mardi 27 mai 2008

• L'enfance se berce dans l'innocence du réel - Maria Saboya

L'enfance se berce dans l'innocence du réel

Maria Saboya

Chacun de nous est un centre de vie, d'énergie et d'action. Ce centre de vie toujours en contact avec l'univers qui l'entoure réagit constamment. Quand il y a fragmentation à l'intérieur de ce centre, les réponses au monde extérieur sont marquées par la tension et le conflit, et les réponses au mouvement intérieur, qui s'expriment à travers la pensée et les émotions, sont caractérisées par l'incohérence et l'angoisse. La recherche de l'unité intérieure est une priorité majeure dans la vie de chacun. L'Art de Vivre en Entier montre que le don total de soi à la vérité, l'exclusion du faux de notre vie, provoque en nous une mutation qui nous permet de découvrir une qualité d'action nouvelle, libre de confusion, de violence et de souffrance.

Je me suis éveillée à l'âge de cinq ans. Ce fut à la suite d'un épisode de ma vie, d'apparence tout à fait banale mais qui, chez moi, déclencha une terrible secousse.
Ma grand-mère était une artiste peintre distinguée qui s'intéressa particulièrement à mon éducation artistique. C'est elle qui me guida vers la musique et c'est encore elle qui me poussa à faire un dessin et à l'envoyer au Concours Walt Disney. Quelques mois plus tard, j'appris que j'avais été reçue première pour mon dessin qui, apparemment, était extraordinaire et révélait une grande maturité.

Dans le petit monde de mon enfance, je crois que je n'avais pas encore pris conscience d'exister. Je vivais, tout simplement, dans ma réalité enfantine.
Un jour, ma mère m'a endimanchée et accompagnée à la rédaction d'un journal important de Rio, ma ville natale. C'était pour recevoir mon prix et les compliments des organisateurs.

Une fois arrivées au journal, nous avons été entraînées dans une espèce de tourbillon. On me questionna, on me fit des compliments, on vint me regarder de près, on m'assaillit de partout.
Le lendemain, je vis ma propre photo dans les journaux et mon nom imprimé en grand sur la première page. Le soir on fit une grande fête à la maison pour célébrer mon succès. Il y eut beaucoup d'amis et de gens de la famille. On mangea, on but, on rit bruyamment.
À un certain moment, j'ai eu un intense désir de sortir, de m'évader de tout cela. Je suis allée au jardin. La nuit était déjà tombée, et des étoiles très brillantes scintillaient dans la profondeur de ce ciel tropical. Le silence extérieur m'a enveloppée de calme et m'a apaisée. Je me suis assise dans un coin ombrageux et me suis laissée aller dans la contemplation des étoiles.
La beauté de la nuit était immesurable et je me suis perdue dans sa contemplation.

Plus tard, de retour à la maison, le fait de me sentir étrangère à tout ce qui se passait dans la maison m'a choquée. Je regardais mes propres parents comme des étrangers, des inconnus.

Ce choc m'a fait découvrir la différence entre le faux et le réel, puisque l'exagération du sensationnalisme journalistique était si criante, si aberrante, que ma sensibilité enfantine n'avait pu manquer de s'en rendre compte.
L'enfance se berce dans l'innocence du réel.


En même temps, je découvris une profondeur en moi, un sentiment d'intégrité dont je n'avais pas conscience auparavant. J'ai eu l'impression que mon être entier criait « Non !» à ce tourbillon des voix qui s'étaient élevées pour fêter nuisiblement, avec une joie démesurée et absurde, mon premier prix de dessin.
Pourquoi fêter tellement un petit dessin ? Tout cela me laissait voir l'irrationalité d'une société que je venais juste de découvrir. Mon esprit a été profondément marqué par cette expérience qui m'a façonnée.


Je suis devenue une enfant réfléchie et solitaire, qui trouvait dans la solitude un contact véritable avec son être et qui fuyait l'artificialité des compliments banals et des valeurs exagérées de la société, bien qu'elle aimât le contact humain et ne désirait pas s'isoler. La vie d'ermite ne m'a jamais attirée. J'alternais plutôt entre les contacts humains et la solitude, cette dernière signifiant pour moi « un retour aux sources » après chaque contact mondain.
Depuis mon enfance, donc, je suis engagée dans une passionnante recherche pour comprendre le sens le plus profond et spirituel de la vie. Vers l'âge de seize ans j'ai découvert mon amour de la musique, et je ne l'ai plus quittée. La musique exprime la profondeur des plus véritables sentiments intérieurs et la vision de la beauté spirituelle.

