jeudi 13 septembre 2007

• Méditation et éveil - Vimala Thakar

Sources

Méditation et éveil

Vimala Thakar

La méditation est le seul moyen pour se libérer de l'enchaînement des pensées, du karma, de la destinée. Ce qui reste est un océan de silence. Vous êtes assis tranquillement, le Je, le moi ont disparu dans la non action et vous ne savez même pas ce qu'il advient de vous. La conscience du Je avec son poids de subconscient et d'inconscient ne bouge plus. La nature du silence, c'est l'arrêt complet des activités mentales. Mais ce n'est que le mental individuel, le nôtre, qui s'est arrêté. Dans le silence, se manifeste l'intelligence cosmique et les cinq éléments en mouvement. Il y a donc un mouvement subtil, même dans le silence. L'esprit conditionné est suspendu, il est dans l'océan de l'espace intérieur et cet espace est plein du mouvement cosmique, qu'on l'appelle intelligence universelle ou intelligence cosmique. L'intelligence de la vie est perceptive. La vie est à la fois êtreté et énergie, mouvement et non mouvement, son et silence, naissance et mort. Tout cela constitue « l'entièreté » organique de la vie. Qu'arrive-t-il quand l'activité personnelle de l'ego a été abandonnée sur l'autel du silence ? On se heurte alors à la difficulté inhérente à l'éducation moderne du mental. On se dit : « Bien, si je peux comprendre ce qui m'arrive, prévoir ce qui va venir, nommer, définir l'expérience, alors je suis prêt à supporter n'importe quelle souffrance pour la vie spirituelle ». Ce mental moderne, conscient de ses dons, de ses possibilités et de ses conditionnements, veut enfermer toute chose dans le cadre d'une pensée, d'une idée, d'une description, d'une définition, d'une expérience. Il veut le posséder et le négocier. « C'est moi, moi qui ai la libération, moi qui vis une expérience ésotérique ». Il veut acquérir, obtenir, posséder, sentir qu'il a quelque chose. Le Je veut garder son identité et l'enrichir, alors que dans la vie spirituelle, seule l'entièreté a une identité. Nous ne sommes que des parts composites de cette totalité. Nous n'avons pas d'identité séparée.C'est donc l'abandon de toute activité de l'ego, sur l'autel du silence, l'espace intérieur qui est exigé. Tout homme instruit arrive à cela assez facilement, parce qu'il y a des mots qui l'accompagnent, des expériences du passé vécues par d'autres chercheurs avec lesquelles il peut comparer, dont il peut parler, et auxquelles il peut penser. Avec le support du connu, il arrive aux limites des mots, qui ne peuvent plus le conduire au-delà et toute pensée est impossible sans les mots. Arrêté aux frontières de la verbalisation, il regarde l'inconnu, mais il n'a pas l'humilité de plonger au-delà des mots, de la mentalisation, de l'idéation. Il est facile de plonger dans l'océan du silence intérieur, mais pour l'homme moderne, c'est une difficulté terrifiante, car il croit vivre pour lui-même. Nous avons perdu la fraîcheur, l'innocence et la beauté de la foi. L'homme moderne se demande ce qui lui arriverait s'il perdait son activité mentale, il veut savoir à l'avance qui va lui arriver. Mais il ne peut pas y avoir d'essai quand il s'agit de l'inconnu, de l'inconnaissable. Si l'on abandonne toute activité, ce sentiment d'agir, d'expérimenter, d'observer, alors, d'un seul coup, l'humilité de la foi emporte le chercheur dans l'océan du silence.A partir de là, on est sur un autre plan : l'ego, le Je, n'est plus actif. Alors commence à se manifester la conscience cosmique, universelle, intelligence perceptive qui est au centre de la vie, qui nous entoure et nous habite. Avec l'arrêt de l'activité du mental, de toute activité de la pensée conditionnée, se manifeste l'action du cosmique, de l'universel. C'est pourquoi j'ai dit qu'on change de plan; on n'est plus dans la dimension où l'on est emprisonné dans la conscience individuelle, mais tout comme la goutte d'eau se fond dans l'océan, la conscience individuelle