jeudi 10 juillet 2008

• La meilleure manière de montrer notre respect au Bouddha est de nous passer de lui ! - Martin Aylward

Pratique radicale de l'éveil ou juste un autre système de croyance ?

par Martin Aylward

Ces derniers temps, il me semble qu'à chaque fois que j'ouvre un journal, on parle d'une célébrité pratiquant le bouddhisme. Il semblerait qu'être bouddhiste soit devenu une forme d'identité pour les stars de cinéma et les musiciens. Entre le charme flou de ces célébrités et les différentes traditions et formes d'enseignements, qui toutes se déclinent sous la vague dénomination de bouddhisme, comment trouver ses repères ?

On me demande souvent, "êtes-vous bouddhiste ?" Parfois, je réponds oui, simplement parce que c'est plus facile ! Répondre "non" semble troubler les gens, d'autant que je consacre la plus grande partie de ma vie à pratiquer et à enseigner le Dharma. Mais quand j'estime que la personne est suffisamment patiente pour recevoir une explication, j'essaie et j'insiste sur le fait que "buddh" signifie "éveillé" ! Par conséquent, si ce que cette personne veut dire par bouddhisme signifie "éveillisme" ou "en cours d'éveil", alors oui, je suis tout à fait d'accord. Mais si elle veux simplement parler de l'adoption d'un système de croyance particulier appelé "bouddhisme" alors je me reconnais plus dans l'esprit de Bob Marley qui pointait du doigt les discordes et querelles provenant du fait que nous sommes accrochés à nos différentes formes de croyances ou lignées quand il chantait : "j'en ai assez de vos ismes-schismes".

Tellement de violence et de conflits dans le monde sont dus à l'entrechoquement d' "ismes", avec des gens et des nations accrochées à leurs croyances jusqu'au point d'être prêts à s'entretuer pour les défendre. Ce n'est certainement pas du ressort de la pratique et de la quête spirituelle, mais déjà nous pouvons nous rendre compte par nous-même qu'il nous arrive de tomber facilement dans l'écueil de penser que notre propre tradition spirituelle ou notre manière de pratiquer est la meilleure, la plus rapide, la plus pure, la plus profonde, la plus douce, la plus ancienne, la plus exotique ! Si nous nous surprenons à penser de cette façon, c'est que nous avons quitté le chemin de l'éveil pour tomber dans le fossé du sectarisme et de la mesquinerie.

Le Bouddha n'a jamais été bouddhiste ! Il était personnellement concerné, comme il a pu le raconter un nombre incalculable de fois, par la question de l'Eveil. Confronté à l'inévitabilité de sa propre mortalité et au néant de la vie vécue pour le seul accomplissement du plaisir et l'évitement de la douleur, il se détermina à trouver une solution authentique à cet état d'insatisfaction. La pratique de la méditation du Bouddha, ses conseils et enseignements aux moines, nonnes et laïques étaient tous invariablement fixés vers ce but de l'éveil. Dans un de ses fameux enseignements où le Bouddha parle aux habitants d'une ville appelée Kalama, il leur recommande instamment, d'une façon fort peu commune pour une figure religieuse, de ne pas croire à ce qu'il leur dit !

O Kalamas, ne croyez pas ce qu'on vous rapporte, les légendes, les traditions, les écrits, la conjecture logique, l'inférence, les analogies, les points de vue d'autres, la probabilité, ou ce que votre professeur vous dit. Quand vous savez par vous-mêmes que les choses sont malhabiles et blâmables, critiquées par le sage, et qu'une fois entreprises elles mèneront au mal et à la souffrance - alors vous devriez les abandonner. Quand vous savez par vous-mêmes que quelque chose est habile, irréprochable, conseillé par le sage, et qu'une fois entreprise, cette chose mènera au bien-être et au bonheur - alors vous devriez entrer en elle et y rester. (Kalama Sutta, Anguttara Nikaya III.65)

Une pratique spirituelle authentique est une activité radicale. Elle nous demande de ne pas nous contenter de réponses faciles. Elle ne nous demande certainement pas de substituer un ensemble de croyances à un autre. Au contraire, elle nous demande d'étudier passionnément notre vie intérieure. Ce en quoi nous sommes engagés est-il nocif pour les autres et nous-mêmes ? Comment pouvons- nous nous en éloigner ? Ce en quoi nous sommes impliqués est-il véritablement nourrissant et favorable au bonheur et au bien-être des autres et de nous-même ? Comment pouvons-nous optimiser nos ressources envers cela ?

