vendredi 24 mai 2013

• Sans frontières ni contours - Alain Brunache


Habituellement je me prends pour quelqu'un.

Ma représentation de moi-même affirme que je suis une personne,
Indépendante,
Autonome, 
Distincte de mon environnement.

Quand je sors de mon agitation coutumière…
Quand je me pose tranquillement ici…
Quand ma représentation habituelle de moi-même et de mon environnement est lâchée…
Et que je regarde de façon immédiate et expérientielle ce que je suis,
Que vois-je ?

Mon regard est tourné vers l'intérieur et une peur peut se lever…

Un espace vide et vivant apparaît ! 
Ce « vide » est « moi ».
Je ne suis pas la personne que je crois être.
Ce « vide/moi » que je suis a deux yeux ouverts sur lui-même,
Et ouverts sur tout un monde de sensations, pensées et images en perpétuels mouvements.

A cet endroit, qui ne distingue ni intérieur ni extérieur,
« Moi » perd sa texture car « Je Suis » 
Sans frontières ni contours.

Visiter le site L'Aventure Non-Duelle d'Alain Brunache, ainsi que son blog.

jeudi 23 mai 2013

• "Je" était vacant - Michel Anvers




…Cette dernière prise de conscience met un terme au questionnement. La recherche, le désir d'universalité n'était rien qu'une ultime tentative pour trouver, toujours "plus loin", "ailleurs", une place pour "moi".
Où est "moi" ? L'abandon de cette quête met un terme à tout questionnement. Plus précisément, le questionnement va se prolonger pendant quelques jours encore, aller et venir dans mon esprit, puis il disparaîtra, il s'éteindra de lui-même.
Je vais devoir partir en famille, pour des vacances programmées depuis plusieurs mois. Et ces vacances seront prétexte à... vacance.
Notre séjour, pourtant, est loin de s'être passé comme nous l'aurions souhaité. La maison réservée s'est avérée ressembler plus à une porcherie qu'au confortable lieu de villégiature annoncé, et nous avons dû prendre des décisions désagréables. Mais, quoi que j'aie eu à faire, quelle que soit la manière avec laquelle cet individu s'est comporté, aucune critique ne s'est plus élevée en moi au sujet de ces comportements. L'agitation a semblé se dérouler au sein d'un espace non affecté par les aléas de l'existence et par les propres comportements de cet individu.
"Je" était vacant, n'était du moins pas intensément présent, pourtant des réflexions se développaient, des décisions se prenaient, des actes étaient posés qui semblaient nécessiter, au contraire, une grande concentration. "Je" était bien là, mais pourtant pas là. Pas là, mais pourtant là.
Et si tout se passait constamment ainsi ? Si tout arrivait de soi-même, spontanément ? Non seulement en chacun des instants déjà vécus ou à venir, mais également – et avant tout – en l'instant présent, cet instant en lequel la présence de "Je" semble évidente ?