est immergée dans le Tout, le cosmique, l'universel. C'est ce que les Soufis appellent les noces mystiques de l'individuel et de l'universel. Ce n'est plus le Je qui agit, mais l'autre conscience. Lorsque cette intelligence perceptive contenue dans chaque particule de la matière qui nous entoure et nous constitue devient active chez quelqu'un, le comportement de cette personne se modifie complètement. L'intelligence cosmique, universelle, voit tout, comprend tout; il n'y a en elle aucune ignorance. Ce n'est pas une faculté du cerveau mais une énergie contenue dans tout ce qui vit et bouge, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. A partir du moment où elle s'anime chez quelqu'un, il est manifeste que celui-ci sait tout, comprend tout et que dans une relation, il répond spontanément à tout ce qui survient, dans une sorte d'état de grâce. On change de plan, la conscience universelle agit à travers l'individu, dans les limites de l'individuel. Même quand le cosmique, l'universel est activé, mis en mouvement et commence à fonctionner, il ne peut le faire qu'à travers le cerveau. Il doit utiliser le savoir, l'expérience individuels. Comme notre mental et notre cerveau utilisent nos mains, nos pieds, notre mémoire, la conscience cosmique se sert de tous les conditionnements, des expériences, du savoir, des possibilités personnelles, et s'exprime à travers eux. Ainsi le cerveau devient un canal. La main devient un instrument dans les mains de l'universel, du cosmique, et une sorte de magnétisme commence à se développer autour de cette personne. Les autres sont attirés et disent que c'est quelqu'un d'extra-ordinaire, qu'il y a une sorte de fraîcheur en lui, dans ses paroles, une harmonie intérieure. En apparence, c'est la même personne, mais elle a changé intérieurement. La source de notre activité, de nos perceptions et de nos réponses est le mental. S'il est abattu, déprimé, perturbé, préoccupé, les yeux peuvent percevoir la beauté mais ça n'atteint pas le mental ; la relation avec la beauté est donc coupée, interrompue. Nos organes des sens voient, entendent, mais en fait, c'est le mental qui voit par les yeux, entend par les oreilles, touche par les doigts; c'est la source de notre activité. Dans cette nouvelle dimension, cette source change : c'est le mental cosmique, universel, qui devient la source du mouvement et utilise le mental et les sens. C'est le changement révolutionnaire de l'être qui vit dans le silence. On doit expérimenter le mystère de l'espace intérieur de façon scientifique et en parler de la même façon. Si on s'intéresse à la découverte du mystère du silence, on se doit de tenir compte de la Goraksha Samhita et de la Shiva Samhita. Quand on est passé de la terre à âkâsha, l'espace intérieur, c'est le Silence. Quand le silence a complètement transformé quelqu'un, cette personne ne vit plus pour elle-même. L'universel se sert d'elle, de son mental, de son corps pour le bien de tous. Elle est désencombrée et l'universel met cet espace intérieur au service des autres. Un tel être vit dans le silence, et l'intelligence cosmique universelle l'utilise pour le bien de l'humanité. Le Christ, Bouddha, Ramakrishna, Râmana Maharshi avaient des possibilités, des facultés extraordinaires qui se sont épanouies, mais certains en restent au silence, arrêtés par la gloire de leur propre éclat qui commence à émaner d'eux, à rayonner, arrêtés par l'attraction qu'ils exercent sur les autres, par les honneurs dont ils sont l'objet. A ce niveau, le danger est très grand de se faire emprisonner par le respect et les honneurs. Cet état extraordinaire devient une prison : on commence à croire qu'on a pour mission d'être au service des autres, de les rendre heureux, de les libérer et on ne fait plus rien pour soi-même, on agit au nom de l'humanité et ce sentiment d'avoir une mission, d'être sans ego, la conscience qu'on en a, devient une limitation, isole. Cela arrive à