Si nous avons cette passion pour l'éveil dans la vie, alors cela vaut réellement la peine de regarder de près les différents enseignements, traditions et professeurs que nous rencontrons sur notre route pour voir ce qu'ils offrent réellement.

Que cela soit au service de n'importe quelle tradition au service du BOUDDHisme, de l'éveil, de la sagesse et de la compassion, ou que cela soit davantage intégré dans le bouddhISME, ou un autre "isme", essayant de renforcer un ensemble d'idées sur ce qu'est la vie ? Regardons cela d'aussi près que possible, parce que notre liberté en dépend !

La méditation est un outil merveilleux pour explorer notre vie. Assis en silence, confrontés à nous-mêmes, nous sommes invités à voir à scruter nos habitudes et tendances, notre agitation et notre ennui, nos compulsions et négativités, notre confusion et nos souffrances. Ces phénomènes très humains sont le compost de notre croissance spirituelle. Nous voyons tellement souvent la pratique spirituelle au travers de lunettes roses, recherchant un esprit paisible, un état altéré, une expérience spéciale. Toutes ces choses peuvent en effet se produire, mais elles ne sont que décoratives, pas la vraie célébration. Une pratique spirituelle authentique doit-être celle qui marque vraiment une différence dans nos vies, qui nous permet d'appréhender la vie avec plus de largesse d'esprit, de facilité et de joie de coeur. La voie qui mène à ces qualités doit passer par les bosses et tremblements qui préoccupent le coeur en ce moment même. Il n'y a aucune transcendance véritable sans passer par le feu de ce que nous tentons de dépasser. Dans le silence, le calme et la réceptivité de la méditation, nous apprenons à adapter et traiter en ami notre esprit-singe et notre coeur blessé. Nous apprenons à nous ouvrir au delà des confinements étroits de notre parcours de vie personnel, et à trouver le repos dans l'étreinte du mystère entourant la vie.

Finalement, la meilleure manière de montrer notre respect au Bouddha est de nous passer de lui ! L'éveil, une véritable sagesse de libération et de soin pour la vie, est un droit de naissance de tous les êtres humains. Le Bouddha a passé sa vie entière à enseigner la pratique et la possibilité de faire nôtre cet éveil, afin de connaître une liberté véritable, ici et maintenant. Nous pouvons être plus inspirés par les enseignements des traditions de la sagesse du monde, et si tout va bien nous nous sentirons véritablement transportés vers l'exploration de notre propre vie aussi profondément que possible, à la lumière de ces enseignements. Mais, afin de vivre vraiment dans l'esprit de la nature révolutionnaire d'une pratique spirituelle authentique, nous devons rechercher l'expérience directe plutôt que le dogme, la réceptivité plutôt que la croyance, le mystère plutôt que les réponses. Et de cette façon, nous introduisons le Bouddha, nous apportons l'éveil, au cœur de notre vie.

Puissent tous les êtres connaître l'éveil radical et la douceur de la liberté.


* Article paru dans le numéro 40 de la FIDHY (magazine de la Fédération Inter-Enseignements de Hatha Yoga). Traduction de l'anglais par Sabine Frix, et publié sur le site meditationfrance.com.

Martin Aylward est né en Angleterre et vit en France depuis plus de quinze ans. Il a découvert la méditation en Inde et en Thaïlande et a été formé auprès du grand maître réformateur Ajahn Buddhadasa. Spécialiste de la méditation Vipassana, Martin conduit des retraites de méditation et enseigne le Dharma au centre Tapovan (Le moulin) en Dordogne, au Québec et dans plusieurs autres pays.


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