C'est alors que le "flash" "s'est produit" – si je puis dire, car rien ne s'est effectivement produit, même pas une pensée ou une réflexion. Un sursaut, pas même une perception : la réalité fut "aperçue" un bref instant – ou bien n'était-ce pas même en un instant, ni en un ailleurs, et là, les mots manquent ou sont superflus -, suffisant pour que tout bascule. Un simple "aperçu" qui n'a rien apporté de plus à la compréhension mais sans lequel celle-ci serait demeurée purement intellectuelle, aurait généré – comme les compréhensions partielles précédentes - une réactivation de la quête, un nouveau questionnement. Même quand "Je" est là, il n'est pas là. Il n'y a pas lieu de désirer la disparition de "Je" : il n'existe tout simplement pas !
Après ce "flash, tout a continué exactement comme ça se serait passé avant, mais sans séparation, sans recul, sans observation, sans "moi", dans un complet "laisser-faire". La quête était terminée – et la vie se poursuivait. Tout était à ce qui se passait – rien n'était ailleurs –, mais "je" n'y étais pas. Il y avait simultanément présence absolue et absence totale de "moi".
Le rôle nécessaire s'est joué sans aucune réserve, sans résistance ni aucun questionnement. Rien ne s'est opposé à ce que cet individu joue ce rôle particulier, rien ne s'est opposé à la manipulation dont il était l'objet et aucune question ne s'est posée quant à l'origine de cette manipulation. Pas de résistance à l'apparence que prend temporairement cet individu, pas de "moi" pour dire : "J'existe bel et bien, mais je ne suis pas celui-ci !". Aucune résistance pour sous-entendre l'existence d'un "moi" qui résiste.
Lorsque nous sommes rentrés, je n'ai pas même songé à contacter Samuel, vraisemblablement parce que je n'aurais su quoi lui dire. Ce n'est qu'après un certain temps que nous avons échangé quelques mots, au détour d'une conversation des plus banales, qui ont suffi pour que chacun sache qu'un cap avait été franchi en l'un comme en l'autre – et non par l'un et par l'autre. Je ne connais toujours pas aujourd'hui les détails de ce qui a été vécu en Samuel, et il n'en sait pas plus sur ce qui a été vécu en moi, à cette période.
Aujourd'hui encore, il m'est difficile, vous le constatez, de m'exprimer très clairement au sujet de cette transformation qui n'en est pas une. Peut-être, justement, parce qu'elle n'en est pas une. L'individu n'a pas changé, il est même "plus individu qu'avant", si je puis dire, parce qu'il n'y a plus de question au sujet de ce qu'il est, plus de "surveillance" de ce qu'il fait, seulement un constat instantané.
Il y a bien vision de ce qui se passe en lui, mais vision instantanée. Ce qui ne signifie pas que la vision différée, l'idée d'un "moi" a disparu. Cette pensée est parfois présente, comme avant, mais elle-même est "vue", instantanément, comme un élément de l'instant, sans plus. La vision instantanée englobe la pseudo vision différée, pourrais-je dire. Ce qui a disparu, ce n'est pas l'idée d'un "moi", qui va et vient, mais la croyance en le fait que "moi" est plus qu'une pensée, cette pensée qui permet de témoigner.