certains, pas nécessairement à tous. Le mouvement du mental conditionné est suspendu, le mouvement de l'intelligence universelle, non conditionnée par le mental humain entre en action et on accède à des facultés extraordinaires. On passe par un changement révolutionnaire, cela nous l'avons perçu dans cette dimension de silence, mais la méditation est encore au-delà. Elle est au-delà même du mouvement de l'intelligence cosmique universelle et de la gloire d'être quelqu'un d'extraordinaire, dans la mesure où on laisse à ce mouvement la possibilité de s'apaiser. Pouvez-vous imaginer le plaisir que procure ce mouvement ? Habituellement, nous nous laissons emporter par le plaisir des sens, de la pensée, des mots, de la musique et des émotions qu'ils suscitent, nous nous laissons emporter si facilement par les plaisirs sensoriels, verbaux, psychologiques, mais là, je parle des plaisirs qui naissent de l'activation du mouvement de l'intelligence cosmique universelle. Vous ne pouvez pas savoir, c'est une sorte de drogue. Si l'humilité et la foi demeurent vivantes, si le plaisir d'être extraordinaire, d'être considéré, honoré, aimé, adoré, si la gloire d'être appelé le sauveur ne vous trouble pas, ne vous affecte pas, si vous êtes dans une telle humilité que même le plaisir de l'extase ne vous grise pas, si tous ces plaisirs ne vous déforment pas, ne vous dénaturent pas, ne vous enflent pas, alors le mouvement de l'intelligence cosmique, les pouvoirs ésotériques qui se développent à ce stade, se dissipent d'eux-mêmes. Comme l'activité physique s'est calmée, comme la conscience d'être un père ou une mère a disparu, de la même façon, le mouvement de l'intelligence cosmique universelle se calme. Ce qui reste, c'est l'êtreté. L'êtreté de l'individu, dans sa pureté et sa simplicité, je dirais même l'êtreté de la vie est ce qui subsiste quand le mouvement du cosmique s'apaise. Quel événement formidable, marquant et significatif dans la vie de ceux pour qui ne subsiste que l'êtreté nue, sans aucun mouvement. C'est la dimension du samâdhi, la dimension à laquelle chacun peut parvenir, c'est notre droit de naissance en tant qu'être humain, d'atteindre cette êtreté. Aller du mouvement personnel, mouvement des impulsions physiques, des pensées, des expériences psychologiques jusqu'à l'état d'observation, de là, jusqu'au silence et au-delà du silence, jusqu'à l'état de samâdhi, état du vrai sannyâs, de la réelle méditation. Pas le moindre mouvement. La méditation est une dimension nouvelle dans laquelle on peut grandir et vivre et à partir de laquelle, quand c'est nécessaire, entrer en relation avec les autres. Ce n'est pas une fin, une destination, c'est une renaissance. Un nouvel être humain est né, enrichi par le passé, conscient du présent. S'appuyant sur le particulier mais uni au tout, l'être spirituel évolue dans la société, sans peur, spontanément. Je sais qu'il est très difficile de croire à cela quand on en entend parler, mais je l'ai vu se produire. Ce n'est pas réservé à quelques élus, c'est le droit de naissance de chacun de s'élever dans cette pure divinité que j'appelle Dieu, si vous voulez, ou « Bhagavad Sattva », l'êtreté de la divinité, là où le mouvement de l'énergie, qui est la vraie maya, se dissout et où peut s'incarner la véritable immobilité. »

Extrait de : La méditation, un état d'être, par Vimala Thakar, traduit par Françoise Mazet et Monique Tournier, Terre Blanche, 1994 (épuisé).

==> En cliquant sur ce lien, vous pourrez télécharger les ouvrages (épuisés) de Vimala Thakar :
"Un éternel voyage" et "La méditation, un état d'être". Merci à Fraçois Favre pour cette initiative.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir mis à la disposition de tous, par le net, ces merveilleux extraits. Je viens de lire quelque chose de Krishnamurti sur le même sujet mais dit avec d'autres mots. Les deux se complètent et nous rendent l'explication plus totale.
Merci encore une fois.