mardi 18 juillet 2017

• Installer la conscience dans la Conscience elle-même - Richard Boyer


Au lieu de vivre, nous pensons à la vie. Notre attention se trouve presque continuellement hypnotisée par les points de vue que nous entretenons sur la réalité. Nous identifions ce que nous sommes essentiellement aux pensées et images que nous entretenons sur nous.
Lorsque nous arrêtons notre course effrénée vers l’avant, nous revenons à l’essence et à l’immédiateté de notre expérience humaine.
Selon le shivaïsme tantrique non-duel, chaque perception sensorielle peut devenir l’occasion d’une reconnaissance spontanée de notre vraie nature et d’une vague de joie pure, si nous l’abordons consciemment : tel est le yoga des sens.
L’univers onirique et le sommeil profond se révèlent être également, pour le yogi, des domaines d’exploration consciente extraordinaire, où les rêves lucides, les grands songes transformateurs et les absorptions en notre lumière inhérente (samadhi), fleurissent.
Dans ce livre l’auteur partage, avec un bel enthousiasme communicatif, sa propre expérience ainsi que des pratiques spécifiques concrètes, de véritables « Yoga », destinées à réaliser notre nature profonde, à percevoir intuitivement et directement la réalité et à laisser s’épanouir la conscience à travers les trois états naturels de notre expérience humaine : la veille, le rêve et le sommeil profond.
L’Être – ce que nous sommes vraiment par delà toutes les apparences – est la Conscience (la Lumière consciente selon le Shivaïsme) qui émane, éclaire et perçoit toutes les formes dans un radieux maintenant, un éternel libre présent.

« On trouvera dans ce livre une science profonde, puisée sur le sol de l’Inde, et qui est plus que jamais nécessaire aujourd’hui pour nourrir les expériences spirituelles de nos contemporains.  » José Le Roy (extrait de la préface)

© Extrait publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias-L'Originel :

Le reflux de Māyā
Asanga (4ème siècle), l’un des fondateurs de l’école Yogacara dans le bouddhisme, affirme la réalité exclusive de la conscience ; d’une manière limpide, il nous suggère :
« La conscience qui se déploie dans la naissance est nouée et entravée par la vue du soi (la personnalité), de là sa tension agitée et impuissante. On y remédie en stabilisant la conscience dans l’intériorité, ce qui revient à installer la conscience dans la Conscience elle-même ».

Bien, mais comment procéder ?
Si notre conscience perd sa lumière immédiate et sa transparence illimitée en se différenciant, se limitant, se contractant dans la conscience mentale et les perceptions de la personnalité, il suffit donc d’inverser le courant en remontant à la source de toutes les perceptions et de toutes les pensées : la conscience elle-même.
Plonger dans l’intériorité véritable qui éclaire la totalité du processus. Nous y parvenons en retournant notre attention, notre conscience perceptive, vers sa propre source. Cette source n’est pas le moi mental identifié à ses pensées, ses émotions, son corps ; elle est la conscience elle-même.
La lumière consciente qui éclaire à chaque instant la totalité de l’expérience immédiate et sensible, car ne sommes-nous pas conscients de nos perceptions et des émotions qu’elles suscitent ?
La lumière consciente qui éclaire également chacune de nos pensées – car ne sommes-nous pas conscients du processus de la pensée lorsque nous sommes attentifs - ?
Ce reflux de l’activité perceptive vers la Source Conscience donne ainsi le jour à différentes voies, que nous appelons « Yoga des Sens », Yoga que nous décrirons plus précisément dans les chapitres qui suivent.

Plongés dans la confusion, nous identifions « cela », qui perçoit, à notre moi contracté, la personnalité. Nous le faisons automatiquement, et sans nous en rendre compte nous amputons le déploiement sensoriel de sa véritable source : la Conscience.
Par manque d’attention et suite à une investigation superficielle de notre expérience immédiate, nous déconnectons l’acte perceptif de son origine et lui attribuons un centre réflecteur limité (la personnalité), réduit aux instruments sensoriels, aux différents organes de perception et d’action et à la conscience mentale qui s’en attribue alors, abusivement, la paternité.

Le grand tour de magie s’accomplit : le règne de la séparation et de la dualité se surimpose à l’ordre divin originel.
Māyā, l’ensorceleuse cosmique, se réjouit. Pour plaire à son divin époux – Śiva – et pour affirmer Sa liberté fondamentale, elle accomplit l’impossible : le sujet un et souverain s’identifie à la personnalité limitée qui se croit alors le centre terminal de la perception.

La lumière consciente, « toujours déjà là » pour reprendre la belle expression du philosophe Martin Heidegger, s’avère être le fond réellement conscient qui sous-tend l’intégralité des modalités de notre expérience humaine et de l’apparence universelle.
Ainsi, lorsque par un acte d’attention détendu nous laissons s’inverser le dynamisme de nos perceptions vers leur source véritable, celles-ci se réfléchissent naturellement dans le miroir pur et parfait de la conscience.
Les perceptions elles-mêmes se déploient alors librement et clairement, elles ne sont plus contaminées par le réflecteur mental limité et frappé du sceau de la dualité, de la séparation.
Ce qui est perçu ne quitte pas sa propre origine – la lumière consciente – et s’y épanouit librement, merveilleusement, spontanément, dans un présent théophanique hors du temps et de l’espace habituels. Les différentes perceptions sensorielles qui d’ordinaire fonctionnent sur le mode mental de façon duelle, fragmentée et génératrice de séparation « sujet / objet », se réintègrent et s’unifient en une perception désobstruée, directe, intuitive, englobant les différents sens.
Un sens originel, une « holoperception », un toucher divin incluant dans une seule prise de conscience la conscience elle-même et l’apparence, comme un Tout parfait et un.
Ce sens originel est le but secret recherché par les artistes, les poètes et les philosophes. Il s’avère également l’espace improbable et grandiose, impensable et improuvable où s’épanouissent librement le ravissement extatique, l’adoration brûlante et la paix insondable des mystiques de tous les temps.

Le maître zen Rinzaï en témoigne dans un de ses textes :

« L’esprit est sans forme et compénètre tout dans les dix directions.
Dans l’œil, on l’appelle la vue,
Dans l’oreille, l’ouïe,
Dans le nez, l’olfaction,
Dans la bouche, la conversation,
Dans les mains, la préhension,
Dans les pieds, la marche et la course.
Ce n’est foncièrement qu’un seul pur rayonnement qui, divisé,
se répartit en six sphères des sens harmonieusement unies.
Puisque l’esprit est non existant,
vous êtes libres où que vous alliez ».

Le sens originel est donc, en quelque sorte, la perception que la Totalité a d’elle-même, spontanément, dans le moment présent ; il réduit les formes et apparences innombrables en une Apparence unique et unifiée.

Il constitue l’essence la plus pure de la perception spirituelle.
Ainsi l’Apparence se déploie-t-elle en la Source. Splendeur, elle y flamboie, totalement dénudée, totalement unifiée en un jeu d’ondes pures, de pulsations dynamiques, de vibrations incluant l’essence de tous les phénomènes.
Cette Apparence est à jamais libre du temps et de l’espace. Elle s’apparaît à elle-même dans un éternel, ultime et théophanique présent, à travers une prise de conscience fulgurante, souveraine et extatique.