Pour contacter Michel : michelanvers@aol.fr

lundi 6 mai 2013

• La voie ordinaire - Aquila Baltar


Ce texte provient d'une longue et intense quête spirituelle.

Quand je terminais ma médecine en 1994, après une spé­cialisation et une tentation hospitalière, mon intérêt s’est concentré sur la vie de l’Esprit. Après l’étude de la médecine du corps, celle de l’âme diraient les monothéistes. Cette quête s’est déroulée en assumant le rôle de père de famille tout en exerçant la médecine libérale.
J’ai parcouru, par le livre, les rencontres, la pratique, par le corps, le cœur et l’esprit, la plupart des traditions spirituelles du monde. Je n’ai jamais consacré moins de trois ans à cha­cune d’elles, et j’en pratiquais souvent plusieurs pendant la même période. Certaines me visitaient par cycles de plusieurs années, comme si de nouvelles expériences, ailleurs, me per­mettaient de revenir vers l’une d’entre elles plus profondé­ment.
Le processus était étrange, et j’avais plus l’impression d’être conquis puis d’être quitté par chaque tradition quand tout avait été fait, dit, quand tout avait été vécu. A chaque fois je partais en bon terme pour un autre voyage.
J’apprendrai plus tard que ce dynamisme de connaître est inhérent à ce qu’on appelle l’Amour. Je communiais, je méta­bolisais, et chacune de ces traditions me faisait le cadeau de construire une partie de moi-même, comme une subtile nour­riture, une offrande.
Mais je ne pouvais être résolu par aucune en particulier et le tout n’était pas la somme des parties. Ce voyage à travers les grandes traditions du monde, a fait de moi un spirituel multi­lingue en quelque sorte.
Sans comparaison mais par analogie, Le Bouddha historique lui-même n’avait-il pas pratiqué toutes les traditions acces­sibles du Nord de l’Inde ? L’un des vœux du Bodhisattva dans la tradition bouddhiste mahayana ne dit-il pas : «Aussi nom­breux soient les Dharmas, je fais le vœu de les connaître tous» ? Cette approche «multi-spirituelle» peut paraître incongrue de premier abord, mais elle ne paraît pas isolée, ni sans fon­dement. Ce vœu n’avait été pour moi qu’un élan spontané et je me reconnaissais en lui bien après que ma quête ait commencé.
Un jour vient où le parcours se termine, parcours plus ou moins long, plus ou moins complet pour chacun, et apparaît alors un autre processus où nous sommes rendus à la vie dans sa plus simple expression : le quotidien.
D’autres, rares, ont déjà vécu et on déjà parlé de ce pro­cessus, comme une révolution qui marque une rupture avec leurs héritages, leurs formations traditionnelles. L’exemple de Krishnamurti est le plus éloquent de ce point de vue. Les maîtres actuels de la non dualité, très en vogue, sont presque tous dans ce cas de figure d’une formation initiale tradition­nelle. Les maîtres zens sont très attachés à ce retour à la vie quotidienne. «Après l’extase, la lessive» titre l’un des ouvrages d’une autre tradition.
La plupart de ces maîtres ont pratiqué intensément une seule voie et, au bout du chemin, ils ont fait ce saut pour un autre paradigme qui est de se libérer du radeau selon la formule du Bouddha.
Ils ont alors témoigné de cette expérience, mais pour la plupart, sans la lier avec leur propre histoire, comme s’ils étaient des mutants de génération spontanée. Parfois par enthou­siasme, parfois par orgueil, ils oubliaient ce radeau encom­brant sous prétexte qu’ils n’en avaient plus besoin. On se gar­dait bien de livrer ce cheminement personnel alors qu’il était question de témoigner de l’insuffisance des chemins. L’icône du maître n’était ainsi pas entachée d’immaturité, même au passé.
Il n’est pas facile, quand on a longtemps voyagé à la recherche du Graal, de se souvenir du chemin, d’autant plus lorsque on est transformé par sa découverte, d’autant plus encore si les circonstances nous amènent à faire figure de maître patenté et surtout original.
Quelques uns, encore plus rares, et dont nous ne connais­sons pas toute l’histoire personnelle, semblent avoir eu le goût de ce retour à l’ordinaire sans approche traditionnelle. Mais le corollaire est qu’ils n’ont pas eu les mots pour le dire, et encore moins la possibilité de replacer cette expérience dans la totalité. C’est ce que l’une de ces traditions, par la bouche de Buddhaghosa, appellerait la connaissance du fruit, sans la connaissance du chemin qui y conduit.
Ce livre en prose rimée fait sans cesse des allers-retours entre cette voie ordinaire du quotidien à laquelle nous ramènent tous les vrais maîtres spirituels et cet univers traditionnel, si riche, que j’ai traversé.
Il faut bien comprendre que faire retour au quotidien n’est pas équivalent à ne jamais l’avoir quitté. Pour la plupart des hommes, il faut s’être éloigné d’abord, pour revenir et recon­naître alors, chacun, sa juste place dans l’univers, à l’image de la parabole du fils prodigue qui revient dans la maison de son père.
