu’il découvrait. C’était comme s’il regardait depuis l’arrière de son crâne, et il n’avait même plus besoin des yeux, en apparence. Les couleurs étaient vives et intenses, et il ne savait plus qui il était, ou ce qu’il était : Marc était vu comme un personnage de fiction ou de rêve, au même titre que dans les rêves. Mais il ne rêvait pas, il était bien réveillé. Pourtant, personne ne semblait remarquer son état bizarre, et il pouvait agir comme si de rien n’était… si ce n’est qu’il avait l’impression de ne plus être là en tant que Marc.