Vers le même âge j'ai commencé, aussi, ma recherche « religieuse » qui devait me pousser à éveiller en moi ce que j'avais de plus important à exprimer, mon amour de la vérité, et mon adoration devant la vie. Cela ne m'a pas empêché de vivre une vie normale, c'est-à-dire de me marier, avoir des enfants, exercer une profession, etc. La Vie est une totalité sans déchirement ; et tous ses aspects sont « sacrés » et parfaitement intégrés, si nous ne vivons pas dans un état de conflit intérieur.

Ma recherche spirituelle m'a permis de prendre connaissance de plusieurs religions (christianisme, bouddhisme, zen, etc.), de rentrer en contact avec la vie et les enseignements de Ramakrishna, Sainte Thérèse d'Avila, Krishnamurti, etc. Je me suis également intéressée à la psychanalyse et me suis penchée sérieusement sur la pensée de C. G. Jung.

Mais après tout cela, je vois que c'est la démarche personnelle, la passion qui existe en nous-mêmes qui nous pousse à aller de plus en plus loin vers notre propre coeur, notre propre essence intérieure ; c'est cette énergie qui vient de nous-mêmes qui nous achemine vers notre libération, notre « épanouissement en tant qu'individu, vers cet état extraordinaire que l'on peut appeler « l'état créateur ». Ce « fonds merveilleux » c'est l'amour, et cet amour qui ne connaît pas de barrières, ne peut s'exprimer complètement à travers l'être humain qu'au moment où toutes considérations d'ordre personnel, sans importance, disparaissent.


La vérité est dans la vie de chacun, pas dans celle d'un autre. Chaque vie a une vérité. Autant d'êtres humains, autant de vérités ! La religion n'est pas un modèle, une formule, un chemin vers quelque chose d'établi d'avance.
La religion est plutôt l'expérience religieuse de chacun dans sa propre existence. La vie est cette profondeur extraordinaire qui donne à chacun la fonction de créateur de son propre destin, de son histoire, de sa rencontre personnelle avec la totalité. Que votre vie soit un trésor précieux, et toute l'humanité sera enrichie ! La vérité est en vous, dans vos sentiments et vos actes, à chaque instant de votre vie.
La beauté de la vie, la grandeur de la vie sont là, dans votre angoisse, votre peur, votre condition, et votre désir de vous libérer. C'est dans votre marche pénible dans la rue, l'esclavage d'un travail mal récompensé, la solitude, le manque d'affection, ou la joie, le plaisir. Dans tout cela se trouve la valeur intrinsèque et extraordinaire de l'existence. Vous ne pouvez pas vivre la vie à la place d'un autre. Que vous soyez simple couturière ou mathématicien de génie, ne vous comparez pas aux autres.


La vie est la même pour tous, et son degré d'importance est exactement identique partout. La vie de laquelle on parle est la vôtre - la seule à laquelle vous ayez accès, la seule que vous touchiez vraiment. Si vous la vivez avec ardeur, connaissant sa valeur infinie et vous donnant à elle entièrement, votre existence sera le miroir de la beauté et du vrai sens de la vie. Ce sens n'est autre que cela : vivre sa vie avec passion et sincérité, en se donnant complètement.

L'ART DE VIVRE EN ENTIER de Maria Saboya - Éditions Les Deux Océans.
Ce recueil exprime des moments de repos, de calme, au milieu de la rue, dans un train, dans une bibliothèque ou dans un magasin lorsque je fais des courses ; ce sont des coupures au beau milieu de la turbulence d’une vie humaine normale dans le monde d’aujourd’hui, la vie d’une mère de famille qui travaille. À force de regarder le monde autour de soi et sa propre conscience avec un œil toujours éveillé et interrogateur, le cerveau apprend à fonctionner dans un mouvement profond et calme, et l’esprit ne se laisse pas prendre dans le mouvement de confusion qui nous entoure la plupart du temps.

Ce ralentissement produit les conditions nécessaires à la compréhension profonde des choses, et la vision se fait d’une manière spontanée et synthétique. On ne peut pas fabriquer ces perceptions à volonté et se dire : maintenant je vais m’asseoir, prendre le crayon et écrire des mots de sagesse. On ne peut s’asseoir et écrire que quand la sagesse s’est déjà exprimée, ou est en train de le faire. Pour cette raison, on porte toujours sur soi un calepin et un crayon. La création est toujours une chose précieuse, et rapide comme le vol d’un oiseau. Si le cerveau n’est pas éveillé pour la suivre à sa vitesse même, il est trop tard, puisque l’oiseau est déjà parti, lointain.

La création n’a pas d’heure fixe, mais étant inépuisable et si on n’est pas prêt pour la recevoir sur le moment, elle revient plus tard et ainsi de suite. C’est que la création possède un cœur immense, et son but est de donner à l’infini.

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