C’est aussi le sens profond du paradis dont nous nous sommes chassés nous même, partant pour la grande aventure de la conscience. C’est la richesse et l’intensité de la quête quinous permettent d’avoir un autre regard conscient sur le seul et unique monde qui nous est donné.
Les traditions sont abordées dans ce texte surtout par leurs limites, pour mieux inviter à ce saut dans l’ordinaire. Les pré­lèvements y sont faits au scalpel : ils sont précis, profonds, volontairement provocants et chaque pratiquant d’une tradition particulière saura les reconnaître quand il sera ques­tion de la sienne.
Les références et allusions à des points traditionnels précis figurent en bas de page, pour ceux qui ne sont pas familiers de l’une ou de l’autre des traditions évoquées.
La vision de ce texte va des traditions au quotidien et du quotidien aux traditions, comme une respiration. Le style est sans prétention et volontairement prosaïque.
L’absence de chapitre peut paraître inconfortable au lecteur. Mais n’est-ce pas de cet inconfort, qui reflète celui de la vie du mental, qu’il faut partir pour opérer incessamment ce mou­vement de retour à la tranquillité ? Cet inconfort n’est-il pas une condition pour que le fil conducteur du texte puisse être aussi découvert par le lecteur lui-même, par delà l’inconfort de sa propre vie ?
Ce phénomène de conversion du regard ne peut réussir que si le lecteur entreprend ses propres allers-retours.
Les textes spirituels traditionnels chantent le plus souvent leurs propres louanges de cette prétendue autre rive de l’Éveil, sans se mouiller et dans une langue étrangère souvent ardue. Ici, chaque pratiquant peut se laisser porter par le «passeur» qui l’emmène de l’autre côté du fleuve en venant le chercher là où il se trouve.
Celui qui, ici, se dit «passeur» n’a pas la prétention d’être totalement «passé». Quoi qu’il en soit, c’est à partir de l’expérience d’un nombre incalculable de ces «passages» en moi-même, que cette prose a jailli spontanément. La traversée est crue et sans compromis mais détendue et amicale, bien qu’il soit ici question de rien de moins que de la vie et de la mort.
Si cette vision déborde parfois les traditions spirituelles, c’est parce que je crois que l’esprit n’est pas fait pour rester parqué aux portes des cités. Il n’y a pas une vie spirituelle et une vie profane mais Une Vie. L’homme serait bien inspiré de retrou­ver cette unité.
L’évolution du monde actuel le prouve.
Ce livre se tient donc sur ce point d’équilibre et de rupture entre les traditions spirituelles et ce qu’on appelle l’Éveil, qui n’est en fait qu’une activité éveillée.
Il est un appel au grand saut pour ceux qui ont déjà une seule expérience traditionnelle.
Il est un réconfort pour ceux qui n’ont que le quotidien pour aborder l’esprit, sans avoir la prétention d’accéder à ce qu’on appelle pompeusement la sagesse et qui n’est en fin de compte que la simplicité.
Pour les chercheurs de vérité rompus aux voyages tradition­nels, j’espère qu’ils trouveront dans ces lignes la joie de recon­naître leurs propres expériences. Mais aussi de la jouissance à ce que le parcours puisse trouver une ébauche d’ordre, sans compromis, dans le grand puzzle de la vie, cette vie qui, in fine, n’est que le voyage de l’Esprit.
Cette récapitulation est à faire par chacun, pour lui-même. Qu’il en témoigne alors, à l’exemple de ces pages.
Ce texte a aussi pour le lecteur l’intérêt d’une approche com­parée des traditions spirituelles du monde, avec la valeur de ne pas être le fruit de considérations intellectuelles seulement, mais le fruit d’une pratique réelle. Certains sauront y retrou­ver ce que Frithjof Schuon appelait dans un de ses ouvrages l’unité transcendante des religions et que René Guenon n’aurait pas démenti.
La voie ordinaire vient après la quête. Si on montre assez tôt et assez clairement que c’est la vanité et l’arrêt de cette même quête qui sont les points clés de la réalisation, certains esprits, plus perspicaces que ceux du passé et que le mien, en trouve­ront plus tôt la porte.
Cette voie s’adresse aux «ordinaires», insérés dans la société, dans un monde de plus en plus difficile et désabusé. Ces esprits pourront ainsi trouver dans leur quotidien ce que d’autres sont allés chercher bien loin.
Certains de ces ordinaires, comme je le fus moi-même, se sentiront peut-être attirés vers l’une ou plusieurs de ces voies traditionnelles. Je les engage vivement à suivre cet élan. En effet, on ne peut faire mieux que d’acquérir sa propre expé­rience en fonction du stade où on se trouve sur le chemin.
Ils oublieront bien vite le grand tableau qui se dresse dans ce texte pour se consacrer à une de ses parties. Mais un jour prochain, dans cette vie ou dans une autre, puisse la graine de la libération ainsi plantée porter ses fruits.
Ami lecteur, ce livre est un témoignage.


1.     Tu l’as compris ami lecteur,
Je ne suis qu’un humble voyageur,
Qui ne peut étancher ta soif de rêveur.


2.     Comme toi j’ai rêvé, jusqu’à l’incandescence je suis allé,
Quand tes draps de larmes et de jouissances seront mouillés,
Tu pourras alors te réveiller.


3.     Profite de ce monde qui t’est donné,
Explore-le dans son entier sans te fixer,
Ne te contente pas d’une moitié ou d’une impasse de clocher.

4.     Remercier par l’éloge serait mentir,
Le faire par la critique serait trahir,
Je n’ai plus l’immaturité d’aimer ou de haïr.

5.     Je ne témoignerai pas de ces contrées vivantes ou perdues,
Mais de ce que, grâce et malgré elles, je suis devenu,
Voici venu le temps de se mettre à nu.

6.     Chaque tradition est un remède qui devient un poison,
Les sirènes envoûtent par leurs incantations,
L’homme apprend la musique ou devient un mouton.

7. Le  titan est fils caché de la terre, 
L’orant adore le ciel et le tonnerre,
Écoute le témoignage de l’homme ordinaire.

8.    Boire et manger, se laver et s’habiller,
Se loger et s’insérer, se soigner et travailler,
Voilà l’excellence résumée.

9.    Que d’autre aller chercher, 
Puisque sans cela tu ne peux rien donner,
Puisque là, tous les jours, tu es ramené ?

10.  Quand tu seras en mesure de t’assumer,
D’autres tu pourras aider,
Chacune de ces activités est une voie tracée.

11.  Ainsi, par la quotidienneté limitée aux nécessités,
Viendra la tranquillité, mère de la vision et de l’équanimité,
Alors tu pourras résonner.

12.  Mais entre la précarité matérielle ou mentale et cette arri­vée,
Il te faudra rêver et voyager,
Dans toutes les contrées où le désir a poussé l’humanité.

13.  L’art qui tente de tout dire avec la palette des couleurs émotionnelles,
La politique qui tente de tout réglementer par délire provi­dentiel,
La religion qui tente de circonscrire l’invisible pour contrôler la vie spirituelle.

14.  Le progrès qui n’en est pas un quand il ne limite pas unexcès démentiel,
Le sport qui n’est pas beau quand il gagne plus qu’une victoire éventuelle,
L’humanisme aveugle ou corrompu qui labellise les investis­sements véniels.

15.  Les médias qui te vendent ta pâtée et dont l’influence est démesurée,
Tes idéaux et tes tabous totalement conditionnés,
Les mercantiles qui font la pluie et le beau temps en toute impunité.

16.  La science et la technique, dont l’opulence n’est qu’obésité,
Tes relations amicales, dont le grand nombre dénote ta pau­vreté,
La vie sociale, par l’intérêt agité au nom des grandes idées.

17.  Regarde les pyramides des rois de la cité,
Les flèches des cathédrales tirées vers les divinités,
Regarde le ciel étoilé et réalise la vanité !

18.  Ami, il n’est pas question ici de pessimisme ou de frustra­tion d’émasculé,
J’ai moi aussi souffert et joui, telle la croix dressée, tel Casa-nova l'aîné,
Mais la contemplation s’est installée, fruit de la tranquillité.

19.  Dans ce monde je suis inséré,
Et avec lui je tourne du mieux qu’on peut jouer,
Mais je peux quitter la scène en toute liberté.

20.  C’est le privilège d’avoir tenu de la vie tous les rôles,
Que de savoir qu’aucun n’est vraiment drôle,
Et qu’on ne joue plus quand on est au pôle.

21.  Tu crois que le but de la vie spirituelle est d’être tout bon et tout gentil,
Que tous les chemins mènent à la sainteté des béni-oui-oui,
Fais plutôt la guerre aux niaiseries et aux compromis.

22.  Comment t’échapper de ce que tu n’as pas vécu ?
Comment ne plus espérer, ne plus rien attendre de l’inconnu ?
Comment demeurer avec ton quotidien si mal perçu ?

23.  Les hommes t’encouragent à la grandeur,
En exploitant ta cupidité, ta peur,
Chaque simple moment conscient de ta vie est une lueur.

24.  Ami, fais le tour de ta sphère avec passion, avec énergie,
Et reviens à la vie simple d’où tu es parti,
Là sont les merveilles de l’infini.

25.  Cet espace qui échappe à la loi des prix,
Cette loi qui exploite ton corps, ton mental, ton esprit,
Il est à toi ce lieu, si tu reviens vers lui.

26.  Tu crois qu’il est déjà parfait, que tout est accompli,
Repasse les plis et le film de ta vie,
Ne te mens pas, nettoie, simplifie.

27.  Dans la limite du trivial, du simple, contiens ton appétit,
Le merveilleux viendra sans que tu ne t’en soucies,
De la vacance de tes envies si normales aux yeux de l’ambiante idiotie.

28.  Si tu ne reviens pas ici parce que tu n’as pas compris la vie,
Elle se chargera par la souffrance, la maladie et l’ennui,
De finir ton apprentissage quand tu seras vieux et seul dans ton lit.

29.  Tu crois à l’amour, au partage, à l’interdépendance provi­dentielle,
Mais sache mon ami, tout cela est bienheureusement fonc­tionnel,
Le monde est vide comme une coquille de noix flottant dans ta prunelle.

30.  La complexité te fait croire à la machination ou à la créa­tion,
Mais tes neurones ne fonctionnent qu’à l’extrapolation,
La simplicité t’emmènera au-delà du par delà du dicton.

31.  Rêve que tu es, rêve que tu fais,
Un jour viendra où tu contempleras ton dynamisme niais,
Un jour béni, tu seras fait.

32.  Si tu ne travailles pas de ton corps ou de ton esprit,
Tu ne saisiras pas l’alternance du jour et de la nuit,
Tu mourras insatisfait avec des dettes karmiques à l’infini.

33.  Si tu travailles, tu as le privilège d’être en vacances,
Dans ce temps libre qui t’apparaît comme une béance,
Se trouve pour toi chaque fois une nouvelle chance.

34.  Ne le remplis pas de tout ce qu’on te vend ici,
Ni de tout ce qui te paraît si tentant d’être fini,
Mais demeure comme un imbécile tranquillement assis.

35.  Savoure ta victoire que les désœuvrés ne peuvent gagner,
Laisse passer les minutes et les heures qu’il faut pour décanter,
Et accueille les cadeaux qui te sont proposés.

36.  Tu connais cela n’est-ce pas, comme une brise qui ne dure pas ?
Mais à chaque fois reviennent ton patron, ta famille, tes pro­jets, tes tracas,
Un jour tu demeureras avec eux sans perdre cet état.

37.  Mais il te faut travailler jusqu’à une totale fluidité,
Ou bien changer d’activité pour sentir alors la liberté,
Dans le rêve ou dans les pleurs, la fuite n’est pas une bonne idée.

38.  La richesse rend faible et donne des appuis,
La pauvreté rend fort et arrache des soucis,
Là où elle veut la dignité fleurit.

39.  Noyé dans les concepts spirituels hautains,
Accaparé par le modèle des anciens,
Tu laisses échapper l’instant de tes mains.

40. Si l’un deux te satisfait plus de trois ans,

C’est que ton intelligence est faible, ton courage hésitant,
Tu caches ton confort de «suivant» sous l’étiquette d’un pra­tiquant.


© Extrait publié avec l'accord des Éditions Antoni-L'Originel